Bilquis et Abdul Sattar Edhi.

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Anna parlait dernièrement du triste sort des femmes en Afghanistan (Afghanistan : viol entre époux légalisé). Malheureusement cette destinée de violence, de rejet, n’est pas exclusive de quelques contrées lointaines soumises aux lois de dangeureux intégristes. Pas besoin d’aller si loin, il suffit de voir certaines paroles de chansons pour se retrouver devant les mêmes horreurs (voir la note sur Orelsan).

Aujourd’hui, je tiens à signaler un excellentissime article paru dans le Marie-Claire de ce mois d’avril 2009, un des rares article en français – si ce n’est l’unique – parlant de Bilquis Edhi, madame Abdul Sattar Edhi.

Au Pakistan, où naître fille est encore une malédiction, Bilquis Edhi et son mari ont décidé de recueillir ces rejetées de la société au sein de la fondation Edhi. Le combat d’un couple hors-normes.

806010250.jpg Au Pakistan, comme en Inde ou en Chine, les filles sont trop souvent jugées indésirables. Dans ce pays, 90% des bébés abandonnés sont des filles. De par la pauvreté, la coutume de la dot, …, avoir une fille est souvent vécu comme un véritable fardeau.

« Cela me révolte toujours. A chaque nouvel arrivant, je ressens la même injustice et la même envie irrépressible de le couvrir d’amour et de le protéger. C’est toujours comme si c’était le premier qu’on me dépose ».

A ce jour pourtant, Bilquis et son mari ont sauvé plus de 19 000 enfants !

Bilquis décide de rejoindre cette fondation en tant qu’infirmière en 1965, alors âgée de 16 ans. C’est sous l’impulsion d’Abdul Sattar Edhi, un travailleur social, qu’une poignée de femmes décident de travailler bénévolement pour cette fondation. L’homme devient très populaire, les dons affluent et lui permettent de financer son dispensaire, mais aussi de construire une maternité, puis un orphelinat. Quelques années plus tard, Bilquis l’épouse.

Aujourd’hui, ils sont à la tête du plus gros service d’ambulance volontaire au monde, de 300 centres de secours d’urgence, de 17 orphelinats, 3500 salariés, un budget annuel de 10 millions de dollars provenant de dons privés. Bilquis se fait un devoir de protéger ses filles, de nombreuses écoles ont donc été également ouvertes par la fondation dans des zones très pauvres où les enfants ne sont pas scolarisés. Ce combat pour l’autonomie se poursuit avec des centres d’apprentissage, où les adolescentes sont formées aux métiers de la santé et du textile.

(Source le blog de Femmes du Monde)

L’Express leur a aussi consacré un article en 1995, malheureusement toujours d’actualité 14 ans plus tard :

Karachi, cité de tous les maux par Vincent Hugeux.

Assassinats, corruption et trafics en tout genre ont fait de l’ancienne capitale pakistanaise un cloaque. Quelques voix protestent. Mais qui les entend?

367579792.jpg Il baigne les morts, les fous et les malades. Il enterre les premiers et loge les autres. Il recueille les «enfants du péché». Héberge les orphelins, les gamins fugueurs, les filles sans toit et les femmes battues. Traite avec rudesse les drogués «accro» à l’héroïne.

Vénéré par les humbles, courtisé par les puissants, Abdul Sattar Edhi, 67 ans, apaise en solitaire les tourments de Karachi, cité furieuse de 13 millions d’âmes, livrée au chaos et aux tueurs.

Son réseau, à mi-chemin de l’œuvre de charité et du service social, tient lieu de cache-misère d’un Pakistan tiraillé entre féodalisme et modernité. Celui qui récuse le titre de «maulana» – maître – est-il un saint homme ou un gourou ? Doit-on le dépeindre en abbé Pierre ou en Mère Teresa ? Faut-il d’abord louer, chez ce patriarche, l’inusable compassion de Vincent de Paul ou l’entêtement insensé du Hussard de Giono ?

Ici, épaulé par sa femme Bilquis, «Edhi» gave de chocolat des gosses perclus d’infirmités, avant de frictionner à l’huile végétale les jambes grêles de Shakil, le petit polio.

Là, escorté par une volée piaillarde de saris, il guide le visiteur dans un refuge pour adolescentes, bâtisse au luxe insolite, tout en marbres et boiseries nacrées, legs d’un mystérieux mécène.

A Korangi, sa silhouette trapue glisse le long des corridors ombragés de l’orphelinat. Voici le dortoir des gosses des rues. Voici, près de la salle de classe où les écoliers dociles chantonnent des versets du Coran, un bataillon de simples d’esprit, tout de noir vêtus, avides de câlins et de bourrades.

Et voici Nadim. Pickpocket et toxicomane, le garçon a perdu le fil de son enfance. «J’ai… 8 ans», hasarde-t-il; «12», corrige un adulte. Mais ses avant-bras, zébrés de cicatrices, accusent plus que leur âge. «Quand l’héroïne manquait, je faisais ça au couteau.» A l’entrée de ce havre, scellé dans un socle de ciment vert et rouge, un berceau haut perché, coiffé d’un auvent, attend le bébé «illégitime», promis d’ordinaire à l’infanticide.

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«Ne tuez pas, implore l’écriteau placé au-dessus de la nacelle. Laissez le bambin en vie ici.
Ne commettez pas un second péché pour masquer le premier.»

Suit le téléphone de Bilquis Edhi, compagne, complice et lieutenant d’Abdul. «Il m’a épousée à cause de ces enfants», s’amuse parfois cette femme énergique et douce. C’était il y a trente ans, elle en avait 14 et œuvrait dans un dispensaire du maître. «Bilquis abat 60% du boulot, insiste son mari en la couvant du regard. En mon absence, tout repose sur ses épaules.»

Qui l’eût cru? Au «pays des purs», tout prétendant au pouvoir rêve d’enrôler sous sa bannière le bienfaiteur au crâne poli et à la barbe drue. Harcelé par des sergents recruteurs tantôt obséquieux, tantôt menaçants, Edhi a fui l’arène en décembre, le temps d’une retraite de un mois à Londres.

Peu avant, alors que vacillait le trône du Premier ministre, Benazir Bhutto, des émissaires empressés, généraux en tête, avaient sondé ses ambitions. Pourquoi ne pas l’associer à Imran Khan, star adulée du cricket ? Saisi par le démon de la politique, ce dernier succéderait à la «fille de l’Orient», tandis qu’Edhi hériterait de la présidence. «J’ai refusé. Je ne suis qu’un travailleur social.» Malice ou candeur ? En dénonçant, de son Aventin londonien, la manœuvre, le «pressenti» aura rendu à Benazir un signalé service. Laquelle lui proposa naguère de diriger la municipalité de Karachi, privée de cornac après l’arrestation, en 1992, du maire élu. Certes, Edhi déclina l’offre. Mais il avança en échange le nom de son pilote d’hélicoptère, réputé proche du Parti du peuple pakistanais (PPP) de Benazir Bhutto. Mieux : interrogé sur les racines du mal qui ronge la cité portuaire, le «travailleur social» avance un diagnostic étrangement similaire à celui de l’héritière.

Haro sur les barons de la drogue, les mafias locales et les fraudeurs du fisc ! La politique rattrape toujours sa proie, fût-ce sur les bords de la Tamise. Car c’est là que réside Altaf Hussein, leader en «exil volontaire» du Mohajir Qaumi Movement (MQM), parti un rien fascisant, et avocat musclé de la cause des immigrants ourdouphones venus d’Inde au lendemain de la partition – les Mohajirs – soit plus des quatre cinquièmes de la population karachite. Altaf souhaite rencontrer l’illustre visiteur ? Peine perdue. De même, Edhi éconduit les messagers de Nawaz Sharif, ex-Premier ministre et rival acharné de Benazir.

Bien sûr, Abdul a perdu un peu de son crédit dans cette escapade britannique. Mais il a laissé, dans un coffre londonien, sa botte secrète: un manuscrit accusateur de 200 pages. «J’y révèle tout, confesse-t-il avec une moue de paysan madré. Les noms, les pressions, les intrigues. C’est mon assurance-vie.» Etrange. Il aura suffi que le patriarche se dérobe au jeu des états-majors pour que pleuvent les griefs.

On l’accusera, pêle-mêle, de blanchir l’argent de l’héroïne, de se livrer au trafic d’armes et – figure imposée de toute campagne de discrédit au Pakistan – d’émarger au Mossad comme chez l’ennemi indien. Pas l’ombre d’une preuve ? Qu’importe. Les coups font mal. Collectés tant au pays qu’à l’étranger, les dons privés, seule ressource de la fondation, plongent de 40 à 60%. «Plus question d’investir, avoue un proche. On couvre tout juste les dépenses de fonctionnement.» Les fidèles, eux, restent sourds aux rumeurs vénéneuses. Témoin cette enseignante retraitée, venue un matin déposer un chèque de 925 000 roupies (170 000 francs environ), fruit de la cession d’un lopin de terre.

«Pour Edhi, s’écrie la donatrice, j’ai déjà vendu mes bijoux et je pourrais sacrifier ma vie ! Car je sais son honnêteté. Croyez-moi, lui seul ira au paradis.» Ou, à tout le moins, au purgatoire. Car l’homme a ses zones d’ombre. Les puristes le disent mégalomane, paternaliste, moraliste à l’excès. Ils jugent sa gestion brouillonne. Ou relèvent la présence, à la barre du navire, de deux de ses enfants. «Et alors? objecte le journaliste Imran Aslam. La ville a tant besoin de lui !»

Ses partisans eux-mêmes en conviennent : Edhi voit trop grand. Faut-il se ruer, chargé de vêtements, de couvertures, de vivres et de médicaments, partout où la terre tremble, partout où la guerre frappe, partout où la famine tue ? La réponse est oui. Du Soudan au Bangladesh. En Ethiopie comme en Iran ou en Bosnie. Tant pis si les mollahs le blâment d’assister les «infidèles» arméniens. Proche du soufisme – courant mystique de l’islam – Edhi n’en a cure.

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«Je suis un musulman pratiquant. Mais je crois plus à l’humanisme qu’aux rituels.»

Comme il paraît loin, le temps où le marchand de vêtements de la vieille ville aménageait en ambulance un break d’occasion ! Et plus lointain encore, le jour où, âgé de 19 ans, ce fils de courtier en fruits secs, venu tout droit par bateau de son Gujerat natal, débarquait dans le port de Karachi, poumon d’un Pakistan né quinze jours plus tôt du sanglant démembrement de l’empire des Indes.

Il régne à présent sur une flotte de 550 véhicules d’intervention. Le royaume d’Edhi compte aussi 350 centres de secours d’urgence, 22 cliniques, 4 asiles et autant d’orphelinats, 1 hélicoptère, 2 petits avions, 3 500 salariés et 10 fois plus de bénévoles.

Au mur de son bureau, antre vieillot tapissé de paperasses, une carte du Pakistan, constellée d’épingles à tête, donne les couleurs de l’avenir.

En vert, les «Edhi Centres» en service. En rouge, les 125 projetés.

La suite ici.

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La fondation ne s’occupe donc pas uniquement des filles mais aussi des enfants abandonnés quel que soit leur sexe, des cancéreux, des junkies, des personnes handicapées… Bref, c’est une véritable oeuvre sociale.

A tous BRAVO !

Des photos des centres : Humanitarian to a Nation.

Un article à lire en anglais Missing Women avec beaucoup de liens vers les associations actives contre ces crimes.

La préférence masculine : Causes et conséquences démographiques

anti

8 Replies to “Bilquis et Abdul Sattar Edhi.”

  1. Anna Galore

    Quelle beauté indicible dans ce dévouement sans faille…

    Et quel dégoût de voir que d’autres ont voulu salir ce couple au-delà de toute admiration.

    Il y a vraiment des saints sur Terre, quelles que soient leurs croyances. Ils illuminent le monde et donnent foi en l’amour. Ces saints sont des êtres humains, comme n’importe lequel d’entre nous. Mais ils font tellement plus que n’importe lequel d’entre nous.

    Devant eux, je me prosterne.

  2. Anna Galore

    Rien à voir (ou tout ?) : fascinant, non, que j’aie titré mon mot d’accueil de ce matin « Le berceau de l’enfant perdu » ?

    Résonance parfaite…

  3. anti

    « Rien à voir ? »

    Sourire béat ! Pas plus que quand tu te mets à chanter « Kalashnikov » à l’autre bout de la maison alors que je suis précisément en train de buter sur le mot, juste l’accord parfait entre deux êtres et l’existence qu’ils mènent.

    anti, radieuse.

  4. anti

    Tous des humains ! J’ai été très émue et remplie d’admiration aussi en lisant toutes ces informations sur ces êtres merveilleux de bonté.

  5. ramses

    Très beaux portraits d’un dévouement absolu, qui brave les règles établies.

    Il faut absolument lire l’annexe « La préférence masculine : Causes et conséquences démographiques », qui donne des projections alarmantes sur ce déficit en filles. Ainsi, pour plus de 50% de la population mondiale, ce serait une malédiction d’enfanter une fille… Cette politique va conduire à une dénatalité, faute d’épouses en nombre suffisant… On touche vraiment là le noyau dur de la connerie humaine ! Par ailleurs, comme le rapport le souligne, ces hommes seuls, faute de pouvoir faire l’amour, vont être tentés de faire la guerre…

  6. EOZINOU Pierre

    Des articles comme ceux ci-dessus montrent à quel point l’espèce animale – sur le plan ne serait-ce que scientifique – que l’on nomme  » humanité  » aurait bien besoin de justifier son nom ! Malheureusement, jusqu’à preuve du contraire, l’animal que l’on nomme par orgueil  » homme » pour se différencier des autres animaux ( quel péché mortel ! ) est devenu le plus grand prédateur de toute l’histoire de la Terre, en tuant systématiquement ses propres enfants ce que peu d’espèces animales font . L  » homme » aura réussi le prodige de détruire – tout en se détruisant lui-même, ce qui est le comble de la bêtise ( mais l' »homme » n’est -il pas déja l’animal le plus bête de la Terre! ) ce que n’ont pas réussi à détruire les pires cataclysmes géologiques et ce en seulement quelques centaines d’années au lieu de millions d’années. Quand il ose encore parler de se rendre sur quelques planètes pour coloniser et « civiliser  » quelques tribus ( forcément « sauvages »!) là on sent que son orgueil n’a plus de limite . Tant est que sa bêtise est également insondable … comme l’Univers.

  7. anti

    Bonjour Pierre,

    Je ne suis pas certaine de bien comprendre votre commentaire même si je ne pense pas que vous parliez de Bilquis en ces termes.

    Si je comprends bien, c’est à l’espèce humaine en général que vous en voulez ? Dans ce cas, même si je comprends votre désarrois, je ne le partage pas. Certainement, il y a beaucoup de choses qui ne vont pas, cependant, je n’ai guère observé que chez les humains de manière quasi innée partout sur Terre, cette faculté d’aller à la rescousse d’autres espèces, simplement par amour. Comme en toute chose, il y a du mauvais, mais il y a aussi du bon. C’est ce bon côté que je tenais à signaler dans cet article.

    anti

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