Sylvain Tesson

On ne devient pas voyageur. On naît ce que l’on est.

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Un jour, je l’ai entendu à la radio parler du récit de Salvomir Rawicz « A marche forcée » et du voyage qu’il avait entrepri pour prouver que traverser la Sibérie jusqu’en Inde à pied, sans aide était possible, voyage qu’il raconte dans son livre «  ».

Sylvain Tesson, c’est une tête brûlée diront certains, un homme en quête d’absolu à mes yeux. Son « Petit traité sur l’immensité du monde » est à mes yeux une merveille !

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Interview :

Quel souvenir gardez-vous du premier voyage déterminant dans votre parcours ?

Le tout premier voyage que j’ai fait, c’était en Islande en 1991, l’année de mes 19 ans. Je suis parti à bicyclette avec deux amis. On a roulé pendant un mois à travers le désert central. On a accumulé toutes les erreurs : trop chargés, mal préparés. Dans ces circonstances, certains se seraient dit : « quel cauchemar, je ne le ferai plus jamais ! ». Une autre catégorie à laquelle j’appartiens pense au contraire que cette vie de voyage est magnifique malgré les erreurs commises. Je suis reparti avec le même coéquipier pour le tour du monde à vélo. Le voyage islandais a été initiatique. Je me suis trouvé par hasard à Moscou en août 1991, au moment même où l’Union soviétique s’est écroulée, le jour du putsch ! Moscou était en ébullition. Cet été-là a confirmé cette envie de voyager.

Dans votre ‘Petit traité sur l’immensité du monde’, vous confiez remettre à plus tard l’exploration du continent américain. Quand vous jugerez-vous assez vieux pour fouler ce nouveau monde ?

Je reviens juste du Québec, donc je suis un peu en contradiction avec moi-même. De temps en temps la vie fonctionne comme un balancier d’horloge et vous amène d’une extrémité à l’autre de la géographie, des centres d’intérêt. Je me sens comme ça, en métamorphose permanente, avec des années consacrées à telles choses, des années consacrées à d’autres choses. Vous revêtez des peaux différentes. Ma peau américaine, la peau qui me donne envie de partir pour l’Amérique, je ne l’ai pas encore revêtue. Ca n’est pas encore un continent qui m’attire, au même titre que la Sibérie, la Russie, le Tibet, l’Afghanistan. Tant que je n’aurai pas épuisé ma fascination pour l’Asie intérieure, je prendrai plutôt le Transsibérien que le Transatlantique.

Comment préparez-vous vos voyages ?

Techniquement, matériellement, physiquement, je les prépare très peu car je voyage léger (des sacs de 8 à 10 kilos) et je pars à l’aventure. L’aventure est destinée à vous mettre en permanence dans des situations de péril auxquelles vous apportez les armes que l’expérience vous a données. Si vous commencez à réfléchir à chacune de vos étapes, à savoir le matin où vous allez dormir le soir, il n’y a plus ce jaillissement d’imprévu. En revanche, l’environnement culturel des voyages est une préparation de chaque instant. La préparation de mon voyage sur les prisonniers du goulag ne se chiffre pas, c’est ma vie : lire sur le sujet, parfaire sa langue russe et faire en sorte que naisse en vous cette envie de partir. Il y a donc deux choses : l’habillage culturel de ces voyages qui est très long, voire permanent et la préparation immédiate et pratique qui est insignifiante, dans la mesure où mes voyages se font avec des moyens extrêmement modestes, conformément à mon souci de simplicité extrême.

Justement, vos voyages à pied, à cheval et à vélo, est-ce par conscience écologique ou bien un moyen de revivre un degré de la difficulté endurée par les évadés du goulag dont vous décrivez le parcours dans ‘Sous l’étoile de la liberté’ ?

Quand on abat les kilomètres avec sa propre force, sa propre énergie, on a un autre rapport au monde extérieur. Comme ça vous coûte, vous l’appréciez davantage. J’ai une grande force vitale et parfois je me sens comme un lion en cage entre quatre murs. Quand je marche dans les steppes pendant dix heures, je canalise cette énergie, mon corps est employé à quelque chose. Il y a une harmonie de la marche. La marche irrigue le cerveau, éloigne de la suralimentation, de la surinformation qui nous polluent. Il vous vient tout à coup des pensées qui sont des fulgurances, qui ne vous viendraient jamais le cul à votre table de travail. Il y a une écriture et une inspiration du mouvement nomade. Pourquoi les philosophes marchaient-ils ? Je suis sûr qu’il y a une raison neurobiologique. L’effort physique crée des étincelles grâce à la circulation du sang. Je prends mes notes le soir au bivouac. Pendant la journée, je sais que j’ai rendez-vous avec cette heure d’écriture. C’est un moyen formidable de retenir la fuite du temps. Penser à cette page blanche vous oblige à mieux écouter ce qu’on vous dit, à mieux regarder ce qu’il y a autour de vous, à vivre plus densément. La solitude, infiniment propice à l’écriture, est une façon magnifique pour le voyageur de mieux sentir, capter, rencontrer. Ce que vous avez en vous, vous le perdez un peu en le racontant aux autres.

Peut-on dire que le ‘Petit Traité’ fonctionne comme un carnet de notes de voyage ?

J’avais écrit des récits d’aventure où je racontais la vérité, ce que j’avais vécu. Vous ressentez le besoin d’aller plus loin en racontant ce qu’il se passe à travers la tête du vagabond. J’ai pioché dans mes premiers voyages quand j’avais 20 ans, dans mes derniers voyages, dans mes escalades, ce qui donne peut-être l’impression de saupoudrage. J’ai voulu condenser. C’est un peu un testament : ce que je pense au moment où je l’ai écrit, à 33 ans. C’est le principe de la ratatouille : il y a des ingrédients qui viennent de partout, vous les mettez dans la marmite qui est le livre et ça donne une espèce de pensée. Au mieux vous réussissez à la structurer d’où les chapitres, au pire ça fait une choucroute conceptuelle indigeste que personne ne comprend, de la bouillie. C’est drôle, j’ai écrit ce que je pense à 33 ans et ça donne un tout petit livre !

Avez-vous l’impression d’avoir réussi à dire l’essentiel ?

Oui car ce qui constitue les grandes architectures d’une pensée, c’est mon rapport aux autres, au mouvement, au temps, à l’espace et au ciel. Mon rapport à moi-même ne m’intéresse pas. Je suis complètement désidéologisé comme les gens de ma génération. Il y en a encore qui croient qu’ils vont réussir à changer le monde avec des systèmes, des théories magnifiques. Cette pensée a fait la preuve de son caractère néfaste. Je préfère me retirer et faire le moins de mal possible en vivant pour essayer de retrouver une beauté, un esthétisme de la vie. Tout cela est extrêmement égoïste, nihiliste et ne changera pas la face du monde mais je suis lucide et honnête.

Est-ce que ce n’est pas compliqué de retrouver la vie urbaine en plein Paris après avoir passé 8 mois en nomade ?

Je n’ai jamais l’impression de revenir à une vie urbaine pour la bonne raison que je passe. C’est mon quartier général : j’ai mon matériel, mes cordes, mes livres, mon bureau. Quand je suis ici, c’est que je suis en train de raconter mes voyages, de préparer les suivants. C’est un camp de base merveilleux dans un quartier magnifique, dans une ville superbe, dans un pays très intéressant, dans une Europe à laquelle je me sens appartenir. Je me sens profondément européen, davantage que radical islamiste soudanais. Quand je reviens au port, je n’ai pas ce sentiment de mélancolie qui étreint le voyageur de retour pour qui la parenthèse de bonheur qu’est le voyage se referme. Quand je pars ce n’est pas une fuite mais si je me sens bien ici c’est aussi parce que je sais que je ne vais pas y rester. Dans deux mois, je suis au Caucase. Il y a toujours une fenêtre ouverte quand je rentre dans les pièces de mon existence.

Vous comparez-vous à d’autres explorateurs, d’autres journalistes ?

Je ne suis ni journaliste, ni géographe, ni explorateur car je n’ai jamais rien découvert. Aventurier n’est pas vraiment un métier. J’ai des modèles, comme Thomas Eliot Lawrence en termes d’écriture et d’action. Il y a un phénomène intéressant depuis une vingtaine d’années : les gens ont de plus en plus envie de voyage. Une certaine morosité ambiante les pousse à chercher de l’évasion ailleurs, ils sont beaucoup plus mobiles. Ce phénomène explique pourquoi des gens comme moi peuvent vivre. Les explorateurs n’appartiennent pas tellement à cette nouvelle société du voyage, ils ne voyagent pas pour eux mais pour accroître la connaissance. Je pense appartenir à une race de gens qui voyagent pour raconter, une sorte de « barde », celui qui raconte dans les villages de la Bretagne celtique ce qu’il avait vu.

Quels sont vos projets d’évasion ?

Je pars au mois de mai prochain pour la région aral-caspienne en vue d’un reportage photo pour la presse magazine. Je cherche à vivre une expérience en cabane avant 40 ans en Sibérie. Je voudrais m’installer avec des livres, de l’alcool, un fusil, une hache, de quoi pêcher et vivre pendant un an en autosubsistance pour faire un exercice d’écriture. Vivre seul dans la beauté absolue de la nature totalement sauvage doit être une expérience forte où la concentration est extrême. La plupart des gens sont soumis en permanence à l’intrusion du monde extérieur et bizarrement ils y répondent. Le téléphone sonne et les gens arrivent comme des laquais. C’est un jeu merveilleux que j’aime quand je suis ici, mais j’ai envie de vivre le jeu exactement contraire, être un an face au vide. Il y a un moment magnifique où vous larguez les amarres : quand vous confiez vos clés. Vous savez que pendant des mois et des mois, vous allez vivre sans.

Vous aimez les extrêmes...

J’aime bien l’eau chaude, la vodka glacée, mais pas l’eau tiède. Je crois à l’intérêt des expériences extrêmes. Je ne parle pas des idéologies. C’est plus facile d’être radical que modéré. Le problème de l’extrême, c’est que vous trouvez toujours plus extrême que vous.

Propos recueillis par Céline Laflute et Claire Mione pour Evene.fr – Janvier 2006

http://www.evene.fr/celebre/actualite/interview-sylvain-tesson-aventurier-taite-immensite-monde-260.php

6 Replies to “Sylvain Tesson”

  1. voiedoree

    c’est exactement le résumé de ce que je pense. Comment pourrait il en être autrement d’ailleurs.
    Tout ce que j’ai à en dire sera dans mon prochain bouquin.
    Una anecdote pour confirmer ses propos sur la clarté de l’Esprit apporté par la marche et que je transposerais en chemin spiritel : il existe en Inde ue communauté Bouddhiste qui prie uniquement en marchant.

    Etonnant non ?

  2. Anna

    « Je pars au mois de mai prochain (…] Je cherche à vivre une expérience en cabane avant 40 ans en Sibérie. Je voudrais m’installer avec des livres, de l’alcool, un fusil, une hache, de quoi pêcher et vivre pendant un an en autosubsistance pour faire un exercice d’écriture »

    Ce passage me fait penser à « Into the wild »… Heureusement qu’il a l’air beaucoup plus expérimenté!

  3. Gabor

    Il se touche un peu l’ami Tesson non? + Le style est tout simplement horrible, les images constamment à côté de la plaque, lourde ou simplement Neuneu … C’est dommage qu’un type qui a une vie aussi intéressante que lui ne soit pas en mesure de la raconter et de nous faire voyager

  4. anti

    « C’est dommage qu’un type qui a une vie aussi intéressante que lui ne soit pas en mesure de la raconter et de nous faire voyager »

    Ça dépend pour qui visiblement. En ce qui vous concerne, c’est clair qu’il ne faut pas continuer à le lire, vous vous feriez du mal. Fort heureusement, il y a des quantités incroyables de récits de voyage, de récits de voyageurs, des traités de philosophie personnelle de A à B ou à Z pour les plus courageux ou les moins inventifs, c’est selon.

    Bonnes lectures Gabor,

    anti

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