Bouddha s’effondre de honte

Voilà le film que je veux voir en ce moment ! « Buddha collapsed out of shame », intitulé « Le cahier » en français, dernier film de Hana Makhmalbaf.

A lire, ce bel article de Comme au cinéma.com :

Ouvrez votre Cahier avec la réalisatrice 

Rencontre avec Hana Makhmalbaf, jeune réalisatrice iranienne de 18 ans, dont le film Le Cahier, est un hymne à la culture, un plaidoyer en faveur de l’alphabétisation…

Le titre original du Cahier est « Buddha collapsed out of shame ». D’où cela vient-il ?
C’est une phrase très célèbre de mon père qui a dit que le Buddha n’a pas été détruit par les talibans, mais qu’il s’est effondré de honte. Cela signifie que même une statue faite de pierre et qui n’éprouve pas de sentiments s’effondre de honte devant toute cette violence faite à l’innocence de ce peuple.

Bakthay, prénom de l’héroïne du film, a-t-il une signification particulière ?
Bakthay signifie « petite chance », et c’est le vrai prénom de cette fillette. Et comme j’ai adoré son prénom, j’ai même hésité à intituler le film « Bakthay ».

Comment s’est passé le tournage avec les enfants ?
Ce fût à la fois difficile et plaisant. Il faut savoir que dans cette ville, il n’y a pas de cinéma, ni même de tv régionale. Les enfants n’ont donc aucun rapport avec l’image, ce qui rendait le tournage un peu difficile. Mais du coup, ils oubliaient la caméra et jouaient très naturellement. Ce qui était également très intéressant, c’était la diversité de leurs visages et leur énergie…

Ont-ils vu votre film une fois terminé ? Comment ont-ils réagi ?
Je n’étais pas là quand les enfants l’ont vu… Mais je sais une chose : pendant qu’on tournait, il arrivait que Bakthay ne veuille plus jouer dans le film. Et quand elle l’a vu, elle a décidé de devenir actrice.

Les adultes ne sont pas très présents dans le film. Pourquoi avoir choisi de faire évoluer les enfants dans un tel environnement ?
Tout le film parle de l’influence des adultes sur les enfants. En Afghanistan, les adultes n’ont pas beaucoup de rapports avec leurs enfants. Par exemple, quand un enfant nait et que ça sœur ainée a 5 ans, c’est elle qui va garder le bébé. Leur façon de vivre est comme celle d’autrefois. Ils donnent naissance à de nombreux enfants pour avoir une famille très nombreuse qui va travailler et rapporter de l’argent. Et s’il l’un d’entre eux meurt pendant la guerre, il en reste toujours pour subvenir aux besoins de la famille.

Pourquoi situer l’action à Bamian et non en Iran ? Le tournage en Afghanistan n’a-t-il d’ailleurs pas été trop compliqué ?
Je fais des films sur des sujets qui m’attirent, parmi lesquels des histoires qui se passent en Iran… Les autorités ne me donnent pas d’autorisation pour les faire, mais c’est l’un de mes souhaits les plus chers de tourner en Iran. Et pour le moment, nous n’avons pas l’autorisation de montrer le film en Afghanistan. En ce qui concerne le tournage, on était une toute petite équipe et on tournait avec une caméra digitale, c’était donc beaucoup plus facile de tourner comme ça. Pour ce qui est des autorisations, mon frère, qui est le producteur, s’en est chargé.

Tout au long du film, Bakthay rencontre de nombreuses difficultés et doit surmonter de nombreux obstacles pour aller à l’école pour finalement se faire exclure. Ce parcours est-il une métaphore du chemin que les filles ont à parcourir pour être scolarisées, et plus largement, à la culture ?
Oui. Oui, tout simplement.

Considérez-vous votre film comme un media en faveur de l’alphabétisation des filles ?
Ce n’est pas une publicité. Tout le monde me dit que mon film retrace un parcours totalement opposé au mien, parce qu’à huit ans, j’ai quitté l’école ordinaire, alors que je dis dans mon film que tout le monde doit aller à l’école. Mais tout cela est faux. J’ai quitté l’école ordinaire pour mieux comprendre et apprendre davantage. Et dans Le Cahier, je dis que tout le monde doit aller à l’école, pour que les enfants aient une plus grande culture. Car c’est par cette culture que la violence est vaincue.

Comment se passe l’école en Iran et en Afghanistan pour les filles ?
L’enseignement de l’école ordinaire est principalement religieux… On nous disait
« si vous ne portez pas de foulard, vous irez en enfer ». En Afghanistan, je pense que c’est à peu près pareil. Pour les mathématiques, par exemple, on leur dit « il y a huit communistes, on en tue cinq. Combien en reste-t-il ? ».

Pourquoi avoir insisté sur la violence dans les jeux d’enfants ?
Je voulais montrer le fait que si les enfants jouent déjà à de tels jeux, cela deviendra réalité à l’âge adulte. Quand Bakthay tombe, son cahier tombe aussi et est recouvert par la paille, et c’est à ce moment que le Buddha explose. Et avec ce cahier, c’est la culture qui est enterrée.

Et les pages du cahier sont arrachées les unes après les autres…
Ce cahier symbolise la culture, et tout au long du film, il y a déchirure, y compris quand c’est pour faire le bien : la culture est constamment affaiblie. Pendant 25 ans il n’y a eu que des guerres. Un groupe arrivait, se qualifiant de sauveur, mais avant de sauver il fallait qu’ils détruisent quelque chose. Immédiatement après un autre groupe arrivait, qui se qualifiaient également de sauveur, et qui à leur tour, détruisaient. Personne n’a jamais rien reconstruit.

Abbas suggère à Bakthay de faire semblant de mourir pour être libérée. Cela veut-il dire qu’il faut feindre la mort pour, en quelque sorte, devenir libre ?
Effectivement, avec cette scène, je voulais dire qu’il y a, au cours de la vie, plein de fois où il faut faire semblant d’être mort, où il faut se taire. Se taire, pour ne pas faire part de ses idées qui, ne correspondant pas à une certaine idéologie, pourrait amener à se faire tuer. Je dis communiste, mais ça peut-être musulman, ou je ne sais quoi. Mais quand on pense quelque chose et qu’on est obligé de faire croire qu’on pense autrement, on tue une partie de soi. A l’époque des talibans, tout le monde était taliban, tout de suite après, les Américains sont arrivés et il n’y avait plus de talibans. Ce n’est vraisemblablement pas possible. Les gens étaient obligés de faire semblant d’y adhérer pour survivre.

Comment êtes-vous perçue dans votre pays et en Afghanistan ?
On ne me regarde pas, ni en Iran, ni en Afghanistan. Parce que je suis une femme et que je fais partie de la famille Makhmalbaf. Makhmalbaf est quelqu’un qui critique tout le temps pour que son pays évolue, c’est pour cette raison que nous sommes ignorés. Mon père est, depuis quelques années, parti de son pays pour pouvoir faire des films et dire ce qu’il a envie de dire.

Je ne pense pas qu’être une femme soit difficile spécialement en Afghanistan. Je pense que le fait d’être une femme est difficile sur Terre. Pour moi, mettre un foulard n’est ni difficile ni important. Bien sur, en Iran on est obligées de porter un foulard, mais dans le monde entier ils nous obligent à mettre un foulard sur notre esprit. Par exemple, en Occident, vous pensez que vous êtes libres, mais votre esprit n’est pas vraiment libre. Combien de pays y a-t-il dans le monde, et combien y a-t-il de présidents, et de présidentes ? Il y avait Benazir Bhutto, mais elle s’est faite assassinée. Il y a toujours un homme en tête et les femmes n’ont toujours que la troisième ou quatrième place.

Réaliser est-il une vocation ou cela résulte-t-il de votre histoire familiale ? Envisagez-vous de faire ce métier toute votre vie ?
Je suis amoureuse du cinéma depuis que je suis toute petite. En tant que femme iranienne de 18 ans, et étant donné tous les problèmes sociaux, culturels et politiques dont je suis quotidiennement témoin, je pense avoir beaucoup de choses à dire, mais aussi à écrire. Pour le moment, je n’ai pas l’autorisation du gouvernement de faire des films. Cette histoire ne va peut-être pas aider mes compatriotes, mais elle m’aide à me sentir plus légère et à continuer ma route. Mais il se peut qu’à cause de raisons politiques mon père, ma sœur ou même moi-même ne puissions plus faire de films… Du coup, je suis arrivée à cette idée de me dire qu’un réalisateur n’est pas quelqu’un qui fait un film, c’est quelqu’un qui ne sait pas vivre autrement qu’en faisant des films.

Propos recueillis par Camille Couderc (Paris, Février 2008)

 

http://www.commeaucinema.com/interview=ouvrez-votre-cahier-avec-la-realisatrice,107030.html

Film qui se termine par une phrase d’un homme qui s’adresse à la jeune fille et dont je vous laisse seuls juges :

«  Fais la morte et tu seras sauvée… »

 

Anti, sauvée.

10 Replies to “Bouddha s’effondre de honte”

  1. Anna Galore

    Ce matin sur La Matinale de Canal+, Xavier Leherpeur a présenté ce film comme étant absolument à voir. La bande-annonce m’a clouée d’émotion.

  2. Slayeras

    Oui la bande-annonce laisse une impression étrange. Ca peut pas laisser indifférent. Et dire que les enfants chez nous, se plaignent d’aller à l’école !

  3. Anna Galore

    Oui, ça fait vraiment voir les choses d’un oeil très différent. On réalise à quel point les choses les plus banales pour nous peuvent encore être hors de portée de la plupart (et surtout des femmes) dans certaines régions du globe.

  4. anti

    Un sujet à voir le jeudi 3 septembre dans le cadre du magazine Envoyé spécial : un reportage signé Gilles Jacquier sur l’école en Afghanistan.

    Prendre le chemin de l’école, une routine partout dans le monde mais pas en Afghanistan. Shamsia en sait quelque chose. Vitriolée par les Talibans,cette jeune écolière a été brûlée vive à l’acide. Gilles Jacquier est parti pour « Envoyé Spécial » dans la province de Kandahar à la rencontre de ces écolières et de ces professeurs qui chaque jour défient l’ordre des Talibans : 8 ans après la chute de leur régime, les étudiants en religion s’opposent toujours à l’école.

    L’insurrection menée par ces fondamentalistes a désormais, pour cible de guerre, l’éducation. Assassinats de professeurs, écoles brûlées, les attaques se multiplient et les soldats de la coalition doivent faire face à un nouveau front. Dans la province de Kandahar, l’insécurité oblige même les familles à cacher leurs enfants pour apprendre. La pauvreté, l’analphabétisme, et la loi tribale multiplient les obstacles à l’éducation…

    http://www.leblogtvnews.com/article-35069170.html

    anti

  5. anti

    Alors, ce film, j’ai fini par l’acheter. Nous l’avons visionné dernièrement. C’est très particulier le cinéma iranien en termes techniques 😉 mais quelle claque !

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