Emmanuel Ransford

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Ce soir samedi 27 février, c’est une conférence avec le physicien Emmanuel Ransford que nous propose Jean-Gabriel au Temps du Corps. Je n’ai malheureusement pas eu le temps de me renseigner plus avant, pas plus que de lire « Les racines physiques de l’esprit » que nous avait prêté Sapotille mais je ne doute pas que cela va être passionnant encore une fois.

En revanche, j’ai trouvé un entretien avec Emmanuel Ransford sur le site actu-philosophia, par Thibaut Gress, daté du 7 janvier 2010.

Entretien avec Emmanuel Ransford : Autour de la nouvelle physique de l’esprit

Actu-Philosophia : Avant toutes choses, je souhaiterais que vous vous présentiez afin de savoir quelle a été votre formation, et quelle est votre activité aujourd’hui.

Emmanuel Ransford : Ma formation est scientifique. Plus précisément, j’ai étudié la mécanique quantique et j’ai également fait de l’économie. Au cours de mon parcours professionnel, j’ai porté les deux casquettes – parfois physicien, parfois économiste (!) – mais en fait, je poursuivais une recherche pour moi fondamentale : la « recherche du sens ». Et pour cela, il va de soi que la physique quantique est bien supérieure à l’économie. Aujourd’hui, je consacre mon temps à écrire et à faire connaître mon approche. J’ai deux nouveaux livres en cours, un en français et un autre en anglais.

AP : Donc vous vivez aujourd’hui de vos conférences et de vos ouvrages ?

ER : Oui, en partie. Mais qui vit bien de sa plume aujourd’hui, hormis les célébrités et les romanciers à succès ?

A : Questions de méthode

AP : Je voudrais commencer par la méthode ; votre ouvrage est très souvent émaillé par des citations de poètes exprimant métaphoriquement certaines idées que vous souhaitez développer rationnellement ; je souhaitais donc savoir quelle était la part de rationalité que vous attribuiez à l’usage de la métaphore dans un cadre scientifique. A-t-elle une dimension purement fonctionnelle, auquel cas elle servirait à faire passer un message, ou est-elle plus fondamentale que cela ?

ER : Ma première ligne de réponse serait de dire que c’est plutôt formel, que c’est pour faire passer des messages sur des problématiques assez ardues et assez abstraites. Je pense par ailleurs que tout le monde est capable de comprendre les choses, à condition qu’on les mette dans le bon langage. Il y a cette opposition connue entre le cerveau gauche (rationnel) et du cerveau droit (intuitif). La science s’adresse évidemment au cerveau gauche, mais pour faire passer les choses on doit les transcrire dans le langage du cerveau droit. C’est cette transcription que j’ai tenté de faire. Ma deuxième ligne de réponse est que, même en science, il y a un « au-delà de la rationalité ». Cet au-delà est de l’ordre de l’inspiration poétique et métaphorique. Elle est une source précieuse de sauts quantitatifs (ou de « sauts quantiques » si vous préférez) dans notre compréhension du monde. D’innombrables grandes découvertes scientifiques sont passées par le cerveau droit, qui a donc sa raison d’être, même en science. D’ailleurs, les « vrais » scientifiques, les « vrais » chercheurs et les « vrais » créateurs ont un génie propre qui déborde toujours des confins de la rationalité. La rationalité seule est assez stérile ! La sève de la vie ne coule guère dans ses veines (si je puis m’exprimer ainsi).

AP : Oui, mais il y a une dimension surprenante à un tel usage des métaphores car lorsque l’on fait un petit peu d’épistémologie, la première chose que l’on apprend, c’est le refus des métaphores en science : Bachelard, dans La formation de l’esprit scientifique associait celles-ci à l’expérience primaire au sens de primitive, et il construisit un ensemble de remparts contre cette tentation qui est la conséquence hélas inévitable du substantialisme ; je cite Bachelard : « Dès que l’esprit accepte le caractère substantiel d’un phénomène particulier, il n’a plus aucun scrupule pour se défendre contre les métaphores. » [1] Est-ce qu’il faut en conclure qu’au-delà des nouvelles hypothèses que vous proposez, c’est à une nouvelle épistémologie que vous souhaitez parvenir, plus métaphorique, dans laquelle la place même de la poésie et de la métaphore serait accrue ?

ER : J’utilise les métaphores d’abord pour faire passer des concepts scientifiques assez difficiles, étant donné que je suis à la fois dans une démarche de vulgarisation et en même temps je propose une refondation de la physique quantique si bien que je ne peux pas me contenter de phrases vagues, je suis obligé de rentrer dans le détail des choses et je propose donc un habillage pour être abordable par le plus grand nombre. Mon usage, si vous préférez, n’est pas à visée épistémologique, mais pédagogique. En revanche, l’erreur serait de rester au plan métaphorique de bout en bout. De confondre la métaphore avec une vérité scientifique qu’elle n’est pas et n’a pas pour rôle de porter. Il faut tôt ou tard « oublier » la métaphore pour revenir au rationnel (sauf pour ceux qui ne cherchent qu’à acquérir une compréhension générale du sujet : c’est parfaitement leur droit). Là commence le travail authentique du scientifique. Basé sur la rigueur et sur l’esprit critique, si important !

AP : Est-ce que cela ne risque pas d’induire en erreur le lecteur ? Il y a un philosophe très célèbre, que vous citez avec bienveillance, qui avait mis en garde contre cette tentative de métaphoriser l’ensemble des phénomènes naturels, d’attribuer par exemple une intentionnalité ou une subjectivité à la nature ; il prenait un exemple très simple, à savoir : si je dis que « j’ai soif », j’ai un énoncé qui est réel, tandis que si je dis que « la pelouse a soif », je suis dans la métaphore et j’exprime une intentionnalité de la pelouse comme si elle avait soif, mais c’est un abus de langage qui induit en erreur : comme dit Searle avec raison, « Si vous niez la distinction, tout dans l’univers finit par avoir une intentionnalité. » [2] Est-ce que le fait d’attribuer une subjectivité à la nature, en tout cas aux particules, ne procède pas de cette « intentionnalité comme si » que dénonce Searle, et qui est finalement très peu scientifique et absolument pas démontrable ?

ER : Le « tout se passe comme si » est une phrase usée et abusée chez les physiciens. Par ailleurs, je dirais qu’une métaphore est toujours une approximation d’une vérité. Ne lui faisons pas dire plus qu’elle ne peut. Elle est un outil pédagogique qui permet de comprendre dans les grandes lignes. La carte, c’est bien connu, n’est pas le territoire. Dans mon livre, j’emploie les métaphores un peu à la manière d’un conte qui pourrait être lu à plusieurs niveaux. Ceux qui veulent vraiment approfondir et connaissent les fondements du formalisme quantique ont les annexes, qui précisent les choses dans le langage de la physique. La majorité des lecteurs n’approfondira pas jusque là, mais comprendra quand même l’essentiel. Justement par le biais des métaphores, qui s’adressant au cerveau droit. Les détails formels et scientifiques s’adressent au cerveau gauche. Il y a une phrase que j’aime beaucoup, que citent souvent les Anglais : The devil is in the details. Il faut donc se méfier des métaphores, du « comme si » et des grandes (et vagues) idées. Et les dépasser. C’est pourquoi, à l’usage de ceux qui ont une culture scientifique, qui sont capables d’aller au fond des choses, j’ai mis des annexes.

AP : Il y a plusieurs strates de lecture possibles.

ER : Absolument. J’ai essayé de structurer mon livre en sorte que chacun puisse y prendre le niveau de compréhension qu’il souhaite, sans déformer les choses de façon foncière. Du moins je l’espère. Concernant la physique quantique, de toute façon, même les physiciens me paraissent bien souvent être dans la déformation et le contresens (à mon humble avis, qui n’engage que moi !).

B : Questions philosophiques

AP : Il y a une métaphore qui revient de manière récurrente dans votre ouvrage, qui est celle de l’ampoule et de la lumière. Cette métaphore rappelle vraiment celle de Bergson que je me permets de citer : « Un vêtement est solidaire du clou auquel il est accroché ; il tombe si l’on arrache le clou ; il oscille si le clou remue ; il se troue, il se déchire si la tête du clou est trop pointue ; il ne s’ensuit pas que chaque détail du clou corresponde à un détail du vêtement, ni que le clou soit l’équivalent du vêtement ; encore moins s’ensuit-il que le clou et le vêtement soient la même chose. Ainsi la conscience est incontestablement accrochée à un cerveau mais il ne résulte nullement de là que le cerveau dessine tout le détail de la conscience, ni que la conscience soit une fonction du cerveau. » [3]

ER : Oui, je pense que j’ai cité exactement ceci dans mon livre, ou alors, en réduisant le livre, il est possible que cette référence à Bergson ait sauté. Plusieurs métaphores sont envisageables, mais le cœur du problème est celui du cerveau conscient. Les neuroscientifiques posent (je crois) mal le problème, aussi bien du côté des athées que des spiritualistes puisque, pour faire simple, on est dans la seule alternative suivante. Soit la conscience cérébrale est matérielle et immanente : c’est le point de vue matérialiste. Soit la conscience est un phénomène transcendant et immatériel : c’est le point de vue spiritualiste. Je suis intermédiaire entre les deux. En effet, je prends d’un côté l’immanence (qui implique la possibilité d’une approche scientifique du fait mental), et de l’autre je prends le côté immatériel. J’appelais d’ailleurs à un moment ma théorie « im-im », « immatériel-immanent ». Je fais de la conscience un phénomène à la fois immatériel – en un sens précis que j’indiquerai – mais néanmoins immanent. Je ne fais appel à aucune instance surnaturelle pour la conscience. Mon hypothèse « im-im » me place en position intermédiaire entre les deux extrêmes du matérialisme et du spiritualisme.
Sur le fond, l’histoire de la lampe est avant tout une manière de dénoncer certaines « bêtises » que l’on entend dans les neurosciences. Par exemple, on entend souvent que la conscience est le cerveau en marche, qu’elle est au sens de l’identité le cerveau. Changeux dit des choses de ce genre-là, et il n’est pas le seul. Je dis que c’est aussi stupide que si l’on disait que la lumière est la lampe qui la crée. Certes, je pourrais m’exprimer plus diplomatiquement….

AP : Vous développez donc le même argument que Bergson.

ER : Absolument ; mais jusqu’à un certain point seulement. C’est le même argument, à ceci près que la lampe me permet d’aller un peu plus loin. Voyons cela. La matière de la lampe n’est pas différente de la matière qu’on trouve ailleurs. Son secret ne réside pas dans une matière particulière qui serait la sienne, et qui expliquerait sa capacité à émettre de la lumière. Cette capacité est vient au contraire du fait que la lampe réalise les conditions d’émission d’actualisation d’un potentiel inhérent à toute matière, celui d’émettre de la lumière. Je comprends de même que le cerveau conscient est une structure qui réalise les conditions d’émission ou d’actualisation d’une potentialité qui (dans mon hypothèse) est latente dans la matière normale. Latente et universelle. Cette potentialité est celle de l’apparition de la conscience ou, plus généralement, du psychisme (qui englobe l’inconscient et le pré-conscient). Donc, ma métaphore suggère une certaine façon de comprendre le mystère du cerveau conscient.

AP : Oui, mais au risque d’insister sur cette métaphore, je dois dire que je ne l’ai jamais comprise, elle m’a toujours paru fonctionner à vide.

ER : Elle revient à dire qu’une corrélation n’est pas une identité.

AP : Cela, je le comprends très bien. Mais ce que je ne comprends pas, c’est la pertinence de la métaphore : Bergson et vous-même voulez montrer qu’il y a deux ordres de réalité différents : un ordre matériel et un ordre de l’esprit, sachant que l’ordre matériel donne naissance à l’ordre de l’esprit sans que ce dernier ne soit identique à l’ordre matériel. Cela, je le comprends fort bien. Chez vous, l’ampoule donne naissance à la possibilité énergétique de la lumière, mais l’ampoule n’est pas la lumière. Mais ce qui ne me convainc pas, c’est le fait que le clou et le marteau, ou l’ampoule et la lumière, appartiennent au même domaine de réalité : ils sont tous absolument matériels, si bien que cette métaphore me semble inapte à maintenir une différence quant aux ordres de réalité : la métaphore ne fonctionne que parce qu’on abolit dans les objets retenus ce qui justement pose problème, à savoir les différents ordres de réalité.

ER : Non, cette métaphore n’implique rien, dans mon esprit en tout cas, quant à l’identié – ou au contraire l’hétérogénéité – entre les ordres de réalité. D’ailleurs, je crois qu’ils dépendent en partie de nos catégories mentales, qui comportent de l’arbitraire. Si par exemple vous décrétez que la matière est la seule matière pesante, alors la lumière, qui n’est pas pesante, n’est donc pas matérielle en ce sens-là. Tout cela est arbitraire, c’est une question de définition. Vous pouvez à présent dire que la lumière est qualitativement différente de la matière, et vous avez donc une structure matérielle capable d’engendrer quelque chose de différent. Mais j’en profite pour rappeler qu’une métaphore n’est jamais exacte à 100 %. La carte, métaphore graphique du territoire, n’est pas le territoire. C’est juste une voie d’accès, une approximation de la vérité, qui permet à certains d’accéder à l’essentiel d’un message. Sans entrer dans ses détails plus ou moins subtils.

AP : Oui, je suis d’accord, mais il n’en demeure pas moins que la validité de la métaphore repose tout entière sur une pétition de principe : on prend pour acquis ce qui est très problématique, on évacue le problème, que ce soit chez Bergson ou chez vous puisqu’on crée une métaphore qui évite de penser ce problème : comment deux ordres de réalité différents peuvent être corrélés ? Le problème de Bergson est précisément de penser à la fois la solidarité de deux éléments et leur différence ontologique : mais au lieu de cela, il pose d’emblée une communauté ontologique (le clou et le manteau), et je crains que la métaphore que vous prenez pour illustrer la même idée fonctionne de la même manière ; je vous cite : « Le cerveau sera alors conçu comme une machine à produire de la conscience, sans que cela implique la nature matérielle de cette dernière. Exactement à la manière dont une lampe, faite de matière solide et pesante, est néanmoins capable de produire de la lumière, qui est énergie pure et sans masse. » [4] On a le même problème : l’ampoule et la lumière ne sont pas strictement identiques, bien sûr, mais dans les deux cas on est dans ordre matériel, l’énergie pure est quantifiable, elle est objectivable, elle est matérielle, tout comme l’est l’ampoule. Par conséquent, on ne se demande plus comment ce qui est de deux ordres de réalité différents peut entrer en contact ou peut être corrélé, on prend au contraire la possibilité du contact comme acquise, parce qu’on écrase en fait la différence ontologique des deux éléments, alors même qu’elle devrait poser problème. Le clou et le manteau sont en contact parce qu’ils appartiennent tous les deux à la matière ; or, si la conscience est immatérielle, et le cerveau matériel, la question du contact se pose de manière très différente que dans le cas du clou et du manteau ou de l’ampoule et de la lumière.

ER : Cette métaphore est simplement une réaction par rapport à ceux qui identifient purement et simplement conscience et cerveau ; alors je leur dis que c’est comme si vous disiez que la lampe et la lumière sont la même chose. Or une telle identification est stupide, on le sait instinctivement.

AP : Oui, tout cela je le comprends ; mais je considère juste que cette métaphore n’est pas valide, précisément en raison de l’oubli de la différenciation ontologique des éléments qu’elle utilise (la lumière et l’ampoule ne sont pas ontologiquement différentes), alors même qu’elle est censée prouver la non-identité des deux termes, leur différence ontologique (la conscience est immatérielle, le cerveau est matériel). Bref, je ne vois pas bien en quoi ça réfute réellement la thèse matérialiste puisque la métaphore est obligée pour fonctionner, c’est-à-dire pour penser la corrélation, de prendre deux éléments qui appartiennent nécessairement au même ordre de réalité. Et le matérialisme ne dit rien d’autre.

ER : Ecoutez, je me permettrai modestement de dire que ça ne vaut pas la peine qu’on en fasse une telle histoire. Je rapelle deux choses cependant. D’une part, ma métaphore, contrairement je crois à celle de Bergson, invite à comprendre le cerveau (ou la « lampe à conscience ») comme un outil de production d’autre chose – la conscience – SANS préjuger de l’identité ontologique, ou non, entre les deux. D’autre part, je suis un peu perplexe sur ce que vous dites sur la possibilité du contact entre matière (cérébrale, ou autre) et la conscience. Car ce contact est au coeur de mon livre, dont le but premier est précisément de proposer une solution à cette énigme. Ce n’est rien de moins que son sujet central ! Je crois pouvoir la résoudre, en m’appuyant sur la physique quantique (dépouillée des confusions et contresens qui l’entourent) et la notion de psychomatière. Tout mon livre est là… et je suppose que cela ne vous a pas échappé. En fait, je commence à douter : ai-je été suffisamment clair pour le lecteur ?


AP : D’accord. Alors revenons à la question de l’immatérialité ; selon vous la conscience est immanente et immatérielle. Mais à la fin de votre ouvrage, vous affirmez que cette hypothèse est « potentiellement testable » [5] Comment peut-on tester de l’immatériel ?

ER : Je crois opportun de rappeler que le mot « immatériel » a pour moi le sens précis de : « qui ne vérifie pas les mêmes lois comportementales (déterministes) de la matière ». Ceci étant dit, il y a deux terrains privilégiés pour les tests expérimentaux : celui de la physique et celui des neurosciences. L’un comme l’autre nécessiteront la mise en oeuvre de moyens importants. En physique, il y a notamment le problème de la mesure et celui (en fait lié au précédent) de la dualité onde-corpuscule. Ce que j’en dis, qui se démarque de la vision officielle, est testable. Par exemple, quand je dis qu’un saut quantique ou une transition quantique est le même phénomène qu’une réduction du paquet d’onde [6], cette affirmation est potentiellement testable. La psychomatière, quant à elle, est un peu comme l’eau : elle peut être liquide ou solide. Une même substance peut avoir deux états, ou deux visages possibles. En l’occurrence, j’appelle les deux états de la psychomatière « l’état matière » (qui est son état normal) et l’état « paral » [7]. Cet état paral vérifie d’autres caractéristiques que la matière ordinaire : il est a-relativiste. Il est en plus discontinu, irréversible et aléatoire, car il est endo-causal (c’est en ce sens précis qu’il est immatériel). Etre a-relativiste, cela implique notamment qu’il ne subit pas le champ de gravité. Si on arrivait à fabriquer une quantité importante de paral, on pourrait mesurer qu’il y a soustraction du champ de gravité par rapport à l’état matière (qui, lui, contribue évidemment au champ de gravité). Tout cela relève de la physique.

Dans le champ des neurosciences, si le paral est vraiment le matériau de la conscience, on peut aussi en tester les diverses implications. Voici quelques idées parmi d’autres. On peut envisager de tester les conditions de production de la conscience, telles que ma théorie les envisage. On peut notamment chercher à vérifier l’existence (ou non) des paralgènes. De même, on peut vérifier la validité de ce que je propose sur la nature de la mémoire, telle qu’elle découle de mon approche (voir à nouveau mon livre La nouvelle physique de l’esprit). Autre idée, on peut utiliser une propriété quantique connue [8]pour créer des « communautés de conscience » non locales, dont l’unité psychique sera facile à vérifier….

AP : Vous prévoyez cela sur combien d’années ?

ER : Il y a plusieurs étapes à franchir. La première est d’intéresser les gens – et des chercheurs plus précisément – à cette théorie. Y parvenir est déjà là un challenge énorme, dont je souligne les difficultés dans la préface de mon deuxième livre (co-rédigé avec Tom Atham et intitulé Les racines physiques de l’esprit). Il faut qu’une idée nouvelle soit défraîchie pour qu’elle ait des chances d’être acceptée. C’est ainsi, il faut l’accepter. Donc je dirai qu’il faut que mon approche soit déjà un peu connue, que des gens s’y intéressent ; et enfin, qu’on décide que cela vaut la peine d’aller plus loin et d’effectuer des tests. Cela peut prendre dix, vingt, trente ans. Pour l’instant je n’en sais rien !

AP : De manière générale, pour rester dans les questions philosophiques, je me suis demandé en vous lisant, si vous n’essayiez pas, plus ou moins explicitement, de réhabiliter ou de repenser ce que l’on avait appelé au XIXème siècle une Naturphilosophie, et plus particulièrement une forme d’idéalisme objectif, comme Schelling l’avait pensé. Ce dernier, dans un certain nombre d’ouvrages de jeunesse, avait voulu montrer que la régularité même de la nature n’était intelligible que si l’on attribuait à celle-ci quelque chose comme une subjectivité réelle, dont il annonçait ainsi le programme : « il existe une productivité inconsciente – mais primitivement apparentée à la productivité consciente – dont nous voyons le pur et simple reflet dans la nature. » [9] Est-ce une façon de renouer avec ce type de propos ?

ER : S’agit-il d’une forme de « crypto-panpsychisme » ? Sur le panpsychisme, je tiens à dire que je m’en éloigne en ceci que j’essaie de rendre ma théorie suffisamment précise pour être opérationnelle. C’est-à-dire, pour dépasser le niveau des paroles « gratuites ». Très personnellement, les grandes idées sur la subjectivité omniprésente ne me convainquent pas tout à fait. En tout cas, je ne puis m’en satisfaire (sans pour autant les rejeter : il s’agit au contraire, pour moi, de les dépasser pour en extraire quelque chose d’opérationnel, prélude à des applications concrètes, ou techniques si vous voulez). Je dirais que dans ma théorie, je mets certes une forme de subjectivité agissant au niveau le plus rudimentaire de la réalité ; mais je commence par montrer en quoi elle est peut-être indispensable à la cohérence même du monde [10]. De façon plus métaphysique je montre, à partir d’une réflexion sur ce que j’appelle l’ur-causalité [11], pourquoi un monde entièrement déterministe, entièrement exo-causal est dénué de sens, en tant qu’ »impossibilité ontologique ». Il est fondé sur une impasse logico-conceptuelle. C’est en tout cas ce que je crois. Si, à l’inverse, on introduit la souplesse de l’endo-causalité (qui s’accompagne d’une certaine forme de subjectivité), alors on voit poindre une réponse possible à l’énigme de Leibniz : « pourquoi y a-t-il quelque chose plutôt que rien ? » Par ailleurs, dans l’état matière – qui est l’état normal de la psychomatière – le psychisme est totalement inconscient. Il a donc la virtualité d’une subjectivité, mais il n’y a pas de subjectivité en acte. Je ne suis pas en train de dire que ma chaise, le livre, etc., ont une subjectivité en tant que telle. La subjectivité ne va naître que dans des conditions très spécifiques et très restrictives. Par conséquent, bien que vu de loin, ce soit la même idée que Schelling, je ne sais pas si on peut nous mettre dans la même case. Là encore, tout dépend ce que qu’on met dans (ou derrière) les mots.

AP : Oui mais justement ; Schelling disait que la productivité était « inconsciente », et que le reflet de cette productivité inconsciente était la nature. Plus précisément, en 1799, il accordait à la nature un double statut, celui d’objectivité et celui de subjectivité ; la science étudie l’empirie, c’est-à-dire l’aspect objectif de la nature, et la philosophie en saisit la subjectivité. « La nature écrit Schelling, comme simple produit (natura naturata), nous l’appelons la nature en tant qu’objet (c’est à elle seule que se rapporte toute empirie). La nature comme productivité (natura naturans), nous l’appelons la nature en tant que sujet (c’est à elle seule que se rapporte toute théorie). » [12] Etes-vous prêt à reprendre une telle métaphysique spéculative de la nature ?

ER : Oui, dit comme cela, je le rejoins mais je le rejoins en tant qu’hypothèse scientifique. Question de « culture » c’est-à-dire de formation (donc de « formatage », de déformation acquise de mon moule mental !), j’ai toujours un peu de mal avec les formulations purement philosophiques…

AP : Est-ce que vous considérez alors comme indispensable une métaphysique pour comprendre le fonctionnement de la physique ?

ER : A un certain niveau, quand la physique débouche sur des problématiques vraiment fondamentales, je dirais que oui. (D’ailleurs, soyons honnêtes et lucides : la métaphysique est toujours bien présente, explicitement ou implicitement.) Dans la mesure où l’on veut avoir une compréhension de la réalité comme un tout, on arrive forcément à la métaphysique. Quant à moi, je ne suis pas parti du plan métaphysique, mais j’y suis remonté. Sans doute à l’inverse de Schelling, et parce que je ne suis pas un philosophe, je n’ai posé aucune métaphysique globale au départ. J’ai d’abord posé une image limitée (celle de la psychomatière, caractérisée par son endo-causalité), puis je me suis aperçu que ça m’amenait vers des problématiques plus profondes et plus vastes. J’ai fait le choix d’être économe en présupposés : je découvre au fur et à mesure là où les choses m’emmènent, sans présupposés métaphysiques a priori. Je suis le chemin que mes réflexions paraissent vouloir tracer. Je suis la chaîne « spontanée » des implications de ma démarche, au fur et à mesure qu’elles apparaissent ; et dans une forme de lâcher prise (j’ai une aversion aux dogmatismes et aux certitudes prématurées, qui peuvent fausser les choses !).

C : Questions physiques

AP : Nous allons à présent entrer dans la réalité elle-même. Si j’ai bien compris votre démarche générale, vous partez d’une interrogation sur la physique quantique et sur les énigmes qu’elle suggère, notamment quant au sens à attribuer à la matière. Puis, vous appliquerez à l’esprit ce que vous avez découvert à l’aide de la physique quantique.

ER : Oui, on peut résumer ainsi. Je m’appuie au départ sur deux mystères. Le premier, c’est celui de la conscience ; le second est celui de la physique quantique. Quand vous grattez un peu, vous voyez rapidement que l’interprétation officielle du « quantique » est bancale, it doesn’t fit. Il y a quelque chose qui ne va pas, et c’est la raison pour laquelle il y a eu de nombreuses interprétations de la théorie. J’aperçois sur votre bureau Le réel voilé de Bernard d’Espagnat, qui propose une interprétation. L’Ecole de Copenhague en propose une autre, et ainsi de suite : il existe de nombreuses interprétations, plus ou moins sérieuses. Je crois en tout cas que toutes souffrent d’une béance quelque part. Aucune n’est pleinement satisfaisante. Aucune, d’ailleurs, n’emporte le consensus franc et massif de la communauté scientifique. On n’a, au mieux, qu’un consensus mou ; qui peut varier au fil du temps. Pendant longtemps ce fut l’interprétation de Bohr (dite l’Ecole de Copenhague) qui régna. Une interprétation due à Hugh Everett, dite « des mondes multiples », a rallié les suffrages des cosmologistes et des astrophysiciens. Il semble qu’aujourd’hui une théorie, dite « de la décohérence », gagne du terrain ; jusqu’à ce qu’elle soit à sont tour supplantée par une autre. Nous avons des phénomènes de mode. C’est l’indice qu’il y a un malaise persistant. Ce dernier est loin d’avoir disparu.

Mon point de départ a été de me dire : si la réalité est psychophysique, s’il y a une strate de la réalité qu’on peut appeler le psychisme, qui serait le ferment qui conduit dans certaines conditions à la conscience, la fonction biologique sensori-motrice me montre alors qu’il y a une interface, un dialogue possible entre ces deux strates (que je suppose – c’est mon hypothèse fondamentale – non réductibles l’une à l’autre). Elle me montre qu’entre la dimension matérielle et la dimension psychique, il y a comme un double-crochet qui permet ce dialogue. Réfléchissons à ce que cela implique : ça veut dire que dans la matière, il y a un petit crochet qui dépasse. Ce crochet lui permet de dialoguer avec une altérité qui, puisqu’elle est psychique, n’est plus matérielle. Alors, de deux choses l’une : soit la physique n’a pas trouvé cette interface, elle nous ne pourrons pas aller plus loin tant que ce sera le cas. Soit elle l’a trouvée. Dans ce cas, cette interface se distingue par ses propriétés singulières. Singulières car… par tout-à-fait matérielles ! Ces propriétés seront qualitativement différentes des propriétés usuelles de la matière, qui sont purement physico-physiques. A mon humble avis, nous sommes dans ce deuxième cas depuis que la physique est devenue quantique. Et c’est justement cela qui pose problème, parce que les physiciens n’ont pas compris. Ils sont prisonniers de leur paradigme matérialiste. Ils ne reconnaissent que le physico-physique, alors qu’il existe aussi le psycho-physique. S’ils ont trouvé cette interface, ils sont comme la poule qui a trouvé un couteau, ils sont face à de l’ininterprétable. Face à de l’inintelligible. Faute du référentiel conceptuel adéquat. Le référentiel matérialiste, trop étroit, crée des problèmes conceptuels quand on veut l’appliquer au psycho-physique. C’est inévitable.
Ensuite, il me fallait donner un contenu au psychisme et le caractériser dans sa singularité. C’est pourquoi je l’ai décrit comme « endo-causal ». Contrairement au déterminisme, qui est objectif (et qui est exo-causal dans ma terminologie), l’endo-causalité est de l’ordre de la subjectivité. C’est un contenu privé, comme la privacy of mind des anglo-saxons. Elle est inaccessible à un observateur extérieur.

AP : Inaccessible à une description à la troisième personne.

ER : Exactement. Le contenu privé s’éprouve, il est exclusif à la première personne, au sujet lui-même. La seule traduction phénoménologique de l’endo-causalité – qui est une capacité de choix – est une rupture du déterminisme ; ça s’appelle aussi l’aléatoire. Je cherchais donc l’interface dans les phénomènes inintelligibles (ininterprétables) pour la physique quantique, prisonnière qu’elle est de son paradigme matérialiste. Et, simultanément, là où il y a de l’aléatoire vrai (non lié à notre ingorance). Cela m’amène à la réduction du paquet d’onde ainsi qu’aux sauts et transitions quantiques [13].

AP : D’accord ; pour être très clair, je me permets de vous citer à nouveau : il faut, dites-vous, « allouer à toute particule élémentaire un certain degré de psychisme. » [14] Cet énoncé est très fort, mais assez étonnant : ce que vous dites, en somme, c’est qu’une particule ne contient pas que de la matière, qu’elle contient une certaine forme de psychisme, de subjectivité, et l’ensemble de la matière et de la subjectivité, vous appelez cela « psychomatière » [15] Cela permettrait d’expliquer le comportement des particules à l’aide d’une causalité de type subjectif, d’une « endo-causalité » [16] immanente à chaque particule.

ER : Oui, et je comprend que cela puisse surprendre, voire choquer. Je prends la comparaison (ou la métaphore) de l’œuf dur sans sa coquille : vous ne voyez de lui que l’albumine coagulée. Mais à l’intérieur, il y a autre chose. Il a le jaune d’œuf ; mais il est indécelable. De même le ’psi’ est indécelable. Pourquoi ? Parce qu’il est latent la plupart du temps (dans l’état matière). Etre indécelable ne signifie pas être inexistant : prenez l’exemple du neutrino. Pas moins de 66 milliards d’entre eux traversent chaque seconde chaque cm² de notre peau. Heureusement pour nous, comme ils n’interagissent pas, ils sont sans effet – ils sont donc indécelables ! De la même manière, le ’psi’ en général n’interfère pas : tout se passe comme s’il n’existait pas.

AP : Cette intériorité que vous appelez le “psi”, c’est ce qui permet l’endo-causalité, c’est-à-dire une causalité immanente à la particule qui va à l’encontre du déterminisme habituel.

ER : Oui, et je montre qu’elle est nécessaire, car la partie exo-causale (ou déterministe) de la particule est auto-contradictoire. Voici pourquoi. On n’a jamais vu un demi-photon, ni un quart d’électron, etc. Cela signifie que les particules élémentaires sont soumises à une loi du tout ou rien. Or cette loi du tout ou rien, qui est la loi de quantification, est incompatible avec la dispersion de la particule en tant que paquet d’onde. Vous pouvez utiliser la dispersion ou l’étalement pour déchirer la particule en plusieurs morceaux, ce qui est incompatible avec la quantification. Telle est la contradiction : quantification contre dispersion ondulatoire. Comment la nature peut-elle s’en sortir quand l’environnement de la particule rend cette incompatibilité (ou cette contradiction, qui est généralement masquée) flagrante ? Elle s’en sort en faisant appel aux ressources endo-causales de la particule. Donc en réveillant son ’psi’. On comprend dès lors ce que vient faire le ’psi’, pourquoi il est là. Il est instrumentalisé, il a sa raison d’être. En son absence, la nature serait véritablement auto-contradictoire !

AP : Si je vous comprends bien vous renoncez à deux choses essentielles dans la physique quantique : d’une part, l’idée que la réalité est en soi inaccessible, qu’il n’y a que ce que d’Espagnat appelle le « réel voilé » et qui repose d’ailleurs sur le « phénoménisme » [17] qu’adopte l’interprétation dominante de la quantique.

ER : Oui, le réel voilé est pour moi une façon de mettre des mots sur une impasse qui vient non pas de la nature elle-même, mais de notre incapacité à comprendre… en raison de notre paradigme inadéquat ou de notre référentiel trop étroit. (Cette opinion n’engage évidemment que moi.)

AP : Et vous suggérez également, ce qui est d’ailleurs de plus en plus répandu, qu’il est possible d’avoir des objets quantiques que l’on pourrait désolidariser de la mesure ; êtes-vous d’accord avec ces deux aspects ?

ER : Que voulez-vous dire par là ?

AP : Je veux dire que vous semblez suggérer la possibilité d’introduire des variables qui ne soient plus tributaires de l’ordre et de la mesure. Mais pour prendre un exemple concret, je vais aborder votre analyse du chat de Schrödinger : si j’ai bien compris, en vertu de la rénovation de la notion de mesure que vous suggérez, vous proposez une critique de l’interprétation de cette expérience de pensée. Traditionnellement, on présente cette expérience comme décrivant un état d’incertitude, et seule la mesure va permettre de discriminer l’état de l’animal. Or, dites-vous, il y a une confusion dans cette expérience de pensée entre mesure et observation.

ER : Absolument.

AP : J’ai donc l’impression qu’au fond des choses, vous refusez l’idée selon laquelle l’état précis de l’objet quantique ne peut être donné que par la mesure.

ER : Oui, l’objet quantique peut exister de façon indépendante de la mesure. Qu’est-ce qui se passe dans une situation, ou dans un acte, de mesure ? Nous partons d’un état initial de superposition quantique, c’est-à-dire que nous avons un objet qui est « sur-étalé », il est trop étalé par rapport à un obstacle que l’on va mettre sur sa route (cet obstacle est appelé un détecteur). Vous prenez une paire de ciseaux qui va profiter ce sur-étalement de l’objet quantique pour le découper. Comme l’objet quantique n’a pas le droit de se laisser couper, comment va-t-il réagir, que va-t-il faire ? Il va se concentrer, se réduire, et on aura une réduction du paquet d’onde (ou encore, d’après moi, un saut quantique). C’est grâce à cette pirouette extraordinaire, qui brise forcément le déterminisme, qu’est maintenue la cohérence quantique. Ici la paire de ciseaux qui cherche à découper l’objet quantique symbolise une mesure quantique [18]. Mais la mesure quantique n’est qu’un exemple, qu’une sous-catégorie, d’une catégorie plus vaste : celle des environnements qui menacent la quantification dans une particule [19].

AP : Et cette réduction est due, selon vous, à l’endo-causalité.

ER : Absolument. A un moment, il va falloir faire un choix, pour déjouer la menace de découpage de la particule. Ce choix déborde nécessairement du cadre déterministe, qui s’il restait en vigueur aboutirait forcément à la scission de la particule, qui est interdite. Ce genre de situation de « menace quantique », où la quantification est menacée (elle risque d’être violée) ne se limite pas aux mesures quantiques. Cette affirmation (heureusement parfaitement testable) n’engage que moi ; elle s’oppose à l’orthodoxie actuelle de la physique.
Un exemple d’environnements qui menacent la quantification sans pour autant être des situations de mesure quantique est fournit par l’instabilité quantique. Quand vous avez un atome instable, l’électron périphérique est par exemple présent (ou « sur-étalé ») sur deux orbitales. Ces orbitales tendent alors en absorber une partie, chacune de son côté, proportionnellement à sa densité de présence locale. Elles constituent, si l’on veut, une sorte de nano-détecteur. (Ce détecteur n’a rien de macroscopique.) [20] Disons, de manière générale, qu’un électron dans un état excité, par exemple, a un état de dispersion en énergie. Il a tendance à être absorbé de deux ou plusieurs côtés, par morceaux et en contradiction avec ce qu’autorise la quantification. Cela exerce sur lui une sorte de pression, qui l’incite à opérer une réduction du paquet d’onde. Quand cette dernière aura lieu, le contexte présent (qui n’est pas celui d’une opération de mesure) fait que cela ne se traduira pas par une mesure quantique mais par un saut ou une transition quantique. L’électron redescendra brutalement à l’état non excité, non « sur-dispersé » en énergie, dans une orbitale plus faible. Il émettra généralement un photon qui emportera son énergie excédentaire perdue.

AP : Mais que reprochez-vous alors à l’expérience de Schrödinger ?

ER : Je lui reproche de ne pas mettre en scène une vraie évolution quantique. Mon objection n’est pas philosophique mais technique. Cette expérience de pensée est à la physique ce que le Canada dry, d’après une publicité, est à l’alcool : elle a l’air d’être du quantique, mais elle n’en est pas. Un traitement rigoureux de cette expérience montre qu’elle repose sur une méprise, sur une évolution physique impossible. Une évolution irréaliste et frauduleuse ! Cela aussi a échappé à pas mal de physiciens. Comme en science on doit se justifier quand on affirme quelque chose, j’ai mis les équations qui justifient ma position dans l’annexe de mon livre.

AP : J’ai du mal à comprendre votre objection pour être honnête ; quand on lit Schrödinger, il me semble plutôt qu’il essaie de penser la chose suivante : ce qui est valable à l’échelle atomique est-il, dans certains cas, accessible à l’observation macroscopique ? Ce sont des situations très particulières, où le macroscopique semble permettre de lever l’indétermination quantique. « De telles situations, écrit Schrödinger, ont ceci de particulier qu’à une indétermination initialement limitée au domaine atomique est associée une indétermination macroscopique qu’il est possible de lever par l’observation directe. » [21] La question que vous soulevez est donc la suivante : l’observation macroscopique, directe, est-elle valable pour lever l’indétermination ?

ER : A cette question je réponds catégoriquement non ! On est en plein dans la confusion entre une simple observation et une mesure quantique. Mon argument repose sur un raisonnement de physique, auquel je renvoie ceux que cela intéresse (voir à nouveau en annexe de mon livre). Le chat de Schrödinger a le mérite de montrer ce qui se passerait si les objets macroscopiques se comportaient comme les objets microscopiques. Il suggère aussi qu’en partant de la « schizophrénie » du microcosme, il est possible de l’amplifier pour en contaminer le macrocosme (cette schizophrénie est celle du chat avant qu’on observe son état en ouvrant la boîte où il est enfermé : alors, il est dans un état très bizarre où vie et mort s’entremêlent…). Et cela pose un problème : pourquoi les macro-objets ne sont pas comme les micro-objets puisque je peux amplifier la schizophrénie du microcosme ? D’où la réponse de Bohr affirmant que les objets macroscopiques relèvent de la physique classique, et les microscopiques relèvent de la physique quantique – ce qui introduit une dichotomie invraisemblable que je refuse totalement.

D : Questions matérielles

AP : Abordons à présent, si vous le voulez bien, la question de la matière. J’ai une incertitude quant à votre position. Est-ce que vous dites : « il n’y a que de la matière, mais on n’a pas encore compris ce qu’était la matière », ou est-ce que vous dites : « Il y a de la matière et autre chose que de la matière » ?

ER : Je ne comprends pas trop votre question, dans la mesure où j’ai le sentiment que les deux formulations sont envisageables. Elles ne me paraissent pas forcément antinomiques : tout dépend de ce que l’on met dans les mots.

AP : Plus clairement, est-ce que vous dites : « Tout l’être est matériel, seulement il faut repenser la matière, en y intégrant une dimension psychique », ou est-ce que vous dites : « Il y a de la matière telle qu’on l’a pensée, mais il y a aussi autre chose de non-matériel mais qui demeure immanent » ?

ER : Le quelque chose de non-matériel mais immanent, ce serait le ’psi’ ?

AP : Oui ; au fond, très simplement, ma question est la suivante : le ’psi’ est-il matériel ?

ER : Je suis un peu surpris par votre question, car je croyais avoir été clair sur ce point. Voici ce que je peux répondre, en bref : le ’psi’ aléatoire (car endo-causal) s’oppose dans la particule à la partie matérielle, qui est déterministe (ou exo-causale). Il est donc explicitement immatériel, en ce sens précis qu’il ne possède pas les mêmes traits. Pour une réponse plus globale à votre question, je rappelle que notre univers, selon moi et tel que nous le connaissons, repose sur une substance je l’appelle psychomatière. Cette substance d’univers est la réunion de deux aspects. L’un est subjectif et aléatoire, ou endo-causal (c’est le ’psi’ de l’électron par exemple). L’autre est objectif et déterministe, ou exo-causal (c’est la partie physique ou matérielle de l’électron ; que j’appelle aussi son ’phi’).

On peut se représenter un tel électron « bi-dimensionnel » comme une de ces boules chinoises où il y a à la fois du yin (noir) et du yang (blanc). Les deux composantes (« exo » et « endo » ; ou encore si l’on préfère, ’phi’ et ’psi’) de l’électron appartiennent toutes deux à une seule et même boule – ou plutôt, substance : la psychomatière. Cette dernière est riche de deux contenus qui sont en relation organique et fonctionnelle. Il reste une réflexion passionnante à mener sur les liens qui solidarisent l’endo-causal et l’exo-causal, donc le psychisme et la matière. J’ai légèrement abordé cette question tout à l’heure avec la mesure, en suggérant que le ’psi’ (endo-causal) venait à la rescousse du ’phi’ (exo-causal) quand ses contradictions internes deviennent flagrantes. Comprendre en profondeur la nature du lien existant, dans chaque particule, entre le ’phi’ et le ’psi’, ouvrira la possibilité de modifier la partie exo-causale. Les conséquences de cette capacité inédite seront tout simplement énormes. Et peut-être déraisonnables.

Un prolongement de ces réflexions constitue ce que j’appelle la théorie générale des réels phénoménologiques. Elle part de l’idée que la psychomatière n’est qu’une substance d’univers parmi d’autres, parmi toutes les substances d’univers envisageables. On peut généraliser cette notion de psychomatière, propre à notre univers, en envisageant des univers multiples, répondant à d’autres caractéristiques que le nôtre, chacun étant fondé sur (au moins) une substance d’univers formée par l’union d’une partie endo-causale et d’une partie exo-causale, qui ne seront pas les mêmes que pour la psychomatière. Mais je ne sais pas si ces spéculations meta-physiques répondent à votre question.

AP : Je vais peut-être préciser la raison de ma question sur la matérialité du ’psi’ : votre ouvrage de 2007 se demande si « la matière ne serait pas plus riche que la substance inerte que nous voyons en elle. » [22], si bien que le problème semble être celui du sens de la matière, et je vous cite à ce sujet : « La psychomatière plonge ses racines dans la matière ordinaire. Plus précisément, elle en serait le vrai visage. Telle est en tout cas la thèse que je défends ici. » [23] Si je comprends bien, la psychomatière est le vrai visage de la matière ; mais alors ce que vous défendez est un matérialisme radicalisé : je veux dire par là que, si l’on vous suit bien, il faut en déduire que le matérialisme habituel est insuffisamment radical, et que seule une conception de la matière comme intégrant la dimension psychique serait valable ; bref pour le dire clairement, j’ai l’impression que vous nous dites : « il n’y a que de la matière, mais la matière ce n’est pas ce que vous croyez, c’est aussi du psychique. » Ai-je bien compris votre position, et en quoi n’est-ce alors pas du matérialisme ?

ER : Ce que je dis, c’est que là où nous avons cru voir de la matière (privée d’endo-causalité), c’était en fait de la psychomatière (enrichie d’endo-causalité). Si cette hypothèse pas très conventionnelle se révélait néanmoins être juste, alors je pourrai affirmer que ne suis pas en train de rajouter quelque chose à la matière ordinaire : je suis seulement en train de lui rendre ce qu’elle a déjà au départ.

AP : Mais dans ce cas, la psychomatière ne peut pas être la profondeur de la matière, sinon elle serait pleinement matérielle. Elle est plutôt ce qui contient, entre autres, la matière. Je ne comprends pas bien comment la psychomatière peut « plonger ses racines dans la matière ordinaire » comme vous écrivez, sans être matérielle.

ER : Je crois qu’il y a ici un problème de langage ; la psychomatière est le vrai visage de ce que l’on perçoit comme étant de la manière inerte. C’est cela que je veux dire, et pas autre chose. Est-ce difficile à comprendre ? Je ne le pense pas.

AP : Donc vous êtes en train de requalifier la matière, en y intégrant une dimension psychique.

ER : Absolument.

AP : Mais donc c’est une position matérialiste, puisqu’il n’y a que de la matière, à ceci près que vous changez le sens de la matière.

ER : Cela ne veut pas dire qu’il n’y ait, à mes yeux, que de la matière dans le réel. Pas du tout. Encore une fois, je raisonne plus généralement en termes de substances d’univers ; et je ne limite pas le réel à notre univers, ni à la psychomatière, ni à l’endo-causalité partielle. La preuve c’est que je me permets de spéculer sur ce que j’appelle l’ur-causalité, ou endo-causalité pure et totale. J’y vois un prolongement « naturel » et inévitable de mon approche de la (psycho)matière.

AP : Oui, c’est justement ce que je ne comprenais pas ; d’un côté, il y a cette redéfinition de la matière, dont le vrai visage est psychomatière, mais de l’autre, vous posez des choses explicitement non-matérielles.

ER : Je ne dis pas qu’il n’y a que de la matière. Je dis que ce que l’on prend pour de la matière est plus que cela. Je rajoute une dimension, mais je ne la rajoute pas réellement : je dis juste que je lui rends la dimension qui lui manquait et qu’on n’a pas vue. Je ne rajoute pas à la matière un appendice qu’elle n’avait pas au départ, je pointe du doigt ce qui n’avait pas été aperçu en elle. Pour autant, je ne dis pas qu’il n’y a que cela dans l’univers. Au contraire, ma théorie des réels phénoménologiques m’emporte vers d’autres niveaux, dont celui de la transcendance.

AP : La confusion vient peut-être du fait que se chevauchent deux sens de la matière : le sens habituel, et le sens que vous lui attribuez de façon neuve.

ER : Voilà, nous revenons – je crois – à un problème de langage. J’admet être fautif sur ce point.

AP : Mais même comme cela, je ne vois pas comment on quitte le matérialisme ; on ne fait que dire que la vraie matière n’est pas la matière que l’on croyait, ce qui ne signifie pas qu’on quitte le matérialisme. On ne fait que la redéfinir pour mieux l’imposer, comme a pu le faire un penseur qui me semble proche de vous, John Searle. Ce dernier avait réfuté le présupposé objectiviste voulant que la subjectivité fût nécessairement différente de la matière, c’est-à-dire voulant que sous prétexte que l’on était dans le psychisme on ne pouvait être dans le matériel et étant dans le matériel on ne pouvait être dans le psychique ; il avait une formule saisissante à cet égard : « le fait qu’une caractéristique soit mentale n’implique pas qu’elle ne soit pas physique ; le fait qu’une caractéristique soit physique n’implique pas qu’elle ne soit pas mentale. En révisant Descartes pour l’occasion, nous pourrions dire non seulement « je pense, donc je suis », et « je suis un être pensant », mais également je suis un être pensant, et donc je suis un être physique. » [24]

ER : Pour moi, le psychisme est lié à la matière, mais il n’en a pas les mêmes lois. Ramener le psychisme aux lois de la matière ne me convainc pas.

AP : Peut-être parce que Searle est officiellement matérialiste et que vous, non.

ER : Oui, peut-être ; mais moi, quelque part, suis-je matérialiste ? Je suis matérialiste dans un sens élargi, mais les catégorisations sont un peu dépassées. Mais en tout cas, je dis non au fait de ramener le psychisme aux lois de la matière. Sur le fond, tout tourne dans mon approche autour de trois notions fondamentales : celle d’endo-causalité, celle d’exo-causalité et enfin, celle d’ur-causalité. Les deux premières se rapportent à la (psycho)matière ; mais la troisième sort totalement de ce cadre. Cela devrait répondre à votre questionnement, et le débat devrait peut-être être construit à partir de cette « trilogie » de base (endo, exo, ur). Cela clarifierait bien des choses. Du moins il me semble.

E : Questions spirituelles

AP : J’aimerais aborder la conscience pour terminer. Si j’ai bien compris, vous pensez le comportement de l’esprit de la même manière que le comportement d’une particule normale : elle a certes un aspect matériel, mais elle a aussi une partie psychique, que l’on imagine non matérielle, tout comme l’esprit qui est rattaché au neuronal mais qui libère une subjectivité psychique bien réelle ; c’est ce que vous appelez les « racines physiques de l’esprit » [25] Est-ce bien le sens de votre démarche ?

ER : Je suis un peu perturbé par votre formulation.

AP : Je reformule : qu’est-ce que vous entendez par « racines physiques de l’esprit » ?

ER : Par hypothèse, je mets une infime gouttelette de psychisme dans toute particule élémentaire. Le défi, à partir de cela, est de construire et proposer une théorie explicative du cerveau pensant, sachant que toutes les théories non-conventionnelles apparentées (de Dutheil, de Charon, etc.) n’ont (selon moi) jamais réussi à en fournir un modèle explicatif cohérent et crédible. Pour autant que je sache, elles sont incapables d’expliquer pourquoi c’est mon cerveau – et non pas mon foie, le bol, la fenêtre ou mon nez – qui est l’organe de la conscience [26]. Mon défi a donc été de m’efforcer de montrer comment on pouvait constituer une théorie (ou un modèle) explicative de la conscience à partir de mon hypothèse de départ. C’est crucial ; d’autant plus que des spécialistes du calibre de Changeux, et d’autres pontes, feignent de croire qu’ils ont l’explication. (Y croient-ils vraiment eux mêmes, ou sont-ils simplement de mauvaise foi ?)
Soyons clairs : une description n’est pas une explication. Mais comme on n’a pas d’explication, par un tour de passe-passe, on fait passer une description pour une explication. Dans mon livre, je tente de dissiper bien des confusions en proposant trois critères objectifs pour distinguer théorie descriptive et théorie explicative. Mon but est ensuite de construire une théorie explicative de l’esprit.

AP : Et en quel sens cette théorie est-elle physique ?


ER : Elle n’est pas physique, elle est enracinée dans la réalité matérielle. Elle a une assise physique, à laquelle elle ne se réduit pas. Des exemples vont peut-être clarifier cette idée. Supposez que l’on définisse la matière comme ce qui est massique : dans un tel cas, je l’ai déjà dit, la lumière n’est pas matérielle. Alors, les conditions de production de la lumière, immatérielle dans ma supposition, est néanmoins liée à l’existence d’une structure matérielle, dont elle dépend (une bougie ou une lampe par exemple). C’est la même chose pour le soleil : il faut que des particules s’entrechoquent en déclenchant des réactions de fusion nucléaire, pour qu’il émette de la lumière. Pour produire quelque chose qui n’est pas forcément matériel mais qui est immanent, la nature a besoin de conditions de production qui sont créées par la matière. Enracinée en elle. Le monde est ainsi fait ! C’est le même schéma conceptuel, vraiment simple, que j’applique à la conscience cérébrale.

AP : Mais quand vous dites que les racines sont « physiques », ce n’est pas par opposition à « biologique » ?

ER : Non, pas du tout.

AP : Ah bon. Je pensais que vous vous opposiez un peu à la démarche désormais classique d’une « biologie de la conscience » illustrée par Edelman, en proposant une physique de la conscience, c’est-à-dire en posant une appréhension de l’esprit à partir de la physique quantique.

ER : Non, pas du tout. Quand je dis « physique », cela implique notamment le « biologique », mais en sondant un niveau plus fin, plus fondamental. Lequel, à mes yeux, est celui où l’essentiel se joue.

AP : D’accord ; pardonnez-moi pour la confusion. Vous déployez par ailleurs un certain nombre de termes un peu étonnants, comme les « tubes de vie », l’iceberg cognitif, et les pixels dans l’esprit : pouvez-vous en précisez le sens ?

ER : Le vrai nom de tout cela, c’est le paralgène pour le tube de vie et le suprel pour le pixel de l’esprit. Quant à l’iceberg cognitif, j’en parlerai plus tard. La psychomatière, je le rappelle, a deux états. Il y a d’abord l’état matière, où le ’psi’ est latent et inconscient,. Dans cet état inerte, ou léthargique, il ne peut accoucher de la conscience. Mais la psychomatière a un autre état, qui est le paral. C’est lui, dans mon approche, qui serait le matériau, le support objectif si l’on veut, de la conscience. Ceci dit, de même qu’un photon seul ne fait pas une lumière (il en faut pour cela une quantité gigantesque), de même une particule à l’état paral est négligeable : elle ne constitue nullement un esprit. Elle est comme une toute petite lueur de conscience, infiniment ténue. Ce n’est que par le truchement de ce que j’appelle la supralité [27], que la conscience pourra émerger. La supralité, dont la physique quantique confirme l’existence, me donne le lien entre les particules. Ce lien me permet de fabriquer du macro-psychique. En permettant l’assemblage cohérent de vastes quantités de paral, il crée la possibilité d’émergence de la conscience. C’est ainsi que je comprends les choses.

En bref : une particule ne peut contribuer à la conscience qu’à l’état paral, et seule une vaste quantité de particules à l’état paral, unies et connectées par la supralité, fait émerger la conscience. Le secret du cerveau pensant serait justement de permettre la production de ce genre de vastes agrégats de paral, en flux continu.
Plus précisément, on peut envisager la question ainsi. Le cerveau, pour faire passer une particule à l’état paral, est équipé de micro- ou nano-structures que j’appelle des paralgènes. « Paralgènes », parce qu’elles génèrent du paral. Par exemple, un cation calcium (Ca++) qui traverse une sorte de tube [28] va momentanément passer à l’état paral, parce qu’il y rencontre un paralgène.

AP : Ce tube est-il métaphorique ou désigne-t-il une réalité ?

ER : J’espère fortement qu’il est une réalité ! D’ailleurs, l’existence ou non, dans le cerveau pensant, des paralgènes (nom exact des « tubes de vie »), est en principe testable. Cela contribue à rendre ma théorie testable, comme je l’avais annoncé.

AP : L’étude scientifique du cerveau et de la cognition est une science encore balbutiante, qui n’a qu’une quarantaine d’années.

ER : Oui, mais elle progresse à une vitesse impressionnante. Ces succès sont vraiment remarquables. Je crois cependant qu’elle en est encore au stade de l’astronomie avant Newton, où l’on savait décrire (et même prévoir) le mouvement des planètes, sans pouvoir l’expliquer. On sait de mieux en mieux décrire ce que fait le cerveau pensant, mais on ne peut pas expliquer la conscience cérébrale. Pour passer du niveau descriptif au niveau explicatif, il manque un ingrédient original, que le niveau explicatif ne contient pas. Je propose le ’psi’ comme principe explicatif possible. Quant aux pixels de l’esprit, les suprels, ce sont des structures tissées par des liens de non-séparabilité. Curieusement, cette une notion a totalement échappé aux physiciens, alors qu’ils auraient pu la trouver. L’idée de base, c’est que de la structure, c’est aussi de l’information. Ici, avec les suprels, nous sommes en présence d’une information de nature psychique. La raison est simple, puisque les suprels sont produits par la supralité, qui relie le ’psi’ et donc, concerne le ’psi’ exclusivement.
Pour comprendre ce que je viens de dire, supposons que les particules soient des petits grains semblables à de minuscules perles. Avec ces perles et les liens de supralité (ou de non-séparabilité), nous avons des perles et des ficelles. En reliant de mille façons différentes ces perles par les ficelles, nous obtiendrons une grande variété de figures. Nous pourrons créer des motifs en carré, en étoile, en forme de tour Eiffel, etc… En clair, nous pourrons encoder de l’information. Par conséquent le champ du ’psi’ peut, grâce tous les liens d’inséparabilité qu’il porte, encoder (et archiver) de l’information. De l’information psychique évidemment. Cette information, à la fois invisible et non locale, constitue des « pixels de l’esprit », que j’appelle en fait des suprels pour rappeler leur nature suprale.

Voici un exemple de ce qu’on peut faire à partir de cette notion. Quand mon cortex visuel primaire reçoit certains stimuli sensoriels, va fabriquer des suprels. Par exemple, des suprels qui encodent l’information « jaune ». Quand ces derniers, initialement inconscients, vont passer dans des paralgènes du cerveau, ils vont se manifester à ma conscience. C’est alors que je vais voir le bol jaune qu’il y a devant mes yeux. Je vais en prendre visuellement conscience. Ce petit schéma, repris dans l’iceberg cognitif, est évidemment très simpliste. Mais c’est une première tentative – sans doute horriblement naïve ! – de modélisation d’une aptitude mentale (ou cognitive comme on dit aujourd’hui) basée sur la psychomatière. Cela me permet de comprendre comment et pourquoi je peux voir qu’un bol est jaune.
Plus généralement, ce genre d’approche me permet d’expliquer six énigmes des neurosciences (elles sont présentées dans mon livre). J’ai donc, je crois, les éléments de base d’une théorie explicative de la conscience. Est-elle pertinente de surcroît ? Beaucoup de travail reste à faire la concernant, notamment pour vérifier si elle s’accorde avec les faits observables.

AP : Vos propos sont-ils une façon de dire qu’entre l’esprit et la particule, il n’y a qu’une différence de degré ? Dans les deux cas, il s’agit de penser la manière dont une entité matérielle libère une endo-causalité, la différence portant sur le degré de complexité de l’esprit vis-à-vis de la particule, et non sur une différence de nature.

ER : Oui et non, tout dépend (encore !) de ce que vous mettez derrière vos mots. En tout cas, je ne formulerais peut-être pas les choses ainsi. Pouvez-vous préciser votre pensée ?

AP : Je veux dire qu’entre l’esprit humain tel que vous le décrivez, et la particule quantique telle que vous l’avez pensée, il y a une similitude : vous étudiez quelles vont être les conditions matérielles qui vont faire émerger le ’psi’. Dans ce cas, l’esprit humain n’est rien d’autre qu’une super-particule dans laquelle le ’psi’ serait plus souvent activé que dans une particule lambda.

ER : Le tout est plus que la somme de ses parties ; donc il y a des choses qui peuvent émerger et qui sont différentes. Pour moi, l’esprit humain est plus qu’une super-particule ; même s’il ne peut exister (dans notre monde) que parce que la particule est dotée d’un ’psi’ ; et que ce ’psi’ peut se réveiller – ou sortir de sa latence – dans certaines circonstances. Par ailleurs, ce que je vous dis là n’est valable qu’au niveau de notre substance d’univers, la psychomatière. Cela n’empêche pas qu’il y ait d’autres réalités où ce n’est plus du tout valable, ailleurs, dans d’autres univers « parallèles » et inconnus (car inobservables). Je me méfie des dogmatismes et j’essaie de ne pas devenir dogmatique de ma propre approche !

AP : Ma question portait sur la différence entre l’esprit humain et une particule matérielle classique ; y a-t-il une différence de nature ou de degré ? Il me semble y voir une simple différence de degré.

ER : S’il s’agit d’une « particule matérielle classique » comme vous dites, alors il s’agit bien d’une différence de nature. S’il s’agit au contraire d’une « particule quantique et de psychomatière », alors il s’agit plutôt d’une différence de degré [29].
Il est vrai que le cerveau pensant ne me semble pouvoir être compris qu’à partir de sa structure matérielle ; de même que la lumière de cette salle ne m’est intelligible qu’à partir de la compréhension des mécanismes intimes de la lampe qui l’émet. Mais cela n’empêche pas que dans l’univers, il y ait des lumières qui apparaissent sans être liées aux mêmes conditions. Des lumières indépendantes d’une quelconque lampe. Ma conception n’est pas exclusive ni limitative. Sur la question précise de notre conscience ordinaire, je crois effectivement que son existence dépend de cette structure matérielle particulière qu’est le cerveau qui lui sert d’assise. En cela je rejoins ce que vous dites. Mais dans mon esprit, ce n’est surtout pas un énoncé général et universel ! Sa validité est limitée.

AP : D’accord ; vous développez également l’idée d’une subtilité qui aurait pour fonction de tout connecter ; qu’est-ce qu’il faut entendre par cette subtilité ?

ER : Cette subtilité est un synonyme de la supralité dont j’ai précédemment parlé. J’ai utilisé ce synonyme pour le confort de mes lecteurs, pour leur éviter un mot nouveau. Mais le vrai mot est « supralité ». Il a l’avantage d’éviter tout amalgame et toute confusion.

AP : Je voudrais conclure en élargissant les choses à une théorie générale de l’esprit ; vous dites qu’il n’en existe pas de cohérente, ni de satisfaisante. J’avoue ma surprise car, à ma connaissance, il existe au moins la théorie de sélection des groupes neuronaux d’Edelman (TSGN) qui se propose d’expliquer l’émergence de la conscience. En outre, Edelman a écrit avec Giulio Tononi un ouvrage intitulé Comment la matière devient conscience dans lequel ils écrivent que « la pensée consciente est un ensemble de relations pourvues de sens qui vont au-delà de l’énergie ou de la matière (bien qu’elles les impliquent). Qu’en est-il alors de l’esprit qui donne naissance à cette pensée ? La réponse est qu’il est à la fois matériel et doté de sens. L’esprit en tant qu’ensemble de relations a un fondement matériel (…). Tout en engendrant les relations immatérielles que lui et les autres esprits reconnaissent, cet esprit est fondé sur les processus physiques qui apparaissent dans son fonctionnement, dans celui des autres esprits et dans les événements impliqués par la communication entre eux, et il en dépend. » [30] On a là une théorie qui explique comment des éléments matériels engendrent un au-delà du matériel, c’est-à-dire du sens. Je me disais que ce n’était pas si distinct que cela de ce que vous avancez : on a un esprit immanent, mais qui produit en même temps un sens immatériel. En quoi cette théorie vous paraît-elle insatisfaisante alors même qu’elle est pour une grande partie tout à fait vérifiable ?

ER : Oui mais qu’entend-il par « immatériel » ? En fait, je crois que je suis globalement d’accord avec l’énoncé d’Edelman. Mon objection est la suivante : il ne résout rien, et surtout pas l’énigme du cerveau conscient !!! Je récuse qu’il soit, comme vous le dites, « une théorie qui explique ». Je n’y vois que la chose la plus banale et la habituelle qui soit : une théorie qui affirme. Et rien de plus ! Il me semble là encore que l’on joue sur les mots, dans une espèce d’escroquerie intellectuelle. Je m’explique. On parle de « relations pourvues de sens », on pose donc qu’elles existent sans le justifier ni le démontrer. Et du sens, on passe subrepticement à la conscience, par un glissement sémantique implicite et furtif. On joue donc sur les mots. Si Edelman avait au contraire parlé explicitement de « relations pourvues de conscience », la supercherie aurait sauté aux yeux ! Mais il joue sur un mot différent, à l’air anodin, qui en fait suppose implicitement, justement, le terme de conscience. En clair, il pose dans ses hypothèses la conclusion qu’il prétend « démontrer ». Car entre nous, qu’est-ce que cette notion de sens si elle ne se rattache pas, de près ou de loin, à un sujet conscient ? Je vous livre une confidence : je suis personnellement toujours très surpris de constater combien ce genre de supercherie intellectuelle, hélas assez répandu, est accepté par des gens qui pourtant savent réfléchir. L’esprit critique est-il donc une denrée si rare ? (Ou ne s’applique-t-elle que de façon sélective… par exemple aux métaphores de Bergson ? Je dis cela pour vous taquiner : veuillez excuser mon esprit parfois caustique.)

AP : L’immatériel, c’est la production du sens par l’esprit. L’esprit a un ordre matériel et un sens immatériel.

ER : Vous venez de valider mon objection : poser l’existence du sens, c’est déjà poser celle de l’esprit… mais sans le dire, sans en avoir l’air. Et sans jamais prendre le risque de soulever la question d’une validation expérimentale. A ce propos je rappelle l’enjeu de mon approche : si j’ai raison, demain on sera capable de fabriquer de la conscience exo-biologique. Là, on n’est plus dans le domaine des belles paroles (pertinentes ou trompeuses). Les paralgènes, les suprels sont opérationnels (ce qui n’implique évidemment pas qu’ils existent nécessairement). Tandis que je ne vois pas ce qui est opérationnel chez Edelman ; je n’y vois qu’une idée séduisante, bien énoncée, mais que je considère parfaitement trompeuse sur le fond. Si on gratte, qu’en reste-t-il ? Le diable est dans les détails : il y a plein de grandes et belles idées générales qui, confrontées aux petits détails insignifiants de la réalité concrète, ne résistent pas et doivent être jetées.

Pour moi, le véritable enjeu est celui de la possibilité de fabriquer de la conscience artificielle. Elle constitue l’ultime et incontournable épreuve du feu, qui brûle toute les pseudo-théories qui se nourrissent d’illusions bien formulées. Le jour où l’on a compris les conditions de production de la lumière, on a été capable de fabriquer de la lumière : Tant qu’on n’y parvenait pas, c’est que notre approche de la question n’était pas pas pertinente. Pas opérationnelle. Pour moi, la phraséologie d’Edelman, pour intéressante qu’elle soit, est trop vague (et, si vous me permettez, vaguement malhonnête : en fait, c’est là mon vrai reproche). Qu’il nous indique comment on peut concevoir, sur la base de ses spéculations, de fabriquer une « machine pensante ». A partir de là, nous pourrons réellement avancer sur une base sérieuse. Je suis sans doute un peu dur… mais trop de « bêtises » gratuites et inconséquentes sont dites par ceux qui sont censés tout savoir et abusent de leur autorité pour faire croire qu’ils ont tout compris. Il faut bien quelques « têtes brûlées » pour les dénoncer, à leurs risques et périls évidemment !

AP : Vous reprochez aux théories classiques de la conscience en général, à celle d’Edelman en particulier, d’être encore très conjecturales. Je vous cite : « les théories neuronales de la pensée restent conjecturales, et nul ne sait expliquer comment et pourquoi la conscience émerge d’un substrat matériel non conscient. » [31] Je crois qu’on peut être d’accord sur ce point, mais je ne vois pas en quoi la vôtre est parfaitement exempte de ce reproche.

ER : Chez Edelman, il n’y a pas de théorie testable, c’est de la philosophie avec un alibi « neuro-scientifique » mais ça demeure (à mes yeux) assez insubstantiel. Ma théorie, évidemment, est tout aussi conjecturale à l’heure actuelle (et je ne peux évidemment pas encore affirmer qu’elle est juste). La grosse différence est qu’elle offre un schéma conceptuel (mais potentiellement concret, via les paralgènes et les suprels notamment) qui justement explique pourquoi le cerveau est capable d’émettre de la conscience. Cette théorie permettra (si elle est pertinente) de développer une technologie de la conscience exo-biologique, qui en sera l’ultime confirmation expérimentale. En résumé, ma théroie est actuellement tout aussi conjecturale que les autres ; mais elle offre un modèle explicatif qui est potentiellement testable. Cela fait toute la différence !

AP : Et en amont, peut-on proposer une origine de la psychomatière ?

ER : Je vous renvoie aux chapitres XI et XIII de mon livre La nouvelle physique de l’esprit. Ma théorie a trois prolongements : la physique quantique, les neurosciences et la métaphysique (c’est par cette dernière qu’on peut tenter de répondre à votre question). Vous pouvez ajouter un quatrième prolongement : il en découle une technologie originale de la conscience artificielle. Le point central est l’endo-causalité, avec une importante sous-question : comment comprendre l’apparition de l’exo-causalité dans un contexte purement endo-causal ? La réponse à cette questions devrait permettre de faire et défaire la matière, pour des raisons que j’évoque notamment dans le livre Les racines physiques de l’esprit.

AP : J’ai du mal à comprendre exactement le rôle de l’endo-causalité dans la production de l’être.

ER : Je réponds à cette question fondamentale, qui nécessite plus que quelques lignes, dans le chapitre XIII du livre La nouvelle physique de l’esprit. Elle va au coeur de mon approche et de ma compréhension du réel.

AP : Je sais bien, mais je ne me représente pas justement la réponse.

ER : C’est notamment, pour faire simple, la théorie du Big-Bang.

AP : Ah je n’avais pas tout à fait compris cela ; quand vous écriviez que « de façon générale, tout être (ur-causal ou non) existe parce qu’il est le déploiement d’un processus auto-engendrant. Il est le fruit d’une dynamique d’autoconstruction. » [32], il me semblait lire la description d’un processus d’auto-production au même titre qu’une causa sui qui s’auto-produirait à un certain moment et qui donnerait naissance à de nouvelles formes.

ER : L’ur-causalité est une endo-causalité totale ; si vous déroulez de manière logico-conceptuelle cette idée, vous êtes dans un référentiel conceptuel qui n’a rien à voir avec le nôtre. Pour l’approcher correctement, il faut donc oublier tous nos préjugés et toutes nos idées reçues. Il n’y a pas de temps, il n’y a donc pas de causalité telle qu’on la définit usuellement. (Que devient la notion habituelle de causalité sans la flèche du temps ?) Voilà une première bonne question que nous devons nous poser. Notamment, dans ce cadre nouveau, on ne peut plus faire référence à un certain moment, quel qu’il soit…. C’est tout une nouvelle gymnastique intellectuelle qu’il faut mettre en place et maîtriser ! Ce n’est assurément pas facile.

AP : L’ur-causalité n’est donc pas vraiment causale ?

ER : Attendez ; vous n’avez pas de notion d’espace non plus. Ni même de notion d’existence au sens usuel du terme. C’est la raison pour laquelle je dis que cette entité n’est pas existante, elle est « existible ». Il faut se dire qu’on entre avec elle dans un référentiel où les préjugés de notre monde marqués par l’exo-causalité ne sont plus du tout valables. Il faut déconstruire nos concepts ordinaires, et tout réinventer. Quel exercice difficile mais passionnant ! Quand on passe des ensembles finis aux ensembles infinis, on fait cela dans une petite mesure : il faut réinventer la notion d’égalité. En effet, un ensemble infini est un ensemble qui reste égal à lui-même (en un sens précis) quand on lui rajoute un ensemble fini. Pour revenir à la causalité de l’ur-causalité, il n’est plus possible de la définir par rapport à un temps fléché ; ni même par rapport à un temps tout court. Il faut la « réinventer » sur d’autres bases, pour l’adapter au contexte ur-causal. Mais il serait erroné d’en déduire qu’il faut abandonner toute notion de causalité dans ce contexte. Ce serait un contre-sens total.

AP : Et tout cela est testable ?

ER : Ce sera testé le jour (éventuel) où l’on sera capable de faire et de défaire l’exo-causalité, sur la base de telles spéculations logico-conceptuelles. C’est une application aux énormes conséquences pratiques. (Enormes et vaguement inquiétantes, puisque ce sont les formes mêmes du réel qui pourront vaciller.) En conclusion, je crois que mes idées sont potentiellement testables. Je crois aussi qu’elles seront, en tant qu’idées nouvelles, critiquées avec fougue par les gens, nombreux, qu’elles dérangeront. L’histoire montre amplement que c’est une étape quasi inévitable, que ces idées soient justes ou non. (Aujourd’hui, je suis provisoirement protégé par le fait que mon approche n’est pas encore très connue.) Au départ, on tire toujours sur l’artiste ! C’est ainsi, et je ne m’attends pas à autre chose. Raison de plus pour rester zen, sous le feu des critiques. (En revanche, toute critique qui démontrerait que je suis dans l’erreur m’affecterait évidemment !)

Notes

[1] Gaston Bachelard, La formation de l’esprit scientifique, Vrin, 1967, p. 111

[2] John Searle, La redécouverte de l’esprit, Traduction Claudine Tiercelin, Gallimard, coll. Les essais, 1995, p. 122

[3] Henri Bergson, L’énergie spirituelle, Edition du centenaire, PUF, 1959, p. 842

[4] Emmanuel Ransford, 2007, p. 52

[5] Ibid. p. 287

[6] En mécanique quantique, le postulat de la réduction du paquet d’onde – nommé aussi le postulat de la mesure ou de la projection – stipule qu’une mesure perturbe l’état du système micro-physique mesuré, s’il est initialement « flou » ou dispersé. Ce système évolue alors vers un état final réduit, c’est-à-dire unique et précis ; qui conduit au résultat de mesure. Cette évolution, irréversible et aléatoire, transgresse un principe qui régit toutes les autres évolutions du micro-système (c’est le principe de moindre action). En effet, ce postulat stipule en outre que la réduction du paquet d’onde est exclusive aux opérations de mesure. Pourtant, il est facile de démontrer d’un saut ou une transition quantique transgresse aussi ce même principe (comme c’est plus généralement le cas pour toute évolution dite « non-unitaire » dans le jargon des physiciens) ! Il y a là, dois-je dire, quelque chose qui me laisse très perplexe…

[7] L’état paral (ou porteur) est celui du psychisme actif, celui où ’psi’ se réveille : il devient porteur d’un germe de conscience. Cela me conduit à l’énoncé suivant, dont la signification est expliquée dans mon livre : La conscience est du paral supralé.

[8] Cette propriété avérée, dont je reparlerai, est nommée la non-séparabilité ou l’intrication. Je la rebaptise la supralité, car elle acquiert une signification nouvelle dans le cadre de mon approche basée sur la psychomatière.

[9] Schelling, Introduction à l’esquisse d’un système de la nature, Traduction Fischbach et Renault, LGF, 2001, p. 68

[10] Voir mon analyse du problème de la mesure, exposée dans l’un ou l’autre des deux livres précédemment cités.

[11] Est ur-causale une entité entièrement et purement endo-causale c’est-à-dire, affranchie de tout déterminisme (ou, dans mon jargon, de toute exo-causalité).

[12] Ibid. p. 89

[13] Un saut quantique est un changement brusque d’un système quantique, sur un mode discontinu qui viole le principe mathématiques de moindre action qui caractérise les évolutions déterministes ordinaires. Ces évolutions ordinaires, dites unitaires, correspondent à l’état matière. Celles qui violent le principe de moindre action – et sont de surcroît aléatoires et non-relativistes – correspondent à l’état paral. Leurs traits inhabituels sont communs aux sauts quantiques et aux réductions du paquet d’ondes. Comment pourrait-on ne pas le voir ?…

[14] Emmanuel Ransford, La nouvelle physique de l’esprit, Le temps présent, 2007, p. 11

[15] Ibid. p. 12

[16] Ibid. p. 127

[17] Bernard d’Espagnat, Le réel voilé, Fayard, 1994, p. 27

[18] Plus rigoureusement mais en quelques mots trop brefs, la paire de ciseaux est la métaphore d’un détecteur… ou de la partie « active » d’un système instable. Sans entrer dans les détails, l’enjeu est dans les deux cas d’absorber l’objet quantique concerné, qui est alors dans un état dispersé en énergie, en plusieurs morceaux mutuellement dissociés. Voir aussi la note suivante.

[19] Menacer la quantification c’est, d’après ce que j’ai dit, tenter de scinder ou de découper la particule ou le système quantique, à l’encontre de (donc en contradiction avec) la quantification ; qui interdit un tel découpage. La possibilité de ce découpage est très précisément liée à une « sur-dispersion » énergétique du système. En termes techniques, elle se vérifie quand le micro-système n’est pas dans un état propre du hamiltonien, qui représente son énergie (l’opérateur énergie) dans la théorie.

[20] Je justifie cette analyse « hétérodoxe », qui va à l’encontre de la version officielle, dans les deux ouvrages que j’ai écrits ou co-rédigés, dont je rappelle les titres : La nouvelle physique de l’esprit et Les racines physiques de l’esprit.

[21] E. Schrödinger, Physique quantique et représentation du monde, Traduction Michel Bitbol, Seuil, coll. Points, 1992, p. 106

[22] Ransford, op. cit., p. 51

[23] Ibid. p. 99

[24] John Searle, La redécouverte de l’esprit, Traduction Claudine Tiercelin, Gallimard, coll. Les essais, 1995, p. 36

[25] Emmanuel Ransford et Tom Atham, Les racines physiques de l’esprit, Quintessence, 2009

[26] Une telle explication doit même aller un peu plus loin, étant donné que seule une faible minorité des processus neurologiques qui ont lieu dans mon cerveau contribuent directement à ma conscience.

[27] La supralité est l’équivalent, pour la psychomatière, d’une propriété quantique connue sous le vocable de non-séparabilité, ou de non-localité, ou d’enchevêtrement, ou d’intrication…

[28] Cette « sorte de tube » est un « tube de vie » cérébral, c’est-à-dire, un paralgène. Il s’agit vraisemblablement d’un canal ionique, typiquement situé dans des synapses de certains neurones. Là encore, je renvoie à mon livre pour plus d’explications et plus de détails.

[29] Sans oublier que de nouvelles propriétés émergent, en vertu du principe selon lequel « le tout est plus que la somme de ses parties », ce qui est particulièrement vrai ici en raison de la supralité. J’insiste sur ce point !

[30] Gerald Edelman, Giulio Tononi, Comment la matière devient conscience, Traduction Jean-Luc Fidel, Odile Jacob, 2000, p. 260

[31] Ransford, 2007, p. 67

[32] Ransford, 2007, p. 223

A lire aussi, trois articles d’Emmanuel Ransford ici.

anti

6 Replies to “Emmanuel Ransford”

  1. Anna Galore

    Je suis loin d’avoir tout compris mais j’aime beaucoup la métaphore de départ : la lumière n’est pas la lampe. De même, la conscience ne se réduit pas au cerveau.

    Pour le reste, j’avoue mes limitations, qui m’empêchent (largement) d’avoir une opinion sur la théorie que développe Ransford.

    L’interview est souvent passionnante, l’intervieweur étant lui aussi brillant.

  2. sapotille

    Très grand merci d’avoir relayé ici une approche des travaux vraiment passionnants de ce chercheur. Le livre présenté par anti en est une vulgarisation très accessible cependant.. même pour les très très limités en compréhension scientifique, dont je fais partie 😉

  3. anti

    Cher(e)s Ami(e)s et Amis des Amis,

    Permettez-moi de vous rappeler notre prochaine réunionde l’ARBRE du 29 mai à Paris
    Vous trouverez en fichier joint la circulaire de cette prochaine rencontre-conférence, ainsi que le plan d’accès à la salle.

    Cette même conférence, avec Emmanuel RANSFORD, a eu lieu à Strasbourg avec un immense succès. Je ne peux que vous recommander chaudement de venir et de diffuser très largement autour de vous cette information

    QUAND LA SCIENCE DECOUVRE NOS POUVOIRS CACHES

    (du visible à l’invisible auquel il est lié)

    avec

    Emmanuel Ransford

    le samedi 29 mai 2010 à 14 heures

    à la résidence « ADAGIO » porte de Versailles (salle « Rive Droite »)

    16, rue Eliane Jeannin Garreau – 92130 Issy-les-Moulineaux (voir le plan joint)

    A bientôt. N’hésitez pas à diffuser l’information à vos amis !

    Hervé STAUB, organisateur dans le cadre de l’association ARBRE

    (herve.staub@wanadoo.fr)

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