Il était une fois Antioche, par Tarik Yildiz

Auteur aux Editions du Puits de Roulle et ami, Tarik Yildiz, sociologue, notamment auteur de De la fatigue d’être soi au prêt à croire, vient de publier un très beau texte sur Antioche, la patrie de sa famille durement touchée par les séismes du mois dernier, pour Le laboratoire de la République. Je le pose ici.

6 mars 2023 — Il était une fois Antioche, par Tarik Yildiz

Il y a un mois, le 6 février 2023, la Turquie était victime de deux séismes dévastateurs et meurtriers. Plus de 50 000 personnes auraient perdu la vie. Tarik Yildiz, sociologue, notamment auteur de « De la fatigue d’être soi au prêt à croire » (Editions du Puits de Roulle), né de parents d’origine turque, témoigne de l’ampleur des destructions à Antioche, le « berceau des civilisations ».

Les habitants aiment rappeler aux visiteurs qu’Antioche est « le berceau des civilisations ». On vante les vestiges de l’empire Romain, le seul village arménien de Turquie, la présence d’une des rares synagogues d’Anatolie, d’églises variées –comme la fameuse grotte Saint-Pierre-, de lieux de culte divers respectés par tous… Une « mosaïque de peuples » compose cette ville si particulière érigée en modèle de tolérance par tous ceux qui l’ont côtoyée.

Ce petit havre de paix, cette parenthèse en plein Moyen-Orient où l’on se croit tantôt à Rome tantôt dans le vieux Paris des ruelles tortueuses, dans laquelle personne ne se mêle de la confession des autres, où il n’est pas rare de voir des groupes d’amies se promener en pleine nuit tellement les environs transpirent la tranquillité, a été terriblement touché –tout comme de nombreuses autres provinces de Turquie et de Syrie- par les tremblements de terre du mois de février.

Une douceur de vivre qui laisse sa place au tragique

Le bilan provisoire de près de 50 000 morts pourrait avoisiner les 100 000, dont une part non négligeable concerne Antioche. Les répliques continuent de secouer la ville désormais fantôme. Les habitants qui ne veulent ou ne peuvent quitter les lieux dorment dans des voitures, des tentes ou, pour les plus chanceux, dans des conteneurs de fortune.

Des familles entières ont disparu sous les décombres. Des miraculés se retrouvent orphelins, seuls survivants de fratries souvent nombreuses. Les uns se demandent pourquoi ils ont survécu, les autres prient le ciel de leur donner le courage de continuer à vivre. On ne croise plus que des soldats en patrouille dans cette ville rebelle et profondément laïque.

La mort est visible dans tous les recoins de la région : le contraste avec cette cité où la douceur de vivre s’exprimait partout, du climat jusqu’au caractère des habitants, est terrifiant. Plus de chants, plus de gastronomie si raffinée qui embaume l’air des rues, plus de joie de vivre… Seuls le paysage lointain et ses monts fertiles tiennent encore debout, semblant contempler le désastre avec gravité.

Une solidarité française appréciée, qui pourrait être encore plus forte

A la fin des années 1920, le capitaine Pierre May, évoquant la population locale, indiquait : « Tâche délicate que celle de vouloir lever le voile qu’il s’est imposé jusqu’à ce jour […]. Tâche délicate que de parler de ceux qui n’aiment pas que l’on parle d’eux ».

Cette même pudeur se lit sur les visages dignes des rares passants endeuillés près de cent ans après l’écriture de ces lignes. Ceux qui quittent la ville ont parfois honte de dire qu’ils viennent d’une zone sinistrée, souhaitant éviter de lire la pitié dans les yeux de leurs interlocuteurs, pourtant bienveillants.

La France, comme d’autres pays, a fait preuve de solidarité dès les premiers instants. Des équipes françaises ont aidé à sortir les cadavres de sous les décombres, permettant d’acter la douloureuse réalité pour les proches. Au-delà d’une aide supplémentaire globale permettant à certaines familles de Turquie de séjourner quelques semaines en France le temps de bâtir de nouveaux foyers (possibilité offerte par d’autres pays européens), la profondeur des liens entre la France et la région pourrait suggérer des actes encore plus forts pour aider à la restauration (monuments historiques, mosaïques romaines et autres constructions antiques…).

« Passer quelques semaines en dehors de la ville pour surmonter le deuil, oui, mais nous ne pouvons vivre durablement qu’ici » répètent en cœur les victimes qui n’ont qu’une seule obsession : reconstruire la cité et son patrimoine. Dans une des rues du centre-ville, on peut encore lire cette citation du poète Nâzim Hikmet entre les fissures : « Vivre comme un arbre, seul et libre. Vivre en frères comme les arbres d’une forêt ». Espérons qu’Antioche -comme les autres régions touchées-, renaîtra de ses cendres pour exposer au monde son paysage humain, aussi divers et libre qu’unique.

Anti

3 Replies to “Il était une fois Antioche, par Tarik Yildiz”

  1. Terrevive

    Devant de tels drames, je reste comme immobilisée, ne sachant quels mots dire ! C’est tellement dévastateur.
    Mais je souhaite de tout cœur une renaissance d’Antioche.

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