L’Agence, Alexandre Donders -6-

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L’Agence

(Vous avez l’argent ? Nous avons les comédiens !)

***

Une pièce d’Alexandre DONDERS

Suite des messages précédents

Elle raccroche et se ressert un gobelet d’eau minérale, en disant pour elle-même : Après tout, qu’est-ce que je m’en fous !

Elle reprend Cynthia : Oui, pardon, ma beauté… (Le téléphone de Peggy sonne : ) Quitte pas un instant, ma louloute…

Elle décroche chez Peggy : Ouais, l’agence… Non, c’est pas Peggy… Non, c’est pas Jacques non plus… Je peux vous aider ? Qui ça ? Dylan ? Oui, elle est là, euh, non, elle n’est pas là… Puisque je te dis qu’elle est pas là… ! Lui dire quoi ? Ouais, ouais, c’est ça, on lui dira… Allez, au revoir… (Elle raccroche, et se dirige vers le bureau de Jacques pour se resservir un gobelet. Le téléphone de Jacques sonne 🙂
Ouais… Quelle prod, vous dites ? Pour qui ? Didier Askalie ? Il est chez nous, celui, là… ? Ouais, quittez pas… (Elle cherche désespérément le CV du comédien, pour le négocier. Ses recherches sont ponctuées de : ) C’est qui ce gars là… ? Qu’est-ce que c’est que ce bordel… ? Ah, je suis pas aidée, je suis pas aidée ! (Elle reprend le téléphone). Alors… Il est à 1500 par jour, lui… Mais je sais que vous avez pas de sous… Moi non plus j’ai pas de sous… Personne à de sous… Même les gens qui ont des sous, ils ont pas de sous… Bon, va pour 800… Comment ça, vous pouvez pas… Bon, vous pouvez combien, ce sera plus simple… 500… ? C’est une plaisanterie… Allez, 600, et j’y perds… Ok 300 plus commission… Commission incluse… ? Non, non, là, vous allez trop loin, j’ai ma dignité quand même… Comment ça, tant pis… ? Bon, d’accord, commission incluse, mais vous me prenez à la gorge ! Oui, enfin, 10% de rien, si je compte bien, ça fait pas grand-chose… Il tourne combien de jours… ? Un seul… ? Eh ben, on va aller loin avec ça, ça paye même pas le téléphone… Ah, oui, c’est vous qui appelez… C’est entendu, cher monsieur… Le client est roi… C’est toujours un plaisir… (Elle raccroche et, comme une gamine qui vient de se faire gronder, tire la langue en direction du téléphone, en faisant du bruit, et en disant : ) Je vais t’envoyer 10 % de l’acteur, ça t’apprendra ! Elle se sert à nouveau un verre et reprend son amie Cynthia.

Oui, qu’est-ce qu’on disait… Que c’était calme, oui…

Le téléphone de Peggy sonne : Quitte pas …

Elle décroche : Quoi encore ?… Ca commence à bien faire ? Quel rendez-vous ? Ah…Oui… Les Rues de Saint-Malo… Non, je n’ai pas oublié, non… Vous êtes en bas… ? Je descends…
Non, je vous en prie, ne vous donnez pas cette peine… Dans trois petites minutes, le temps de prendre les photos de mes petits comédiens… Très bien… A tout de suite… Elle raccroche, prépare son book, finit au goulot la bouteille d’eau minérale, la jette par terre, du côté du bureau de Jacques, et s’aperçoit que son deuxième téléphone est décroché. Elle prend le combiné :

Allô… Ah, oui, dis-moi mon petit Yvan, tu seras gentil, quand je te laisse un message, de pas me rappeler deux jours après… Oui, non, non, j’ai pas le temps… Dis donc, j’ai huit pages d’essais pour toi… Oui, pour demain matin… Ah, il faut savoir, vous vous plaignez toujours de pas avoir de texte…
Et le réalisateur a demandé aussi que tu te laisses pousser les cheveux… Oui, pour demain. C’est ça, bye, bye… (Elle raccroche : ) Et après, ils s’étonnent qu’ils bossent pas !

Elle s’aperçoit que son premier téléphone, celui de Cynthia, est décroché. Elle le raccroche en disant : Qu’est-ce que c’est que ce foutoir ! (Puis, du milieu de la scène, elle se tourne vers les toilettes, et crie, à l’intention de Peggy : ) Tout se passe bien, Peggy ? T’as pas besoin d’aide ?

PEGGY, des toilettes : Je finis mon article… C’est un truc sur les prud’hommes !

BERNADETTE : Ah oui ? Les prud’hommes ? Ben, moi, pendant ce temps-là, je vais m’occuper de ta feuille de paye ! En prononçant ces derniers mots, elle a un début d’infarctus. Elle s’effondre et se retrouve à quatre pattes. Peggy sort enfin des toilettes.

PEGGY : Qu’est-ce que vous faites ?

BERNADETTE : Je m’entraîne à travailler sans chaise ni bureau ! ( Peggy va s’asseoir à son bureau. Bernadette se relève péniblement, et s’adresse à Peggy.) Tu notes sur la liste des courses : eau minérale. (Elle enchaîne, morte de rire.) Et par la même occasion, prends-en aussi en bouteille plastique… (Aucune réaction de Peggy.) Bon !

Elle prend son sac à main, mais oublie son book, se dirige vers la sortie, et éteint la lumière derrière elle, sans refermer la porte.
Peggy est seule dans le noir, en fait, c’est une demi-pénombre, comme au début. Elle n’ose pas bouger… Elle laisse un temps entre chacune de ses phrases.

PEGGY : Pourquoi, il fait tout noir, tout d’un coup ? … C’est peut-être une éclipse… Ou alors, on est déjà le soir… Je peux pas travailler dans ces conditions, moi… J’ai pourtant bien les yeux ouverts ?… Oui… Enfin, je crois… Je peux pas vérifier puisque je vois rien… Si ça se trouve, je suis morte… Mais si je suis morte, comment ça se fait que je parle ? Ou alors… Mais oui, c’est ça ! Ils ont saisi la lumière ! ( Sur ces derniers mots, Jacques est entré. Il va pour allumer la lumière, puis se ravise en s’apercevant de la présence de Peggy. Un temps. Il va rapidement chercher un revolver en plastique dans son bureau, puis il se positionne milieu de scène.. ) Y’a quelqu’un ?… J’ai entendu du bruit, y’a quelqu’un, là… Ici, c’est Peggy… Je suis dans le noir, mais je suis bien réelle…

JACQUES, contrefaisant sa voix, voix très douce : Bonjour Peggy…

PEGGY : Qui est là ?

JACQUES : Tu ne me reconnais pas ? c’est normal, puisque tu ne me vois pas…

PEGGY : Qui êtes vous ?

JACQUES : Je ne suis pas de ta galaxie. Mais du fond de la nuit, d’aussi loin que l’infini, je descends jusqu’ici, pour sauver tous les hommes !

PEGGY : Vous venez de la lune ?

JACQUES : Non, Peggy. Essaye de suivre. Je ne suis pas de ta voix lactée. Mais j’ai traversé cent mille un millions d’années, pour sauver de mon bras, les gens de Mégara…

PEGGY, dans un souffle : Mais vous êtes… Vous êtes…

JACQUES : Oui, Peggy, je suis… Le Capitaine Flam ! ! !

PEGGY : Le Capitaine Flam ! Oh… le Capitaine Flam ! Mais j’ai toutes vos cassettes ! Je suis amoureuse de vous depuis que je suis née !

JACQUES : Merci, Peggy. J’en ai de la chance…

PEGGY : Et comment va ta douce amie Joan ?

JACQUES : Elle va bien, merci… Elle pouponne…

PEGGY : Mais… Pourquoi êtes vous venu ?

JACQUES : Pour te demander ton aide.

PEGGY : Mon aide ?

JACQUES : Oui, apprends que l’infâme Docteur Zaru m’a frappé d’une terrible malédiction.

PEGGY, dans un souffle :Dieu tout puissant…

JACQUES : Il m’a condamné à errer éternellement sur la terre, ce qui veut dire très longtemps… Et suprême abomination, il m’a aussi condamné à purger ma longue peine sous les traits de… ( Il se rapproche de l’interrupteur. ) Sous les traits de…

PEGGY : Sous les traits de …

JACQUES, très fort, a deux doigts du visage de Peggy, et allumant la lumière : Jacques !
Jacques est dans une position ridicule avec son pistolet en plastique. Peggy, on le devine, a aussi peur qu’elle est déçue.

PEGGY, se prend la tête dans les mains en répétant : Ah, il m’a fait peur, le con ! Jacques danse ridiculement devant Peggy, en chantant le refrain de Capitaine Flam. Peggy est très vexée. Elle se lève, prends ses sacs de courses, et sans un mot, se dirige vers la sortie.

JACQUES, tente de la rattraper en lui disant : Joan, ma douce amie Joan ! ! !

PEGGY, se dégage et sort, tout en lui disant, très menaçante : Ca ne te portera pas bonheur de te moquer de Walt Disney !

Le téléphone sonne et la messagerie se déclenche «Bonjour, vous êtes bien à L’Agence, avant le Bip c’est à nous, après le Bip, c’est à vous. » (Bip).

Une voix de femme un peu ironique laisse un message : «Non seulement vous fermez tôt, mais vous ouvrez tard aussi… Maître Lacasse, huissier de justice passera, comme vous le savez, en fin de journée. Ca va, pas trop le trac pour la première, ce soir ? Allez, courage… Dites-vous que ce sera aussi la dernière…» (Même rire cynique qu’au début.)

JACQUES, qui a complètement ignoré le message, se parle à lui-même : PEDRO ! (Puis, dans un souffle : ) Pourquoi m’as-tu abandonné ? ( Il hurle la suite face public en arrachant sa chemise, ce qui lui donnera pour la suite un air encore plus négligé. ) Je pouvais pas rester éternellement à conduire des grues avec toi ! Je suis un poète, moi ! Tu peux comprendre ça ? Je suis un artiste ! Quand la vieille en voulant me draguer, m’a proposé ce boulot à l’agence, j’ai sauté dessus ! …Sur le boulot ! Je me voyais déjà… dans le spectacle ! Sur scène, pourquoi pas ? Et pourquoi les autres et pas moi ? Je suis pas plus mauvais qu’un autre…Je voulais que tu sois fier de moi, Pedro ! Je voulais que tu m’admires en pleine lumière ! Je voulais briller pour nous deux… pour toi mon amour… Mon amour de toute ma vie… Je voulais tellement de choses, et… Voilà… Voilà ce que je suis devenu… Regarde Pedro ! Regarde comme je brille sans toi ! (Puis, il se dirige vers son bureau, effaçant au passage le message que l’on vient d’entendre. Son regard tombe sur sa bouteille d’eau minérale, qui gît par terre. Il s’arrête, blêmit, puis se dirige lentement et pesamment vers le bureau de Peggy, et, animé par une folie destructrice inouïe, il casse en deux tous ses crayons de papier soigneusement taillés, en disant : ) Ah, ils ont bonne mine, tes crayons, maintenant !

Son forfait accompli, il disparaît aux toilettes en ricanant. Un temps. Il ressort, prends le fax posé sur le bureau de Bernadette, et l’emporte avec lui aux toilettes en le froissant. Il a toujours son pistolet en plastique à la ceinture. Il referme la porte en la claquant violemment, ce qui a pour effet de faire tomber le cadre de la très respectueuse Mme Delaunay. Retour de Peggy avec ses sacs de courses. Elle n’a pas l’air de très bonne humeur… Elle pose sèchement son gros sac de course à côté de son bureau, sans voir ses crayons cassés, et en disant :

PEGGY : Ah, vous voulez pas me les reprendre, mes courses, ni me les échanger ! Puisque c’est comme ça, vous n’êtes pas prêts de me revoir ! (Puis, se croyant seule, elle s’installe dans le fauteuil de Bernadette en prenant des airs de directrice. Soudainement, elle décroche les deux téléphones en disant : ) Achetez !… Vendez !… Passez-moi New York sur la une, et Tokyo sur la deux ! Passez-moi aussi La Courneuve ! Bon, alors, passez-moi le sel et le poivre… Allô, Bernadette ? C’est votre dernier mot ?… Vous êtes le maillon faible… Au revoir… (Elle raccroche, satisfaite. Puis, très sûre d’elle : ) Ordre du jour : Interrogation écrite ! Sortez vos cahiers et vos équerres! Cette agence a été créée pour aller aux… Non, Jacques, pas pour aller aux toilettes ! (Elle tape violemment sur la table et imite Bernadette jusqu’à l’intonation.) Laissez-moi vous résumer la situation, au moins pour toi, Jacques. Aujourd’hui, il ne reste plus rien de l’argent que… Bon enfin, y’en à plus ! Nous allons bientôt travailler par terre ! Ca ne changera pas grand-chose pour toi, Jacques, tu es déjà au ras du sol ! Je vous incite à travailler dans un esprit de travail ! Peggy, je t’augmente de… quatre cent % ! (en disant ça, elle simule un arrêt cardiaque.) Quant à toi… (vers Jacques : ) Quelles sont les couleurs primaires ? … Non, non, c’est au gorille dans la brume que je pose la question… Très bien, pour la peine, tu me chercheras une comédienne rouge ! Peggy a émis le souhait de rentrer dans l’agence en tant qu’actrice. Audition de Peggy !

(elle se relève, très humblement, en jouant le trac, se dirige milieu de scène, face public, et se tord les mains en saluant deux ou trois fois, comme elle l’a vu faire dans l’Ecole des Fans.

Elle mime de façon plus que consternante une tragédienne dont l’essentiel du texte se résumerait à : ) Oh, mon Dieu… ! (en se contorsionnant et en levant les bras au ciel… Elle finit par s’adosser à son bureau, et dans un dernier élan Shakespearien, se retourne majestueusement, les mains dessus, et tombe nez à nez sur ses crayons déchiquetés… Pour le coup, elle hurle : ) Oh, mon Dieu ! (de façon tout à fait réaliste et se met à courir bêtement sur scène en se tordant les mains de douleur et en répétant ces mêmes mots. Au terme d’une très brève enquête intellectuelle, ses soupçons se portent immédiatement sur l’un de ses deux ennemis numéro un, à savoir, en l’occurrence, Bernadette. Du milieu de la scène, elle hurle plusieurs fois : ) Tarée ! (à l’adresse de Bernadette, même jeu qu’au début, tout en se regardant dans la glace. Sur ces mots, Bernadette, qui avait oublié son book, entre. Elle jauge d’un regard la situation, estime que tout est à peu près normal, compte tenu de son taux d’alcoolémie, prend son book, et ressort. On entend un grand boum, qu’on pourrait assimiler au bruit que ferait une personne qui se vautrerait lamentablement dans un escalier. Peggy reste un moment bloquée. Mais toujours emprisonnée dans sa haine destructrice, elle saisit brusquement le brigadier, et se met à frapper avec la dernière énergie sur le bureau de Bernadette. A ce même moment, entre le très respectable Alain Naudin. Peggy, remarquant que quelqu’un est entré, s’essuie le front d’un revers de la main, et dit, dans un sourire un peu gêné.)

PEGGY : Ah ! Cette maudite poussière ! …

ALAIN NAUDIN, lui tend la main et se présente : Bonjour. Alain Naudin. Bernadette Delaunay, c’est bien ici ?

à suivre

anti

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