Histoire de la reine serpent

Il y avait autrefois, au temps où les hommes étaient avisés et sages, un érudit du nom de Daniel, qui longtemps avait espéré un fils. Mais lorsque son rêve fut sur le point de se réaliser, il était hélas bien vieux et tout près de mourir.

Avant d’être emporté vers l’au-delà, il fit venir son épouse et lui dit:

« Hélas c’est maintenant qu’il me faut vous quitter toi et l’enfant qui va naître. J’ai peu de biens à lui laisser en héritage, mais puisses-tu avec l’aide d’Allah, lui donner le goût et l’envie de s’instruire et d’acquérir la sagesse… »

Hasib naquit peu après la mort de son père. Respectant la volonté du défunt, sa mère accorda la plus haute importance à son éducation et à son instruction et l’envoya à l’école dès l’âge de cinq ans.

Mais Hasib ne ressemblait en rien à son père; à l’école il était toujours le dernier, et paraissait incapable d’apprendre un métier. Sa mère était désespérée et ne savait plus que faire de lui lorsque quelques bûcherons de ses voisins lui proposèrent de l’emmener avec eux couper les arbres de la forêt.

A la grande surprise de tous, ce travail eut l’air de plaire à Hasib. Infatigable, il aida à couper le bois et à le transporter, si bien que les bûcherons, fort contents de lui, lui proposèrent de travailler avec eux.

Un jour, en pleine forêt, ils furent surpris par un orage et allèrent chercher refuge dans une grotte obscure en attendant que la pluie cesse.

Assis dans un coin, à l’écart des autres, Hasib s’amusa à donner des coups de hache dans les énormes blocs de pierre qui étaient à ses pieds. Étonné par les sons creux que cela produisait, et pensant que sans doute ces pierres dissimulaient quelque ouverture, il entreprit de les déplacer, et là, il ne put retenir un cri en découvrant juste au-dessous de lui, une sorte de niche d’où s’échappait une délicieuse odeur de miel…

Aussitôt les bûcherons se précipitèrent, et l’un d’entre eux glissa sa main dans l’ouverture; ses doigts s’enfoncèrent dans une substance épaisse et poisseuse. Aucun doute, Hasib venait de découvrir un plein bassin de miel.

Les bûcherons ne perdirent pas une minute pour profiter de l’aubaine et en tirer avantage. Ils coururent chez eux chercher des jarres, des bassines de cuivre et tout ce qu’ils purent trouver, et tandis qu’Hasib gardait l’entrée de la grotte, ils allèrent et vinrent, remplissant leurs récipients et vendant le miel jusqu’à la dernière goutte.

De simples bûcherons qu’ils étaient, ils devinrent en quelques jours marchands, et c’est seulement alors qu’ils pensèrent à récompenser Hasib : c’était lui qui avait trouvé le miel. « Il n’y a qu’une chose à faire », dit le plus vieux d’entre eux après avoir longtemps réfléchi. « Il faut se débarrasser de lui. » Et tous les autres approuvèrent, car s’ils étaient devenus riches, ils étaient aussi devenus méchants et cupides.

Mettant à exécution leur funeste projet, ils proposèrent dès le lendemain à Hasib de le faire descendre au bout d’une corde dans le trou, pour en retirer les dernières gouttes de miel, et dès que ses pieds eurent touché le fond, ils lâchèrent la corde, refermèrent l’ouverture à l’aide de blocs de pierre, et s’en retournèrent à la ville en pleurant et en criant que le pauvre Hasib était mort, dévoré par les loups.

Or, tandis que sa mère sanglotait et se lamentait de la perte de son fils unique, Hasib, assis au fond du trou, cherchait désespérément un moyen de s’échapper. Enfin ses yeux rencontrèrent dans l’obscurité un faible rayon de lumière sur l’une des parois du trou. Comme il se dirigeait à tâtons vers cette lueur tremblotante, ses doigts rencontrèrent un pan de la paroi mal ajusté et qui sembla céder facilement par une simple pression des mains.

En fait, Hasib eut bientôt les mains en sang tant il était obligé de pousser pour finalement voir s’élargir le mince filet de lumière. Voyant ses efforts récompensés, il s’acharna de plus belle. La paroi finit par céder et par lui laisser assez de place pour pouvoir passer…

Il se trouva alors dans un étroit passage bien éclairé qui conduisait à une immense porte de fer toute noire, derrière laquelle brillait une autre porte en argent ciselé, fermée par une clef d’or…

Hasib fit jouer la clef dans la serrure et ouvrit la porte : là, devant lui, s’étendait un lac d’un vert magnifique, Si étincelant qu’il pouvait à peine le regarder.

Or ce n’était pas un lac ordinaire. Et ce n’était pas la surface de l’eau qui brillait d’un éclat aussi pur, mais une multitude d’émeraudes au milieu desquelles s’élèvait un trône d’or, entouré d’une centaine de tout petits sièges. Hasib essaya de les compter, mais à bout de forces, il se laissa bientôt envahir par le sommeil.

Qui sait depuis combien de temps il dormait lorsqu’il fut réveillé par d’étranges sifflements, comme s’il était entouré de milliers de serpents. Hélas, il ne s’agissait pas de milliers de serpents mais plutôt de dizaines de milliers. Ils étaient assis sur les petits sièges et se balançaient d’un côté et de l’autre, leurs méchants yeux noirs fixés sur lui…

Au milieu, sur le trône, un serpent à visage de jeune fille le regarda et l’interpella : « Ne crains rien, Hasib. Ta destinée est liée à la mienne, et je ne te ferai aucun mal. Je suis la reine serpent, et je dois t’enseigner la sagesse car tel est mon destin; tu ne pourras retourner parmi les tiens que lorsque tu seras suffisamment sage et instruit… »

Hasib se demanda un instant s’il n’était pas en train de faire un cauchemar, mais quand la reine lui fit apporter des fruits et de quoi se restaurer, il reprit confiance, et lui raconta ce qui lui est arrivé.

« Tu ne connais pas encore les hommes », lui dit la reine quand il eut terminé. «Désormais, il te faudra m’écouter et apprendre jusqu’à ce que le monde commence à te manquer…»

Ainsi deux années s’écoulèrent, pendant lesquelles Hasib découvrit et apprit toute la sagesse du monde, avant qu’enfin il ne se souvint de sa maison et de sa mère. Alors il confia à la reine son désir de quitter le royaume des serpents pour s’en aller retrouver le monde.

« Je savais que tu voudrais repartir un jour », lui dit la reine, « car c’est dans l’ordre des choses. Mais tu dois me promettre, car ma vie en dépend, de ne jamais entrer dans un bain public ni te montrer nu à qui que ce soit. »

Hasib accepta, sans toutefois la comprendre, l’étrange requête de la reine, puis celle-ci le reconduisit à travers les nombreuses galeries jusqu’à la surface de la terre, après l’avoir comblé de cadeaux. Aussitôt Hasib se hâta d’aller embrasser sa mère qui se mit à pleurer de joie en le voyant en vie et en bonne santé, elle qui l’avait cru mort depuis des années.

Même les bûcherons, qui étaient maintenant devenus de riches marchands, lui firent bon accueil et chacun d’eux lui donna une partie de sa fortune; ainsi Hasib devint en peu de temps un homme fort respecté. Aussi quoi de plus naturel qu’Hasib devint très vite un habitué de la cour du sultan. Tous l’admiraient pour l’étendue de ses connaissances, et il n’avait que des amis excepté le vizir Schumur qui le jalousait secrètement.

Or, un jour, le sultan Karazdan contracta la lèpre, et personne pas même Hasîb, malgré son savoir, n’était en mesure de le soigner. Il advint alors dans le même temps que le vizir Schumur invitât Hasib dans son hammam personnel. Celui-ci, bien qu’il eût toujours respecté le désir de la reine serpent, se trouva cette fois dans l’impossibilité de refuser l’invitation.

Que dire au vizir? Il se rendit donc au hammam, mais dès qu’il se déshabilla, le vizir appella ses gardes et le fit saisir.

« Persistes-tu toujours à dire que tu ne connais aucun remède à la maladie du sultan ? » lui dit-il, et il ajouta « Tu as la peau de l’abdomen avec une marque que seuls portent ceux qui ont été initiés par la reine serpent. »

« Et quel rapport avec la maladie du sultan ? » demanda Hasib étonné.

« Je constate que tu n’es pas aussi instruit qu’on le dit », expliqua le vizir, « car il est écrit dans tous les livres qu’on ne peut guérir un lépreux qu’en lui faisant absorber un morceau de chair cuite de la reine serpent… Et comme tu es la seule personne qui sache où se trouve son royaume, tu vas immédiatement nous y conduire sinon le sultan mourra ainsi que toi-même. »

Le malheureux Hasib ne put qu’obéir, et il conduisit le vizir et ses gardes jusqu’à la grotte. Très vite, il retrouva les galeries et les passages et arriva bientôt à la porte d’argent où l’attendait déjà la reine.

« Je sais ce qui t’amène, Hasib », lui dit-elle en l’accueillant, « et je sais aussi que je dois mourir, bien que j’aie tout fait pour empêcher un destin si cruel. Ne crains rien et emmène-moi au palais du sultan. »

A la grande stupéfaction des gardes, Hasib souleva la reine serpent dans ses bras et la conduisit jusqu’au palais. Là, le vizir se hâta dans la chambre du sultan pour lui annoncer la bonne nouvelle, laissant la reine un instant seule avec Hasib.

« Ecoute », lui dit-elle alors, « ce sont sans doute mes dernières paroles. Le vizir Schumur a fait le projet de te tuer. Quand il m’aura coupée en morceaux, il me mettra à cuire, et te demandera alors de recueillir l’écume dans une petite bouteille. Garde celle-ci précieusement, car peu après il te demandera de remplir une deuxième bouteille identique, prends bien garde de ne pas boire de celle-là … »

A peine a-t-elle achevé sa phrase que le vizir revient avec un large couteau à la lame tranchante. Et tout se passe exactement comme elle l’a dit. Ainsi, au moment venu, le vizir dit à Hasib « Donne-moi la première bouteille d’écume, et toi prends la seconde. Trinquons ensemble pour devenir les plus sages parmi les sages…»

Hasib, suivant les derniers conseils de la pauvre reine serpent, lui tendit alors la deuxième bouteille. Mais dès que Schumur avala la première gorgée, il tomba raide mort, pris à son propre piège.

Quant au sultan Karazdan, il recouvra peu à peu la santé après avoir absorbé la chair de serpent, et une fois complètement rétabli, il fit d’Hasib son grand vizir, car qui dans le royaume pourrait montrer plus de sagesse que celui qui avait appris de la reine serpent elle-même?

Source: http://contes.biz/
Illustration: HB, http://foretserpents.blogspot.com/

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