Fin des subventions européennes à la corrida, analyse des votes et réactions

Le 28 octobre 2015, 64% des eurodéputés réunis en séance plénière a voté la fin des subventions européennes à la tauromachie (438 sur 687). Une comparaison des résultats bruts entre 2014 et 2015 sur ce sujet montre une progression d’une centaine de voix en faveur de l’arrêt des subventions.

subv EU T1

Il est cependant intéressant de se pencher sur les détails des votes en fonction des groupes politiques. En effet, la majorité obtenue est le résultat de préoccupations plus variées qu’il ne pourrait y paraître.

Des motivations diverses

Voici la distribution des votes, par ordre alphabétique de noms de groupes, en nombre de voix :

subv EU T2

Et les mêmes résultats exprimés en pourcentages d’opinion exprimée au sein de chaque groupe (chaque ligne a un total de 100%, à l’arrondi près) :

subv EU T3

On peut distinguer trois grands blocs.

Les écologistes et leurs alliés de l’intergroupe sur le bien-être animal ont voté en accord avec l’un de leurs fondamentaux : la protection animale. Sur le sujet de la corrida, comme sur tous ceux qui touchent à la condition animale, leur position a toujours été cohérente. Le résultat est une quasi unanimité pour la fin des subventions à la tauromachie.

Vient ensuite le bloc des droites extrêmes : les groupes ECR (droite nationaliste), EFDD (eurosceptiques) et ENF (extrême-droite). Ces trois groupes ont en commun de détester l’idée même de l’Europe. Le simple fait que l’ensemble des États-membres puisse subventionner un petit nombre d’entre eux est inacceptable a priori. Or, les élevages de taureaux destinés à la corrida concernent principalement l’Espagne (un millier d’élevages concernés), ainsi que le Portugal et la France pour un plus petit nombre. Pour un nationaliste ou un eurosceptique, il est insupportable d’accepter qu’une partie de ses impôts va soutenir une activité quelconque ailleurs que chez lui. Ils ont donc voté largement pour la fin de ces subventions. Les eurodéputés FN français ont plus de mal à appliquer leur idéologie de « préférence nationale » : la moitié a voté pour la fin des subventions (il faut supprimer toute aide à une tradition non française), l’autre a préféré que rien ne change en votant contre ou en s’abstenant (il faut aider les éleveurs français).

Le dernier des trois blocs est le plus important en taille : les partis classiques de gouvernement à droite, au centre et à gauche (PPE, ALDE, S&D), qui totalisent deux-tiers des sièges. Là, les votes sont le reflet des grands leviers de chacun : la droite est conservatrice, donc ne veut rien changer à l’ordre établi (large majorité en faveur du rejet de l’amendement), la gauche est sous pression de la crise économique, elle est prête à supprimer tout ce qui est perçu comme secondaire ou inutile. Lors du vote 2014, le groupe S&D était majoritairement pour le maintien des subventions à la tauromachie. En 2015, il est devenu majoritairement pour leur suppression. Que s’est-il passé entre temps ? La corrida est apparue pour ce qu’elle est : un puits sans fond pour l’argent public, un monde délabré secoué de fraudes fiscales qu’il n’est plus possible d’étouffer, un spectacle au public raréfié et ringardisé et une horreur injustifiable pour les animaux qui en sont victimes sans aucun alibi autre que pervers. Grâce à la médiatisation des actions anticorrida, que ce soit sur le terrain ou auprès des parlementaires nationaux, il est devenu notoire que la corrida est une activité déficitaire, secouée de scandales financiers, incompatible avec la prise de conscience croissante du bien-être animal et, pour toutes ces raisons, rejetée par une très large majorité de citoyens, y compris dans les régions tauromachiques. Le recul est particulièrement massif en Espagne, ce qui affaiblit d’autant les derniers carrés d’aficionados français ou portugais.

De façon ironique, les eurodéputés mettent ainsi en pratique l’un des arguments les plus éculés des aficionados, lorsqu’ils clament à leurs opposants qu’il y a bien plus important que de s’occuper de la corrida. Message reçu par les eurodéputés : l’argent ira donc sur des sujets « plus importants ».

Les réactions du lobby tauromachique

Sans surprise, les porte-voix des aficionados tentent de sauver la face devant leurs troupes en faisant ce qu’ils savent faire de mieux : nier. C’est ce qu’ils ont toujours fait : l’abrogation de l’inscription de la corrida au patrimoine culturel immatériel ? Mais non, elle n’a pas eu lieu (peu importe ce que dit la Cour administrative d’appel de Paris). Des violences sur les manifestants lynchés à Rodilhan en 2011 ? Mais non, il n’y en a pas eu (peu importe ce que montrent les vidéos). Des animaux suppliciés et achevés pour le plaisir du spectacle ? Mais non, c’est un « combat d’égal à égal » (peu importe ce que subissent les bovins avant de mourir). Un amendement qui supprime les subventions à la tauromachie ? Mais non, les eurodéputés n’ont rien compris (peu importe ce qu’ils ont voté).

Les sites taurins déclarent que « selon certaines sources » (voilà qui est précis), l’amendement ne serait pas légal. Mieux, il n’aurait aucune valeur : d’après l’eurodéputé de droite aficionado Frank Proust qui a voté contre, « la PAC ne finance pas la tauromachie ». Si on le comprend bien, les eurodéputés pro-corrida ont donc voté contre la fin de subventions qui n’existent pas ? Mais alors, tout va bien pour eux, puisque ces subventions n’existaient pas. Et les 438 eurodéputés qui ont voté pour la fin de ces subventions qui n’existent pas sont donc tous des incompétents pour ignorer ce qui est légal ? C’est curieux, quand ils votent sur des milliers d’autres sujets, ils n’ont jamais ce type de remarque.

On peut ajouter que, de plus, pour qu’un amendement arrive jusqu’au vote en séance plénière (c’est-à-dire devant la totalité des eurodéputés), il faut qu’il ait au préalable été adopté en commission (petit groupe d’eurodéputés de tous bords et tous pays qui réfléchissent à de nouvelles propositions pour amender le budget). Le vote en commission est ensuite validé comme conforme juridiquement, avant d’être soumis au vote en séance plénière. Et personne dans cette chaîne de décision n’aurait vu que l’amendement était illégal ? On a du mal à y croire, surtout venant de quelqu’un qui est, rappelons-le, eurodéputé donc partie intégrante de ce système.

Proust poursuit son prétendu argumentaire en décrivant la façon dont les subventions de la PAC sont utilisées à l’heure actuelle – rien de nouveau. Il termine sur la « possible interdiction de la tauromachie » qui serait en question. Or, personne au niveau de l’Europe n’a jamais demandé l’abolition de la corrida, alors pourquoi en parle-t-il ? Parce que c’est de cela qu’ils ont tous peur.

Citons également la réaction de Robert Ménard (maire de Béziers, aficionado, extrême-droite), sur un tout autre mode : il se désole que les subventions à la corrida soient supprimées afin de pouvoir consacrer plus d’argent à la crise des migrants. Ce à quoi Francis Allouchery, secrétaire de la FLAC, lui répond : « Quoi que l’on pense des réponses à apporter à cette crise humaine, il est clair que ces réponses ont un coût. Que ce soit celui de l’accueil et de l’intégration, ou celui de la surveillance et de la sécurité. […] On reproche régulièrement aux « animalistes » de placer les intérêts des animaux avant ceux des humains. Robert Ménard nous démontre que c’est exactement l’inverse : le maire de Béziers et avec lui tous ceux qui souhaitent voir maintenues les subventions européennes aux éleveurs, n’ont strictement rien à faire des nécessités urgentes à faire face à une situation de crise humanitaire exceptionnelle. Mis au pied du mur, leur choix est fait : ils préfèrent voir utiliser l’argent des citoyens européens au financement indirect de spectacles et loisirs mettant en scène la plus extrême maltraitance animale, plutôt que contribuer à apporter des solutions à la détresse et à l’insécurité tragique des hommes ».

L’étape suivante

L’amendement ayant été voté, il doit à présent être transformé en loi. Pour ce faire, un Comité de conciliation composé d’eurodéputés et de représentants des États-membres va se réunir dans les prochaines semaines avec le Conseil européen. Une majorité qualifiée doit être obtenue au Conseil et au Parlement pour que l’amendement devienne applicable.

De toute évidence, les groupes de pression taurins s’agitent déjà pour tout faire capoter. Mais les auteurs de l’amendement, vainqueurs du scrutin, sont également en action pour que la démocratie qui s’est exprimée lors du vote soit suivie d’effet. Nous saurons bientôt si c’est bien elle qui triomphe.

Roger Lahana
Vice-président du CRAC Europe

Annexe : les votes 2015 comparés aux votes 2014

Remarque : le groupe ENF (European National Front) n’existait pas en 2014, il a été créé en juin 2015. Les voix des eurodéputés FN en 2014 sont donc comptabilisées dans les non inscrits (NI).

subv EU 2014 2015 b

 

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *