Le bonheur tranquille du sexe en Suisse

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En cette journée évènement qu’est le lancement officiel du nouveau recueil de nouvelles érotiques d’Anna Galore « J’ai encore treize envies », je vous ai déniché un petit article des archives suisses, fort sympathique ma foi. C’est bon pour la tête et pas que. C’est bon pour les Suisses, mais pas que 😉

Le bonheur tranquille du sexe en Suisse, L’Hebdo, 20.05.1998, un dossier préparé par R.L. ( Renata Libal).

En trente ans de révolution sexuelle, les mœurs érotiques ont changé du tout au tout. Nous ne réinventons pas le kamasutra chaque soir, mais nous sommes ravis, éblouis, heureux, merci.

Un pays de jouisseurs.

A en croire notre sondage, les Romands plongent dans les joies de l’amour physique plusieurs fois par semaine, ils se caressent, se pourlèchent, s’entremêlent dans la nature, dans la voiture et même dans l’eau. Et il y a plus : les Romands aiment ça. A une écrasante, gigantesque, incroyable, majorité – 85% – ils disent : « Ouiii, nous sommes heureux au lit ! »

Depuis trente ans que les esprits s’emploient à larguer les amarres de la convention, trente ans que les corps, les mains, les langues, explorent les caresses jadis interdites, avons-nous donc tout appris ? Tout compris ? Ce n’est évidemment pas si simple.

La France, richement armée en matière statistique, vient de prendre la température nocturne de ses citoyens en un gigantesque sondage* (20000 personnes interrogées en deux ans) qui montre que, effectivement, depuis les données recueillies en 1970 dans le fameux rapport Simon, la vie intime a profondément changé.

En gros, on y apprend que la vie sexuelle s’est allongée et enhardie, surtout en faveur des 50 ans et plus, ceux-là même dont les ébats, il y a un quart de siècle, souffraient le plus des entraves morales et religieuses. Un exemple, parmi d’autres : en 1970, 36% des hommes de plus de cinquante ans n’avaient plus de relations sexuelles (66% des femmes). Ce pourcentage a sensiblement baissé : désormais, seule une personne sur cinq dans la tranche des 50-69 ans se déclare abstinente. Mais il y a plus : toutes les données concordent pour désigner une plus grande variété dans les rapports. En 1970, 44% des hommes de plus de 50 ans n’avaient jamais dispensé de caresses buccales à leur partenaire, ils ne sont plus que 32% aujourd’hui. Y’a net progrès.

En Suisse, hélas, la lanterne magique de la statistique éclaire fort peu ce qui se passe sous les couettes – ou sans, puisque presque toutes les personnes interrogées par le sondage de « L’Hebdo » ont déjà fait l’amour hors de leur lit. Tout au plus les chiffres officiels mesurent-ils l’abaissement de l’âge au premier rapport (18,6 ans en moyenne pour les filles qui ont actuellement entre 20 et 24 ans ; 18,3 ans pour les garçons). Quant aux détails plus intimes, que dalle, zéro, on ne sait rien. Ce qui n’est évidemment pas une raison pour ne pas chercher à en apprendre davantage.

P8110622.JPGN’oublions pas le narcissisme

« Ah, mais les sondages sur la sexualité, quel problème… lâche Johannes Bitzer, gynécologue, thérapeute et sexologue au Centre de planning familial à Bâle. Il y a toujours – forcément – un biais : ceux qui acceptent de répondre aux questions sont évidemment les plus ouverts ! Et puis, il ne faut pas oublier que la sexualité relève du domaine narcissique : il faut être drôlement stable pour admettre un problème. » De fait, l’institut MIS Trend, à Lausanne, a dû passablement ramer, fin avril, pour rassembler son échantillon représentatif de 400 Romands. D’ordinaire, les gens sont environ 7 sur 10 à accepter de répondre aux questions posées par téléphone. Mais quand il s’est agi de les interroger sur leurs mœurs secrètes, la proportion s’est inversée : seuls 3 sur 10 se sont montrés loquaces. Et – sans grande surprise… – il a surtout été difficile de trouver des volontaires pour la catégorie des 55 ans et plus.

Alors oui : le sondage recense de préférence les amants heureux et dessine surtout l’image que les interrogés veulent bien donner d’eux. N’empêche, les données obtenues sont impressionnantes : la moitié des Romands se disent « très satisfaits » de leur sexualité. Ces chiffres sont nettement plus élevés que ceux de l’étude française, qui relève certes que la moitié des jeunes sont ravis, mais la satisfaction baisse dramatiquement dès que l’on passe la cinquantaine, en France, alors qu’elle reste stable en Suisse. Et quand le quotidien vaudois « 24 Heures » a posé cette même question, il y a douze ans, toujours par l’intermédiaire de l’institut MIS Trend, ils n’étaient que 37%. Certes, on se culbute aujourd’hui un rien plus souvent : 62% s’y adonnent au moins une fois par semaine, contre 52% alors. Quant à l’infidélité, une nouvelle sagesse, sans doute : 28% de partenaires volages il y a douze ans, pour 20% aujourd’hui. Alors ? La crise nous pousse-t-elle au lit ? Aurions-nous tous découvert le chemin du septième ciel ?

« Je crois que ces résultats sont bien le reflet d’une époque, analyse Maurice Hürni, psychiatre, directeur de la consultation familiale Profa, à Lausanne. On ne pourra jamais savoir ce que les gens vivent vraiment. En revanche, on voit très bien l’image qu’ils ont, aujourd’hui plus que jamais, consciemment ou inconsciemment, envie de donner. Nous avons vécu le passage vertigineux d’une sexualité réprimée à ce que j’appelle actuellement une sexualité obligatoire. Les gens ne se sentent plus autorisés à des relations physiques médiocre, ni même banales. »

Les mots façonnent les sens

C’est un peu le revers de la médaille de l’information qui paraît partout sur la sexualité. En parler, dans un premier temps, soulève les tabous et délie les gestes. Mais de l’avalanche de livres, d’émissions, de cours, d’articles, finit par se dégager une norme de performance, qui a tôt fait de coller des complexes à qui ne passe pas toutes ses soirées à chatouiller la nouvelle zone érogène nommée « passage mystérieux » (comme le conseille la sexologue américaine Barbara Keesling dans « Super Orgasme féminin », qui vient de paraître chez Albin Michel), voire attaché par des menottes au cadre du lit (comme le recommande sauvagement Philippe Djian dans « Sainte-Bob », son dernier roman). Cela dit, l’acquis de la parole, des mots posés sur les gestes et les organes, reste immense. « Je crois que des gens comme le Docteur Ruth ont fait un travail de vulgarisation très utile, relève encore Maurice Hürni. C’est comme pour les Lapons qui utilisent une multitude de mots pour désigner les variétés de neige : les nuances de mots façonnent les sensibilités et donc les perceptions sexuelles. » D’ailleurs, rares sont les personnes interrogées, qui ignorent le sens de vocables tels le cunnilingus (4,3% seulement), la fellation ou la sodomie.

Willy Pasini, le grand gourou genevois de la sexualité psychologisée, observe lui aussi le chemin parcouru : « Je ne suis pas vraiment surpris de voir que les gens sont bien dans leurs ébats, relève-t-il. Dans mes consultations, je constate effectivement une sorte de virage. Les gens ne consultent plus autant pour anorgasmie ou éjaculation précoce, ils ne se plaignent plus guère de la « mécanique » de la sexualité, mais bien plutôt de la qualité de leur relation de couple. » En gros, quand les corps se rencontrent, que les effleurements insistent, que les soupirs s’emmêlent… La plupart des amants savourent le résultat. Le problème actuel ne serait pas tant d’avoir envie sans savoir y faire, mais bien plutôt de savoir sans en avoir envie. « Beaucoup de gens consultent – et c’est très nouveau – pour un problème dans la première phase du rapport, celui de l’appétence, du rapprochement, relève Johannes Bitzer. Une fois que la flamme a pris, en revanche, les choses se passent de manière jouissive. »

Une sexualité plutôt pépère

Au-delà de la seule satisfaction, les données du sondage esquissent aussi une photographie passionnante des nouveaux acquis de la vie intime, les contours d’une sensibilité moderne, avide d’harmonie en couple plutôt que de gymnastique érotique. Entre les chiffres, on lit que les couples heureux se trompent moins que d’autres, que les plus imaginatifs, les plus satisfaits, sont les duos et non les célibataires assoiffés d’émotions, comme le voudrait le cliché libertaire. Et d’ailleurs, le bonheur érotique ne semble guère lié à une exploration fouillée du kamasutra. Les pourcentages des diverses pratiques érotiques sont plus modestes – d’environ 20% – dans notre sondage que les chiffres obtenus en France. « On lit entre les lignes une sexualité plutôt pépère, sans beaucoup d’imagination, relève le sexologue. Peu de masturbation, peu de fellation, peu d’adultère… J’y vois des relations plus sanitaires qu’érotiques ou passionnelles. Mais après tout, si les couples s’en satisfont, tant mieux. »

Pour Maurice Hürni, on retrouve là encore un diktat moderne : la survalorisation du couple, lieu de tous les refuges en ces temps d’incertitudes. « On peut y voir une forme d’amour belle et harmonieuse, philosophe le sexologue, mais aussi – pour être plus méfiant – une sorte de repli régressif et aveugle sur le couple, dernière valeur à la mode. Ou alors carrément une vision terroriste, où le couple passe pour le seul chemin possible vers le bonheur : il devient obligatoire de trouver sa plénitude à la maison. »

P8110627.JPGAu bonheur des dames

Une autre surprise du sondage réside dans la grande proximité entre hommes et femmes : il n’y a guère que la masturbation qui accuse une nette différence, ce que les professionnels expliquent par les caresses souvent semi-conscientes que se prodiguent les dames, sans avoir l’idée de les nommer. Sinon, en matière d’assiduité, de satisfaction, de témérité dans des lieux inédits, on ne trouve guère de prérogative masculine. Et même dans les expérimentations, l’écart semble moindre que ne le voudraient les idées reçues, les gourmandes allant même jusqu’à utiliser des accessoires plus souvent que les hommes.

« C’est l’une des découvertes les plus frappantes de ces derniers temps, en consultation conjugale, relève Elisabeth Imfeld, psychologue au Planning familial de Genève. La femme se laisse de moins en moins faire. Elle affirme son désir et son plaisir et l’on voit apparaître une érotisation du pouvoir au sein du couple. » Johannes Bitzer fait un constat analogue, lui qui relève que les couples les plus harmonieux sont ceux où la femme est active : « Quand la compagne manifeste son appétit sexuel, c’est toujours bénéfique pour l’entente intime. Cela crée une dynamique d’échange. » L’évolution, en la matière, est très frappante dans les études françaises : en 1970, un quart seulement des femmes mariées de moins de 50 ans admettaient s’adonner à cœur joie aux exercices des corps emmêlés. Elles sont 56% aujourd’hui… Et les aînées alors, que de découvertes ! 14% de « très satisfaites » en 1970, plus du triple aujourd’hui. Et pendant que les dames s’abandonnent, les taux de satisfaction masculine restent d’une stabilité navrante, avec même une tendance à la baisse pour les aînés.

Une dernière surprise peut-être : partout, les revenus aisés, les gens de formation solide se montrent mieux dans leurs draps. On retrouve le même phénomène dans les études françaises. Visiblement, quand le boulot et la voiture roulent, que les vacances sont jolies et les cocktails frappés, même l’art d’aimer s’en trouve guilleret. Mince alors ! Penser que le sexe est affaire de niveau de vie plutôt que de… sexes.

R. L.

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Ils vivent ensemble depuis des lustres mais se regardent toujours avec des yeux gourmands. Leurs trucs pour attiser la flamme érotique.

Joëlle, 44 ans, architecte, vit avec Daniel depuis 23 ans

« J’ai vécu pas mal d’aventures, mais cela n’a jamais été mieux qu’avec mon mari. Je sais que nos corps s’entendent bien, même si nous ne faisons plus l’amour aussi souvent. Par ma faute, d’ailleurs. Je me sens très mère et j’ai parfois de la peine à oublier les deux adolescents qui vont et viennent dans l’appartement, souvent avec leurs copains. J’aimerais avoir envie plus souvent… Ce qui me stimule? Souvent le regard des autres hommes. Quand je me fais draguer, c’est tout bénéfice pour mon mari. Me sentir désirée me donne la pêche. Et je ressens toujours de grands élans vers Daniel. Quand il est en forme et qu’il fait rire l’assemblée, par exemple. Ou alors, quand il tient, avec nos deux enfants, certaines conversations que je ne saurais pas mener à bien. Cela m’émeut et me rend fière: c’est lui, c’est l’homme que j’aime. Le problème, c’est nos vies surchargées qui nous laissent rarement des plages horaires suffisantes pour créer l’intimité dont j’ai besoin. J’aime que le sexe soit le couronnement d’un bon moment, où la causerie vire à la caresse, puis plus. Le coup tac-tac en cinq minutes pour mieux s’endormir, je ne peux vraiment pas… Alors, quand nous avons le sentiment de nous être perdus trop longtemps, nous filons seuls en week-end romantique. Ou pendant les vacances: là, nous avons à nouveau 17 ans. »

Daniel, 45 ans, enseignant, vit avec Joëlle depuis 23 ans

« Pour durer, je crois qu’il faut un capital de désir colossal au départ: jamais je n’ai connu pareille complicité physique avec aucune autre femme. Au début, nous passions notre temps au lit – et ailleurs – et j’étais presque le premier à crier grâce. Aujourd’hui, rien n’est plus aussi spontané. Il faut créer les ruptures d’avec le quotidien, susciter l’insolite, l’inattendu: les rochers en bord de mer, la bouteille de champagne un soir que les gosses sont sortis, le massage de nuque qui se fait plus insistant. Je dois dire que le passage du couple à la famille a été dévastateur, pour moi, sur le plan sexuel: du jour au lendemain, nous n’étions plus ces deux êtres qui avaient librement choisi de vivre, de s’amuser ensemble. J’ai mis du temps à acepter de voir mon amante devenue mère. Devenue moins réceptive à nos jeux. Maintenant, il faut sans cesse se montrer à l’affût d’une disponibilité, la cultiver, ne pas laisser s’accumuler les petites acidités, pour permettre cette rencontre des corps, qui est toujours aussi magique, bien que plus rare. Cela demande beaucoup d’énergie et j’ai parfois des moments de découragement, mais cet effort me paraît indispensable. Pour moi, un couple qui s’accommode d’une sexualité tiède est un couple mort. »

Véra, journaliste, 32 ans, en couple depuis 6 ans

« Avec mon ami, un musicien de cinq ans mon cadet, nous avons des relations qui embellissent avec le temps. Je dirais que nous avons eu de la peine à synchroniser nos désirs et nos envies, au début. Lui était toujours disponible, mais timide. Moi j’avais plus d’expérience, envie d’aller plus loin dans les sensations, mais j’étais souvent stressée et fatiguée. Aujourd’hui, nous avons trouvé un rythme à deux, qui nous satisfait pleinement… mais j’ai l’impression qu’il nous reste pas mal de chemins de traverse à explorer. Et j’aime cette perspective. Cela dit, l’amour est quelque chose qui se travaille: il ne faut pas se laisser aller et même, parfois, se forcer un peu… Après, une fois que j’ai déconnecté d’avec le quotidien, je me dis toujours que ça valait le coup. Et puis, l’intensité de nos relations tient au fait que nous ne sommes pas ensemble tout le temps: je voyage, il a des tournées, ce qui nous donne souvent l’occasion de retrouvailles joyeuses et érotiques. D’une manière générale, moi, ça me fiche les boules de dormir collée à lui quand je ne suis pas disponible pour l’érotisme. Je préfère alors que nous dormions dans des lits séparés… quitte à se rejoindre le matin avec des intentions bien précises. Il ne faut pas accepter la banalisation, la continuité pépère. »

Dolores, directrice de fitness, 42 ans, vit en couple depuis 21 ans

« Je n’ai eu qu’un homme dans ma vie, le mien. De culture espagnole, cette fidélité m’a toujours paru évidente et ensemble nous avons découvert tout ce que nous savons du sexe, en enlevant peu à peu les inhibitions. Beaucoup d’amies me confient leur vie intime et je dois dire que je n’ai pas expérimenté toutes les pratiques dont j’entends parler. Je ne le pourrais pas et je n’en ai pas envie: je préfère garder mes phantasmes dans ma tête. J’imagine que lui fait pareil. Mon désir de lui demeure aussi fort que jamais. Il est vrai qu’il est très bel homme, superbe, et je suis flattée que des filles de 20 ans viennent le draguer. J’aime qu’il plaise. De mon côté, je m’entretiens aussi, physiquement, et j’ai toute une cour d’amis masculins, mais le jeu de la séduction me suffit. Après avoir dansé avec eux, c’est vers mon mari que j’aime retourner. J’aime me coller contre lui et l’entendre dire qu’il m’attendait pour s’endormir, lui qui n’aime guère sortir. Et je sais qu’il brûle pour moi: il me le fait sentir, me complimente souvent. Je sais qu’il est fier de moi. »

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Ajanta et Serge Vidal-Graf « Mais chéri, tu ne m’avais jamais dit ça… »

Un couple de sexothérapeutes genevois publie un ouvrage sur les vertus de la discussion sur le sexe. Ils y voient un moyen de lutter contre l’ennui en chambre à coucher.

Vous dites que la sexualité des couples est en piètre état…

Elle : Oh oui ! je suis très frappée par la lassitude qui s’installe, après cette période très exaltante de la lune de miel, quand tous les gestes sont spontanés, que l’on n’aperçoit guère les défauts du conjoint. Et quand les enfants arrivent, ils font souvent office d’antidote au sexe.

Lui : L’illusion est répandue que l’on peut perpétuer cette lune de miel. Or il faut admettre une fois pour toutes que cette période des sens exacerbés…

Elle :… cette sorte d’éclair dans le ventre…

Lui : … finit toujours par se terminer. Et c’est alors qu’il s’agit de bien négocier le virage: soit on se résigne à une sexualité terne, vaguement ennuyeuse, en se disant que, ma foi, tant pis, c’est la vie, ou alors on part à la recherche d’une sexualité forcément différente, mais délicieuse.

Une sexualité différente ?

Lui : Dans 95% des cas, la femme finit par se lasser de l’approche assez à la hussarde qui consiste à se coltiner les différentes étapes des préliminaires pour en arriver au plus vite à la pénétration. Car si les hommes ont bien intégré que leurs compagnes ont envie de caresses, on ne peut pas dire qu’ils mettent beaucoup de cœur dans ces préliminaires. Ce serait plutôt un baiser sur la bouche, caresse des seins, caresse du sexe et hop. Du coup, la femme regrette de ne plus avoir envie de faire l’amour, mais si elle s’efforce de mettre en mots son désintérêt, on réalise qu’elle n’a plus envie « comme ça ».

Alors comment?

Elle : C’est justement cela que chaque couple doit découvrir en communiquant sur ses sensations !

Lui : En gros, je dirais que la parole incite à la découverte d’une sexualité plus féminine, plus lente et… plus gratuite. Une sexualité qui n’est pas exclusivement orientée vers un but – pénétration, orgasme, éjaculation – mais qui se concentre sur le bonheur de chaque geste, de chaque sensation.

Selon vous, peut-on y accéder par la force de la parole, des mots posés sur les envies, les organes, les gestes…

Elle : Oui. L’idée reçue veut que la sexualité soit une science innée. Ce n’est simplement pas vrai. L’autre ne peut pas anticiper ce qui vous fait plaisir, ni deviner ce qui vous dérange si vous ne le lui dites pas. Mais c’est difficile, évidemment. Le truc, c’est d’apprendre à dire ses bonheurs, ce qui permet ensuite d’aborder aussi les inconforts et les problèmes délicats, comme l’éjaculation précoce… ou une haleine nauséabonde.

Est-ce ce que vous enseignez dans vos séminaires de trois jours?

Elle : Oui. Nous proposons aux couples – que des couples qui s’entendent bien – de prendre cinq minutes pour évoquer ensemble, dans les détails concrets, leur plus belle fois. Et de trouver les mots qui leur conviennent pour désigner le sexe de l’autre, les différentes caresses. Et il y a toujours un moment, très émouvant pour nous, où même les gens qui vivent ensemble depuis longtemps se disent : « Mais enfin, tu ne m’avais jamais dis ça ! » On sent alors que quelque chose se débloque.

Lui : Et nous exerçons ce que j’appelle le « toucher sans projet ». Nous incitons les hommes à caresser leur compagne, en se concentrant non pas sur ce qu’elle peut bien ressentir, mais sur les émotions qu’ils éprouvent eux. Ce n’est pas de l’égoïsme… Plutôt une preuve d’amour, je dirais… Une manière de dire à sa compagne qu’il est en parfaite confiance, qu’il peut baisser la garde. C’est une manière d’oublier la performance, pour découvrir les délices de la nuance.

Concrètement, physiquement, comment se passent ces séminaires ?

Elle : Nous réunissons une douzaine de couples et il est entendu que chacun fait les exercices avec son partenaire attitré. Chaque couple se concentre sur soi et se crée une sorte de bulle.

Lui : Et il est clair que chacun peut garder ses habits ou se dévêtir, selon ses impulsions.

Elle : Mais nous avons personnellement une attitude très tranquille face à la nudité, je crois que cela se voit et les couples se sentent à l’aise.

Et les gens viennent ?

Lui : A Bruxelles, oui, nous y travaillons à mi-temps. A Genève, c’est plus… laborieux.

Elle : J’ai mon explication, mais Serge n’y souscrit pas trop. En Belgique, les catholiques ont bien intégré l’idée que leur sexualité avait été brimée et ils sont conscients d’avoir un problème. Les protestants, eux, sont persuadés que tout va pour le mieux.

Mais est-ce que le couple ne finit pas par se lasser de votre sexualité lente et nuancée, comme il s’est lassé de la phase plus… intrusive?

Lui : Sans doute. Et il faut éviter de penser que l’homme a tout faux et que la femme doit tout lui apprendre. Je pense simplement qu’il faut apprivoiser ces deux pôles pour pouvoir en jouer ensuite. Il faut s’être initié à la sensualité douceur pour pouvoir se réapproprier ensuite, ou de temps en temps, la baise plus puissante.

Elle : Clairement, il y a des moments câlins et des moments « prends-moi ».

Et vous-mêmes, avez-vous traversé ces trois étapes initiatiques ?

Elle : Tu te souviens quand, après neuf mois de vie quotidienne ensemble, j’ai réalisé que j’avais de moins en moins envie de faire l’amour ? J’étais paniquée. D’autant plus que je me suis toujours considérée comme une personne aimant particulièrement faire l’amour et sexologue de surcroît ! Je me disais : « Merde, encore raté ! Est-ce que je vais devoir encore changer de mec ? Que se passe-t-il ? Pourquoi est-ce que je ne mouille plus en pensant à lui ? » Puis j’ai réalisé que j’aimais cet homme-là, que je voulais rester avec lui. J’avais envie de me serrer contre lui, de le sentir en moi. Mais une envie plus sereine, moins urgente. C’est alors que j’ai commencé à faire la différence entre excitation et désir.

Lui : Pour moi, c’était du charabia. J’avais peine à sentir la distinction entre « bander » et « bander »…

Pendant tout ce temps-là, il y a huit ans, vous continuiez à animer vos séminaires de découverte sensuelle ?

Lui : Bien sûr. Nous parlions entre nous et avec les participants de ce que nous traversions. Nous avons toujours joué la carte de la transparence.

N’éprouvez-vous aucune gêne ?

Elle : Nous adorons le sexe. Alors en parler, quel bonheur !

Lui : Et c’est ce qui nous a permis d’élaborer quelques outils de communication.

Vous prônez, par exemple, le rendez-vous amoureux, que le couple note dans son agenda, même après dix ans de vie commune.

Elle : Oui, les amoureux tout frais le font bien !

Lui : Au début, j’avais des réticences. Mince, il fallait prendre rendez-vous avec ma propre femme. Puis je me suis mis à aimer l’expectative de la journée qui précédait : tiens, où irons-nous ? Comment s’habillera-t-elle ?

Elle : On nous dit parfois que le principe n’est pas romantique. Quelle blague ! Et c’est romantique, peut-être, de se coucher à 23 heures après le téléfilm et de baiser en cinq minutes ?

Vous suggérez aussi de prendre une soirée, par exemple mensuellement, pour parler de la sexualité. Pas très spontané…

Elle : Non, mais cela évite d’être blessant par inadvertance, un jour à table entre poire et fromage. On a le temps d’y penser, de préparer ses mots.

Lui : Et le principe de l’écoute silencieuse est très important. Chacun parle à un rendez-vous sur deux, alors le partenaire prend acte, mais sans répliquer. Cela évite de tourner à la dispute. Car souvent le problème n’est pas de trouver une solution, mais de se sentir entendu.

Alors aujourd’hui, vous êtes les rois de la baise ?

Lui : Bon, il faut aussi dire qu’il nous arrive parfois de faire l’amour comme des casseroles. Là encore : on arrête après un quart d’heure, on rigole et on décide généralement de réessayer une autre fois.

Propos recueillis par Renata Libal

« Se parler au cœur du sexe », par Ajanta et Serge Vidal-Graf, Editions Jouvence.

Ajanta et Serge Vidal-Graf

Se résigner à une sexualité terne à cause des années qui passent ? Pas question, déclarent en chœur les deux sexothérapeutes qui apprennent à leurs clients à discuter de leurs désirs sexuels.

« Il nous arrive aussi, parfois, de faire l’amour comme des casseroles. »
Les paroles du sexe

Dans la foule immense des parutions sur la sexualité, quelques nouveautés toutes fraîches:

· « Relaxation et sexualité », par Suzanne Képes et Philippe Brenot (Odile Jacob), propose une méthode pour apprendre à identifier ses désirs.

· « Le dico de l’amour et de la sexualité », par Anne Débarède et Jean-Jacques Santiveri (Seuil), fournit les mots pour articuler ce que l’on n’osait penser.

· « La sexualité adolescente en questions », par Véronique Dreyfuss Pagano (L’Aire), analyse la teneur et la formulation des questions que les jeunes Romands posent au Videotex.

· « SexKomplex », CD-Rom produit par Sida Info, raconte l’amour, le désir, la contraception et la prévention sous forme de comédie musicale et interactive, très bien faite.

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A noter, la sortie du film « Les petits ruisseaux » :

Rafraîchissante, Les petits ruisseaux est une comédie tendre et nostalgique sur le temps qui passe. Daniel Prévost se révèle particulièrement touchant.

L’argument : Emile, septuagénaire et veuf, connaît une retraite sans heurts, faite de rituels et de loisirs paisibles. L’instant n’existe pas vraiment, la vie coule comme la Loire où il pèche régulièrement avec un autre retraité, Edmond. Mais un jour, Edmond, après lui avoir révélé qu’il avait une vie amoureuse et sexuelle cachée, meurt. Emile, pour ne pas sombrer, tente de se secouer pour retrouver goût aux choses. Lui viennent des envies oubliées d’adolescent, des envies d’étreintes, des envies d’aimer, mais aussi des envies d’en finir…

Pour en savoir plus, lire la suite de l’article ici 😉

anti, l’été sera chaud 😉

5 Replies to “Le bonheur tranquille du sexe en Suisse”

  1. Anna Galore

    Génialissime article, chaudement complété par les déclarations des uns et des autres ensuite !

    Quant au choix des photos, mrrraooowww…

    Anna, plus ça va, plus ça va !

  2. valentine

    La lecture du titre m’a évidemment interpellée! Et ta note Anti fait merveilleusement suite à la publication de « J’ai encore treize envies ». Je trouve que tout ce qui y est dit est passionnant. Au cours d’une vie de couple, l’amour reste toujours à réinventer, à réajuster en fonction des périodes et des âges de la vie. Deux bonnes nouvelles: les cinquantenaires se portent bien sexuellement parlant (merci mai 68) et les femmes ne complexent plus à prendre leur part active dans la relation.

  3. anti

    « La lecture du titre m’a évidemment interpellée ! »
    J’ai évidemment pensé à toi en préparant cette note 😉

    « Et ta note Anti fait merveilleusement suite à la publication de « J’ai encore treize envies ». »
    C’était l’idée 😉 Une manière de poursuivre sur le même sujet.

    « Je trouve que tout ce qui y est dit est passionnant. Au cours d’une vie de couple, l’amour reste toujours à réinventer »
    Absolument d’accord sur tout.

    « Un livre passionnant, en effet, à bien des points de vue. »
    Que je ne connais pas. Le lien vers le site de la Fnac ne m’a pas aidée et je ne trouve pas d’infos ailleurs non plus pour le moment. Mais bon, comme disait l’autre (à l’époque où j’étais encore une demoiselle) : « Mademoiselle, laissez de côté vos interrogations de personne de cinquante ans pour le moment et profitez de votre jeunesse » 😉

    anti

  4. anti

    Merci pour les liens. J’étais bien tombée sur le second mais l’extrait proposé me semblait bien pauvre au regard de vos propos sur la question de l’article et du film : la sexualité.

    « Lorsque mes amis organisèrent une réception-surprise pour mon soixantième anniversaire, je les aurais volontiers tués. Les toasts qu’ils portèrent m’irritèrent, comme s’ils voulaient à tout prix me faire avouer publiquement que j’avais soixante ans, que je me rapprochais de la sortie, bref, que je n’étais plus dans la course. Sur le plan professionnel, politique, personnel et sexuel, ils me considéraient du haut de leurs trente, quarante, voire cinquante ans. Malgré l’amour qu’ils me témoignaient, mes propres enfants semblaient complices de ce supplice. Ma réponse fut quelque peu sarcastique.

    S’ils vivaient jusque-là, déclarai-je, mes amis deviendraient à leur tour des sexagénaires. Pendant quelques semaines, je me sentis déprimée. Je n’arrivais pas à affronter le fait d’avoir soixante ans ».

    C’est intéressant d’ailleurs de voir qu’on ne trouve rien – ou si peu – sur internet à propos de ce livre. Est-ce qu’il n’a pas trouvé son public ou est-ce que ce public ne s’exprime pas sur internet ? En même temps, 500 pages sur la vieillesse quand on n’a pas forcément envie de la vivre, ça peu décourager. Mystère…

    anti

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