La trilogie de Alejandro González Iñárritu.

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« Toute la terre avait une seule langue et les mêmes mots. Comme ils étaient partis de l’orient, ils trouvèrent une plaine au pays de Schinear, et ils y habitèrent. Ils se dirent l’un à l’autre : Allons ! Faisons des briques, et cuisons-les au feu. Et la brique leur servit de pierre, et le bitume leur servit de ciment. Ils dirent encore : Allons! Bâtissons-nous une ville et une tour dont le sommet touche au ciel, et faisons-nous un nom, afin que nous ne soyons pas dispersés sur la face de toute la terre. L’Éternel descendit pour voir la ville et la tour que bâtissaient les fils des hommes. Et l’Éternel dit : Voici, ils forment un seul peuple et ont tous une même langue, et c’est là ce qu’ils ont entrepris; maintenant rien ne les empêcherait de faire tout ce qu’ils auraient projeté. Allons ! Descendons, et là confondons leur langage, afin qu’ils n’entendent plus la langue, les uns des autres.

Et l’Éternel les dispersa loin de là sur la face de toute la terre; et ils cessèrent de bâtir la ville. »

Extrait de la Genèse

Mercredi dernier Anna et moi avons visionné « Babel« , le dernier opus de la trilogie sur le destin et les petits arrangements du hasard du réalisateur mexicain Alejandro González Iñárritu. Ce film intervient après Amours chiennes et 21 grammes.

Je dois dire que de ces films, j’en ai vu 2 : 21 grammes et donc, Babel. J’ai vraiment beaucoup, beaucoup aimé. Comme dirait Michel Rauscher, ces films m’ont laissée « dans cet état que j’aime . Sortir du cinéma complètement égaré et sonné..

Outre les histoires sur lesquelles je reviendrai, il y a avant toute chose la musique.

Pour les trois films, les bandes son ont été composées par Gustavo Santaolalla.

Compositeur argentin, j’ai retrouvé avec bonheur le fameux accordéon, la profondeur, et cette chose qui vous prend aux tripes si typique, à mon avis, des oeuvres – quelqu’elles soient littéraires, cinématographiques ou autre, – des auteurs d’Amérique du sud, alliant le sang, la détresse, la mort et l’amour de manière si particulière.

Une musique envoûtante donc, pour accompagner des images et des histoires aussi terribles que belles.

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PORTRAIT : ALEJANDRO INARRITU, un article DVDRama

Babel. Les mêmes hommes, la même histoire, le même style visuel et narratif. Amores Perros. Trilogie aux récits éclatés, aux motifs similaires, aux variations subtiles. 21 Grams. A la croisée des chemins : Alejandro González Iñárritu. Portrait impressionniste.

Guillermo Arriaga a eu un terrible accident de voiture quand il avait 26 ans. C’était dans les montagnes du centre du Mexique. « Soudain, j’étais au milieu de la mort. Ensuite, je suis devenu hanté par ce qui s’était passé avant, pendant et après l’accident » (Ndr : Extrait de l’interview réalisée par Claire Dixsaut dans La Gazette des scénaristes #21). Télescopage à la source des histoires, d’accidents de voitures en bus frappé par une balle. Impact des rencontres qui modifient les trajectoires personnelles, celles des personnages comme celles des personnes. On ne rencontre pas les gens par hasard. Née d’Amours chiennes, celle entre le scénariste Guillermo et le réalisateur Alejandro a donné naissance à deux autres beaux enfants, nommés 21 grammes et Babel.

Alejandro González Iñárritu a deux enfants. Il vit à Los Angeles avec son épouse et ses deux anges. Les enfants, toujours présents dans les longs métrages d’Iñárritu, en constituent toujours le coeur, avec l’amour. Un jeune bébé, un autre en cours de création dans Amours chiennes, deux fillettes fauchées par une voiture et les deux autres enfants du taulard repenti dans 21 grammes, deux blondinets américains qui découvrent le Mexique natal (… de la nounou) et deux gamins marocains qui font une grosse bêtise dans Babel. Autant de figures transposées qui forment le parcours, les joies, les angoisses et les risques (du métier) de papa.

Montage cut. Martin Hernández est ingénieur du son. Il a travaillé entre autres sur La cité de Dieu de Fernando Meirelles et dernièrement Le labyrinthe de Pan de Guillermo del Toro, présenté en Sélection Officielle au Festival de Cannes 2006. Président du Jury : Wong Kar-Wai. En 2001, le hongkongais fait partie de la poignée de réalisateurs ayant réalisé un court-métrage dans une série publicitaire commandée par BMW. Powder keg est le titre de l’un deux. Il a été réalisé par Alejandro González Iñárritu.

« Pour faire rigoler Dieu, parle-lui de tes projets » Dans Amours chiennes, comme dans 21 grammes et Babel, la dimension religieuse est une grille de lecture importante, reprenant quelques grands thèmes de la Bible comme Abel et Caïn, la Rédemption ou Babel. Le réalisateur mexicain est catholique mais utilise surtout ces grands mythes fondateurs comme une caractérisation archétypale de ses personnages.

Alejandro González Iñárritu joue dans Amours chiennes le rôle d’un publicitaire pendant quelques photogrammes du film au moment où Daniel reçoit un coup de téléphone de la part de Valéria à son bureau. Transposition de la vie à l’écran. Lui-même a été publicitaire lorsqu’il a créé sa boîte de production Zeta Films en 1991 avec Martin Hernández et quelques autres amis. C’était son quatrième métier dans l’audiovisuel.

A l’age de 21 ans, Alejandro débute sa carrière en étant DJ sur la plus grande radio du pays, WFM (96.9 FM). Il anime une émission de trois heures. Sa passion pour la musique lui fait composer les bandes originales de six films mexicains entre 1988 et 1990. Se considérant comme un musicien frustré, il dit pourtant penser « musicalement ». Matière fondamentale de ses films, pour lui la musique ne doit pas servir à maquiller l’échec du réalisateur à créer la bonne atmosphère mais apporter une autre dimension.

Raccord son. Trois films. Trois films « choral ». Le réalisateur aime mixer les histoires entre plusieurs personnages, et jusqu’à ce jour ce procédé narratif devient sa marque de fabrique pour ses longs métrages. Une des astuces de montage pour passer d’un événement à l’autre est alors de raccorder les deux syntagmes par le son. Classique mais efficace.

A la tête de sa boîte de production, Iñárritu cherche de bons scénarios à réaliser. Il entre en contact avec un écrivain ancien universitaire de 5 ans son aîné, ayant publié son premier livre L’escadron guillotine à 33 ans en 1991. Son deuxième roman en 1994 s’appelle Un doux parfum de mort. Il est adapté au cinéma par l’acteur/réalisateur Gabriel Retes en 1999 mais désavoué par l’écrivain. Entre ses scénarios pour la télévision, la radio, et l’écriture de son troisième livre en 1999, Un bison dans la nuit, Guillermo Arriaga réalise deux courts-métrages El campeón en 1999 et Rogelio en 2000.

9. Nine lives de Rodrigo Garcia dresse neuf portraits de femmes contemporaines en 9 plans-séquences. Alejandro González Iñárritu en est le producteur exécutif, comme pour le film Toro negro de Carlos Almegra. Depuis Amours chiennes, Iñárritu est producteur de ses propres films. 9, c’est aussi le nombre de caméras qui ont filmé simultanément l’accident de voiture dans Amours chiennes.

722313547.jpgUn impact sur un pare-brise forme une étoile. Structure essentielle des trois longs métrages d’Iñárritu : croisements de ligne de vies qui repartent dans une direction déviée. Star. Gael Garcia Bernal. Sean Penn. Benicio Del Toro. Brad Pitt. Naomi Watts. Cate Blanchett. Clive Owen. Miguel Bosé. Et tous les autres, Emilio Echevarria, Charlotte Gainsbourg, Adriana Barraza, Rinko Kikuchi, Kôji Yakusho. Le casting impose le respect, et réciproquement. Après avoir étudié le cinéma et le théâtre en 1986, Iñárritu suit des cours de direction d’acteurs en 1992 aux Etats-Unis dans le Maine et à Los Angeles.

New York. 11’09 »01 : September 1I. Au côté de réalisateurs reconnus comme Ken Loach, Samira Makhmalbaf, Shohei Imamura ou Youssef Chahine, Alejandro González Iñárritu propose sa vision des attentats du World Trade Center. « Darkness » donne moins à voir qu’à entendre. Ecran noir, sons de la tragédie, flashes de chutes dans le vide. Le réalisateur montre son talent de monteur visuel et sonore, et la force de son propos. Pas seulement un manipulateur d’images et de sons, un artiste dont le court-métrage rappelle un autre artiste expérimental, Maurice Lemaître et son The song of Rio Jim en 1978. Sean Penn signe lui aussi un court-métrage, et sera la vedette du second film d’Iñárritu.

21 grammes : Prix du Jury du Meilleur Acteur au Festival de Venise pour Sean Penn, nomination aux Oscars pour Benicio del Toro et Naomi Watts. Amours chiennes : plus de cinquante prix dans le monde entier dont le BAFTA awards du Meilleur film en langues étrangères ou le Prix de la Critique à Cannes. Babel : Prix de la Mise en Scène au Festival de Cannes 2006. Powder keg : trois Clio Awards et Grand Prix Cyber Lion au Festival de Cannes du film publicitaire. Etc., etc., etc.

Famille. Pour Iñárritu, l’importance de la famille est primordiale. 21 grammes est dédié à sa femme. Tous ses films traduisent des liens familiaux qui se font, se défont, se refont, se desserrent ou se resserrent. Iñárritu s’est aussi constitué une famille de cinéma. Gael Garcia Bernal et Adriana Barraza ont tourné dans Amours chiennes en tant que mère et fils, et dans Babel en tant que neveu et tante. Martin Hernández son ingénieur du son, Guillermo Arriaga son scénariste, Rodrigo Prieto son directeur de la photographie, Gustavo Santaolalla le compositeur de la musique ou Brigitte Broch, chef décoratrice l’accompagnent sur presque tous ses projets. D’où, en dehors du particulier « Darkness », l’homogénéité des films et leur continuité de film en film.

Discontinuité. 21 grammes a été tourné dans l’ordre chronologique. Pour autant, Guillermo Arriaga révèle que la structure du scénario n’a pas évolué entre sa première version censée se passer au Mexique et la transposition américaine. Pour Arriaga, qui souffre d’un Trouble du Déficit de l’Attention, la déconstruction est naturelle et constitue sa manière d’écrire, à l’instinct et en couchant sur le papier les idées comme elles viennent. Ce processus épouse la manière discontinue dont tout le monde raconte ses histoires, mais permet aussi de multiplier les points de vue et de remplacer les liens logiques de l’histoire par des liens émotionnels.

Sang, sexe, violence, à l’instar de la photographie sombre et réaliste, Alejandro González Iñárritu n’hésite pas à montrer crûment les ravages intérieurs et physiques des personnages. Filmant à fleur de peau, souvent en caméra à l’épaule au plus près des acteurs, il communique ainsi leurs sentiments et émotions au public. 21 grammes a été quasiment tourné entièrement caméra à l’épaule. Babel offre une photographie plus claire et des plans plus stables, l’espoir en l’humanité renaît. Lentement.

4×4. Autre motif récurrent dans la filmographie de Iñárritu. Souvent associé aux drames à venir, comme lorsque Octavio se fait poursuivre dans Amours chiennes causant l’accident, ou symbole de la volonté divine dans 21 grammes, d’abord don de Dieu puis instrument de la faute, mais aussi dans Powder keg où un journaliste de guerre blessé, secouru par Clive Owen, se fait poursuivre par des guérilleros paramilitaires en 4×4, avant de forcer un barrage frontalier, comme dans Babel.

En 1990, Alejandro González Iñárritu devient chargé de la production publicitaire sur Televisa, la plus grande chaîne de télévision du Mexique. Il gère l’habillage et la promotion mais commence aussi à toucher à la réalisation en tournant des publicités pour la chaîne. En 1995, il tournera son premier moyen-métrage Detrás del dinero avec Miguel Bosé pour Televisa.

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Fidélité. En 1997, Iñárritu réalise une campagne publicitaire pour WFM, la radio qui l’avait engagé à 21 ans et reçoit un award pour celle-ci. C’est à WFM qu’il a connu Martin Hernández avec qui il a fondé Zeta Films, et qui est depuis son ingénieur du son attitré. Dans ses trois longs métrages, la fidélité est remise en question, ballottée entre opportunisme et sentiment amoureux. Le coeur et le couple vacillent mais l’amour ressort toujours vainqueur… mais pas pour tout le monde !

Tout le monde. Amours chiennes se passe à Mexico City. 21 grammes aux Etats-Unis et concerne trois communautés, américaine, mexicaine et anglaise. Babel se passe dans quatre pays avec quatre communautés différentes, Maroc, Etats-Unis, Mexique, Japon. Expansion géographique qui suit le parcours d’Alejandro González Iñárritu. Après Amours chiennes, il s’installe aux USA. En promotion mondiale pour 21 grammes en 2003, il découvre le Japon et un vieil homme qui s’occupe avec amour et dignité d’une jeune handicapée. Cette puissante image lui donne l’idée de l’histoire d’une relation entre deux personnes isolées chacune à sa manière. Il y croise aussi étrangement et de manière répétée des personnes sourdes. A 17 ans, Alejandro avait fait un voyage au Maroc et devant les splendides déserts et les impressionnantes montagnes s’était promis qu’un jour il y ferait un film. Battements d’ailes d’un papillon.

Guillermo Arriaga aime la chasse… mais pas aux papillons, au fusil. C’est comme cela qu’il a gagné le Prix du scénario au Festival de Cannes de 2005. Un coup de feu, Trois enterrements. L’acteur Tommy Lee Jones l’invite à une chasse-party sur ses terres texanes, ils parlent de chasse, d’amitié, d’immigration mexicaine. Une belle histoire est née. L’acteur devient réalisateur, le scénariste acteur. Les scénarios d’Arriaga tournent beaucoup autour d’un coup de feu, déclencheur de drame et moteur émotionnel et narratif des histoires.

tir-3.jpg Variations autour du même thème. Si dans Babel, l’accident et le coup de feu sont liés, dans 21 grammes l’accident entraîne le coup de feu, tandis qu’inversement dans Amours chiennes le coup de feu entraîne l’accident. Trois possibilités, trois films. Plus encore. La manière dont l’accident lie les personnages principaux de l’histoire. En corrélation directe avec la portée géographique du film, plus le lieu est circonscrit, plus les personnages principaux sont directement concernés par l’accident. Dans Amours chiennes, Octavio percute Valéria et El Chivo est témoin de l’accident. Dans 21 grammes, Jack percute les filles de Cristina, et Paul vient se greffer par dessus. Dans Babel, la balle percute Susan, et les répercussions se font à l’autre bout du monde, au Japon, aux Etats-Unis et au Mexique.

Frontières. Guillermo Arriaga est le premier scénariste mexicain à avoir un film tourné aux Etats-Unis avec 21 grammes. Comme pour beaucoup de mexicains, la frontière avec les Etats-Unis est une réalité quotidienne. Très secondaires dans Amours chiennes avec juste le mannequin espagnol, l’immigration et les problèmes de frontières prennent de plus en plus d’importance dans 21 grammes (le petit jardinier mexicain et surtout Jack) et dans Trois enterrements. Babel enfonce le clou et s’ouvre à toutes les frontières pour montrer l’universalité des sentiments chez l’homme, notamment l’amour et la solitude.

Répétition. Avec Zeta Films, Iñárritu produit des publicités, des programmes de télévision et des courts-métrages. Il commence à écrire et réaliser des publicités pour la télévision et des courts-métrages dont El timbre en 1996. Pour lui, ces projets sont des répétitions avant son premier long métrage.

Répétition. A première vue, les films d’Alejandro González Iñárritu semblent répétitifs dans leur style et leur narration. En réalité, le réalisateur procède à de subtiles variations. Presque linéaire, Amours chiennes suit trois couples de personnages les uns après les autres, effectuant quelques points de rencontres et d’incursions dans chacune des histoires, et surtout un seul point de contact commun : l’accident. Le film répète alors certaines séquences autour de ce point nodal, comme la course-poursuite avec Octavio, et en varie surtout le point de vue selon les personnages impliqués.

Répétition. Dans les trois films, les personnages finissent rattrapés par leur passé ou sombrent à nouveau dans leurs erreurs. Surtout dans Amours chiennes et dans 21 grammes, ils vivent dans la spirale de la répétition, enfermés dans des cycles. Octavio, pauvre et amoureux de sa belle-soeur sans espoir, Daniel, en ménage avec une femme qu’il n’est pas sûr d’aimer. Paul, malade du coeur à double reprise et dès lors condamné à mort, Jack emprisonné par deux fois, à la foi vacillante mais trouvant la rédemption dans sa famille, Cristina replongeant dans la drogue, mais retombant aussi enceinte… avec le père de son futur enfant décédé.

Comme dans les tragédies, les personnages des films d’Iñárritu ne peuvent échapper à leur destin. Pour autant, ce fatum qui fait basculer leur vie en un claquement de balle, n’est pas exempt de déterminismes économiques, culturels, sociaux et idéologiques. Pauvreté ou richesse, alcoolisme, drogue, pays de naissance, conceptions religieuses, amoureuses ou préjugés culturels. Chaque personnage évolue entre destin et déterminisme, comme il évolue en équilibre précaire sur le fil de sa vie, de chutes en rémissions.

Vie brisée. Le destin brise les vies des personnages. Mais celles-ci sont déjà bien ébréchées. Aux divers déterminismes s’ajoutent souvent des handicaps physiques, des blessures du corps, comme les jambes fracturées puis amputées de Valéria, le coeur malade et la transplantation de Paul, la cécité dans Powder keg ou la surdité dans Babel. Ces corps en morceaux, ce sont aussi les gens qui se jettent du World Trade Center dans « Darkness », encore une histoire d’impact liant déterminisme et destin. Ces corps en morceaux, c’est aussi la narration choisie par Iñárritu et Arriaga pour raconter 21 grammes. Des vies en pièces façon puzzle.

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Les sutures. Dans tous ses films, Alejandro González Iñárritu montre ces blessures mais aussi les sutures et cicatrices, manière souvent uniquement symbolique de rapiécer ces vies en morceaux. Valéria le mannequin, Octavio après l’accident tête rasée, Paul et son coeur transplanté, Susan recousue à vif. 21 grammes inscrit dans sa forme ces sutures grâce à ces plans caméra à l’épaule qui renouvelle le découpage classique, une action par plan. Au contraire, Iñárritu brise les règles classiques de narration cinématographique, en racontant plusieurs choses dans un plan, en montrant différentes actions selon différentes valeurs de cadre, rapprochant les personnages entre eux dans le même plan, créant de nouveaux liens entre eux. En effectuant les coupes ailleurs, en filmant des plans parfois longs qui passent d’un personnage à l’autre, Iñárritu tente de recréer des liens entre les personnages comme des points de suture.

Guillermo Arriaga et Alejandro González Iñárritu commencent à travailler sur 11 courts-métrages montrant la nature contradictoire de Mexico City. Mégalopole de 21 millions d’habitants où vagabondent près d’un million de chiens errants, et où se mêlent corruption, violence et pollution, mais aussi une certaine beauté. 3 ans et 36 versions plus tard, ils s’arrêtent sur 3 histoires et décident de les développer en un long métrage. Amours chiennes sera réalisé en 1999.

Raccord image. Comment relier des personnages quand on n’a plus de repères chronologiques ou de causalité ? Dans Amours chiennes, le récit principalement linéaire ne lie les différentes histoires que par quelques points de rencontre et surtout un : l’accident. Les protagonistes s’ignorent. Dans 21 grammes, les liens sont plutôt thématiques ou autour de la séquence finale démarrée dans le motel où les trois personnages principaux se trouvent réunis pour l’assouvissement de la vengeance. La réunion renvoie pourtant chacun à sa solitude, et ne marque en définitive que la désunion. Dans Babel, les raccords sont plutôt événementiels (scène de drogue, scène de police) ou liés à des objets (armes à feu, une balle de fusil/une balle de volley). Le cinéaste met alors en exergue la correspondance entre les peuples, notamment la souffrance et l’abandon.

Déconstruction. Alejandro González Iñárritu est le spécialiste des récits déconstruits. Chacun de ses films déconstruit un élément narratif à sa manière. Amours chiennes déconstruit les relations entre les personnages principaux, 21 grammes déconstruit le temps, Babel déconstruit l’espace. Ces déconstructions permettent de mettre en place des reconstructions, de nouveaux liens dans le récit, qui sont souvent soulignés par une démultiplication du point de vue. L’accident sous plusieurs angles dans Amours chiennes, les gros plans successifs sur les personnages selon plusieurs axes, brisant les règles classiques du montage, dans 21 grammes.

« El nigro » est le nom du chien noir qui part avec le clochard à la fin d’Amours chiennes, un chien qui est devenu une machine à tuer et bouffe tout sur son passage. « El nigro » est aussi le surnom d’Alejandro González Iñárritu.

Vie et mort. « Combien pèse une vie ? ». Trois enterrements. Guillermo Arriaga sait que la vie et la mort sont étroitement liées. Dans son bureau trônent des crânes et des squelettes. « Les squelettes m’aident à écrire » dit-il. « Regarde tes mains. Un jour, ce seront celles d’un cadavre. Fais-en bon usage ! Quand je rentre d’une fête à quatre heures du matin, je n’ai pas envie de travailler. Mais je regarde ces crânes, et je me souviens que je vais mourir. Je ne pourrais plus rien faire. C’est ce qui me pousse à écrire, à créer. » (Ndr : Extrait d’un article écrit par Kevin Conroy Scott pour Written by, traduit et condensé pour La Gazette des scénaristes #21)

Arnaud Olzeski

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anti

9 Replies to “La trilogie de Alejandro González Iñárritu.”

  1. Anna Galore

    Je suis fan ! Comme Anti, je n’ai vu pour le moment que 21 grammes et Babel, deux chefs d’oeuvre renversants. J’adore sa façon de raconter les histoires dans un ordre qui n’a rien de chronologique, de montrer les destins et les trajectoires qui s’entremêlent et cela sans rien perdre à la compréhension, à la clarté. Un très grand maître du montage que ce monsieur.

    Quant à l’utilisation de la musique comme « acteur » supplémentaire, c’est extrêmement bien vu.

    Il me tarde de découvrir Amours chiennes.

  2. ramses

    Alejandro González Iñárritu est un génie… Je n’ai retrouvé cette façon d’aborder la vie et la mort que chez Claude Sautet (« Les choses de la vie ») et Pablo Almodovar.

    « 21 grammes » m’interpelle énormément… On dit que c’est le poids de l’âme s’échappant du corps d’un défunt. Des expériences scientifiques très précises ont été réalisées sur le sujet, le lit sur lequel gît le mourant reposant sur une bascule d’une extrême précision. A l’instant du dernier soupir, on mesure effectivement une perte de poids de l’ordre de 21 grammes…

    Les croyants prétendent que c’est l’âme qui s’envole, les scientifiques soutiennent que ce sont des gaz et de la sudation qui prennent le large…

  3. anti

    Ca… On ne le saura qu’au moment de notre propre mort, ce qui me fait penser que je n’ai toujours pas fait de note sur « La Source noire »…

    anti

  4. Anna Galore

    J’ai un peu de mal à croire que, si l’âme existe, elle ait un poids. Cela voudrait dire qu’elle est matérielle et il me semble qu’il s’agit là d’une absurdité pour un croyant.

    Quant aux 21 grammes, il s’agit d’une théorie fumeuse proposée par un médecin américain en 1907, qui a pesé six moribonds, avant et après leur mort. Non seulement, six c’est beaucoup trop peu pour en déduire une loi mais il se trouve qu’en plus, les six ont tous donné des écarts différents. Le médecin a déclaré que c’était la balance qui marchait mal et que le poids était toujours 21 grammes, en dépit de ses mesures. Comme dit le proverbe facétieux d’un scientifique que j’ai connu « Les données torturées par les certitudes finissent par avouer n’importe quoi ».

    La raison de la perte de masse à l’instant de la mort est beaucoup moins éthérée. Les poumons se vident et, pardonnez ce détail, les sphincters se relâchent.

    L’âme existe peut-être mais je ne pense pas qu’elle puisse se cacher dans des endroits pareils. Ou alors, il y a des passages de la Bible qui m’ont complètement échappé.

  5. ramses

    Anna,

    C’est juste une métaphore… J’aime cette idée, même si elle n’a rien de scientifique… Une représentation de l’Eternité, qui aide à supporter la disparition de ceux qui nous ont quittés… Comme dit Anti, « on verra bien »…

  6. anti

    J’espère que tu auras l’occasion de les voir Jayshree. Je pense, compte tenu de ce que tu écris, qu’ils devraient te plaire !

    anti

  7. anti

    Voilà, ce soir nous avons regardé « Amours chiennes » et nous nous sommes régalées ! Magnifiquement filmé, des acteurs brillants et dirigés d’une main de maître, un scénario qui tient la route de manière implacable.

    Après « 21 grammes » et « Babel », la boucle est bouclée et je referais volontiers un tour.

    anti

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