« Culture gitane, culture européenne ? »

Samedi dernier se tenait le colloque « Tsiganes, Roms, Gitans en Europe : entre mythes et réalité » à l’auditorium du Lycée agricole Marie Durand de Rodilhan. Il était organisé par le mouvement européen France Gard dans le cadre de l’atelier Grundtvig « Culture gitane, culture européenne ? »

Cette journée fut une journée à la fois riche, dense et parsemée de belles rencontres même si le public n’était pas au rendez-vous puisque nous n’étions qu’une quarantaine de personnes ce samedi.

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Tout d’abord, la matinée nous avons assisté à une table ronde fort intéressante de par la présence des intervenants.

Nous avons pu écouter en premier lieu Marc Bordigoni, chercheur à l’institut d’ethnologie méditerranéenne européenne et comparative d’Aix en Provence. Monsieur Bordigoni est aussi contributeur à la revue Études Tsiganes, éditée par la Fnasat-Gens du voyage (Fédération nationale des associations solidaires d’action avec les Tsiganes et les Gens du voyage). Depuis les années 70, où il s’est retrouvé sur une aire d’accueil des gens du voyage à Marseille, et doté d’un cursus d’ethnologue, son intervention fut passionnante notamment sur les thèmes des minorités et de la reconnaissance des particularités. En France, nous avons créé une minorité administrative sans reconnaissance de la minorité culturelle de cette population que forment les Gens du Voyage. Il faut savoir que la France a créé un statut de nomade au début du XIXe siècle, différent de celui des forains, et ce faisant, la France a créé un phénomène particulier des Gens du Voyage, Sarkozy en faisant ensuite un problème politique.

Il est à noter que les Gens du Voyage sont à distinguer des Rroms qui sont en migration dans notre pays dans des campements illégaux, alors que les GDV vivent en France depuis plusieurs siècles et y travaillent. Ils exercent des activités indépendantes de commerce, d’artisanat ou d’agriculture. Leur vie est organisée autour de la famille tandis que chez les gadgé, c’est le rythme salarié qui va organiser leur vie.

Chose que j’ignorais, le carnet de circulation est toujours en vigueur en France, même s’il n’est plus besoin de le faire valider tous les trois mois comme cela était le cas avant.

Le traitement des minorités entraînant de parler de l’éducation, Monsieur Jean-Paul Bianchi, responsable du CASNAV (chargé de la scolarisation des enfants de familles nomades et de migrants) au rectorat de Montpellier est ensuite intervenu avec un amour visible de son métier. Inspecteur de l’académie, il connaît bien le public dont il a la charge, notamment sur la région de Perpignan où l’on recense 10 à 12 000 gitans dont 40 % ont moins de 16 ans. Il rappelle que ces familles sont des familles françaises et surtout il dit avec humilité qu’il considère avant toute chose l’enfant comme un élève et non pas comme un gitan. Il faut lutter contre la ségrégation, ne pas faire d’écoles que pour un groupe d’enfants gitans, il faut créer une notion de famille itinérante dans les circulaires de l’Éducation Nationale.

Dans le monde gitan, la culture est essentiellement orale. Il faut ainsi travailler sur la question des langues et de l’acquisition de la langue française écrite et parlée et travailler la relation aux familles pour favoriser l’éducation de ces enfants.

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Sur la question de la langue et celle de l’expérience, nous avons eu la chance d’avoir comme ambassadeur gitan monsieur Sacha Zanko, président de l’association Tchatchipen, responsable de l’association UFAT Romanos, suppléant de madame Francine Jacob au Forum Européen des Roms et Gens du Voyage auprès du Conseil de l’Europe où il rapporte toutes les doléances des Rroms d’Europe. Il nous a ravis par son sourire et sa gentillesse nous contant l’histoire de son peuple, depuis ses origines jusqu’à nos jours en passant par les épisodes tristes de la Seconde Guerre mondiale. Il nous a parlé de la non-reconnaissance du génocide tsigane qui n’a pas été cité une seule fois au procès de Nürnberg, de sa visite en Pologne dans les camps de la mort par – 17°, visite qu’il a effectuée avec sa fille, invités par les jeunes juifs de France. Il a narré la création du drapeau Rrom en 1971 : le bleu pour le ciel, le vert pour la terre et la roue d’Ashoka, premier empereur unificateur de l’Inde, la couleur rouge de la roue ayant été choisie par Juan de Dios Ramirez, premier député européen gitan, que Kathy Dauthuille avait d’ailleurs rencontré à Barcelone l’an dernier.

Enfin, Cyril Robin-Champigneul, chef de la représentation de la commission européenne à Marseille est intervenu sur les programmes, les actions, les financements européens en faveur des populations Rroms et Tsiganes, nomades ou sédentarisées, rappelant qu’un 2011, l’ensemble des pays européens se sont engagés (sauf Malte) et ont prévu une stratégie nationale pour l’intégration des Rroms. Des rapports d’évaluation annuels sont ensuite rédigés afin que puisse être faite une évaluation précise des actions, basée sur plusieurs critères (accès au logement décent, aux soins de santé, à l’éducation, au travail).

1753370530.jpg  Après cette matinée riche, Kathy Dauthuille a pu dédicacer son roman hommage aux    gitans : « Les Voyageurs au Sang d’Or » auprès d’un public très intéressé.

Comme Sacha Zanko m’avait chargée de gérer son stand improvisé sur lequel on trouvait le guide pratique des gens du voyage, des CD de Negrita, des reproductions de timbres poste et surtout le livre écrit par son grand-père, je n’ai pas pris de photos de tout cela ! Tant pis, plaisir des yeux et plaisir du partage. À noter que notre amie Françoise Gaspard, la dame du voyage, était présente toute la journée. Elle m’a expliqué, avec son humilité et sa grâce naturelle, qu’elle avait contribué à la naissance de ce guide en ce sens où, un jour qu’elle se trouvait à une réunion avec, entre autres, un juriste, celui-ci lui a dit : « Votre récit m’a beaucoup touché madame, merci. J’aimerais vous offrir quelque chose à mon tour. Si vous avez besoin de quelque chose, dites-le-moi ». Alors, elle lui a dit que ce qui serait bien, pour tous les gens du voyage, ce serait d’avoir un guide clair pour les aider à se débrouiller, à connaître leurs droits.

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Le livre du grand-père de Sacha donne envie d’être lu. Il s’intitule : « Zanko : Chef tribal chez les Chalderash, la tradition des Tsiganes conservée par l’aristocratie de ce peuple, le Livre des ancêtres, le Coutumier, la mise à mort du serpent, les légendes annexes », documents recueillis par le R. P. Chatard, présentés par Michel Bernard.

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Après un apéritif dans la boutique du lycée agricole remplie de bonnes choses (tapenade, vins, jus de fruits, etc. ) et une pause repas bien méritée, la journée s’est poursuivie par de nouvelles interventions, à commencer par celle de Françoise Gaspard, la dame du voyage qui nous a fait part des difficultés qu’elle avait pu rencontrer dans sa vie du fait même d’être une personne du voyage. J’aime l’entendre parler quand elle parle de « nous, les voyageurs ».

dame du voyageElle raconte l’humiliation du carnet de circulation, la difficulté d’obtenir une carte d’identité nationale, le fait d’avoir dû la faire refaire car elle était non neutre (mentions illégales de SDF, caravane), la dernière fois qu’elle a fait tamponner son carnet de circulation le 2 octobre dernier. Elle nous a confirmé que le carnet existe toujours mais qu’il n’est plus obligatoire de le faire tamponner à chaque traversée de village, à chaque arrêt, etc. Elle a parlé de sa vie d’ouvrière agricole qui changeait de lieu au gré des saisons et aussi parce que l’occupation des aires d’accueil est limitée dans le temps (2 mois maximum). Elle nous a parlé de son livre, son premier ouvrage « Les poèmes de la dame du voyage » qu’elle a vendu à près de 1000 exemplaires ! Chapeau bas madame ! Elle a continué sur son combat de toujours : l’importance de l’éducation pour s’en sortir dans la vie, importance qu’elle a inculquée à ses six enfants et qu’elle transmet aujourd’hui à ses nombreux petits-enfants.

Puis Delphine, enseignante spécialisée auprès des enfants du voyage et des enfants étrangers aux collèges de la Révolution et Jules Vernes est intervenue. Riche de son expérience et amoureuse de son métier, elle nous a fait part de son quotidien et de l’importance de la maîtrise de lecture et de l’écriture pour ses élèves, comme pour tout citoyen.

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Après, Sacha Zanko nous a donné un cours de langue romani.

Enfin, plusieurs personnes participant à l’atelier ont partagé avec nous la culture gitane telle qu’elle est perçue dans leur pays. Nous avons visionné une danse gitane en Roumanie dans le cadre de la fête des enfants qui a lieu chaque année début juin, nous avons écouté une chanson tsigane puis les participantes bulgares nous ont montré un diaporama qu’elles avaient monté spécialement pour le colloque. C’était très intéressant pour elles comme pour nous, car là-bas la question gitane est d’une tout autre ampleur. Il y a une grande misère, une ghettoïsation, des mœurs d’un autre temps où les filles sont vendues…

Alors ? Culture gitane, culture européenne ? La question est plus complexe qu’elle n’en a l’air. Ce que je retiens en particulier de cette journée, c’est l’intérêt du multi culturalisme des personnes présentes, l’importance d’avoir eu parmi nous des personnes du voyage pour qu’elles puissent s’exprimer en leur nom, car on sentait bien des a priori dans l’assistance sortant tout droit de la méconnaissance des contraintes auxquelles sont sujets les Gens du Voyage. Il n’est pas simple de porter un regard différent sur celui qui est différent de nous.

Enfin, je reste sidérée de savoir que le carnet de circulation des gens du voyage est tristement toujours de rigueur même s’il a changé de couleur.

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Vous pouvez voir d’autres photos sur le blog officiel de l’atelier Grndtvig en cliquant ici.

 

10 Replies to “« Culture gitane, culture européenne ? »”

  1. Terrevive

    Une journée très riche dans les interventions.
    Je remarque que si l’appellation « Gens du Voyage » n’est pas appropriée, le terme « Voyageurs » est celui adopté par Françoise Gaspard.

    Nous avons revu quelques personnes aujourd’hui au Centre Social des Gens du Voyage d’Alès où Payou Baptiste nous a accueilli très chaleureusement. (J’en reparlerai).

  2. Anna Galore

    Quel compte-rendu riche et passionnant ! C’est magnifique qu’une telle rencontre ait eu lieu. Je viens d’avoir Kathy au téléphone qui m’a encore décrit, toute excitée de joie, les contacts extraordinaires et chaleureux qu’elle a eus de son côté. Elle nous racontera tout ça un peu plus tard sur le blog.

    Et que de belles personnes !

    (la dernière photo d’Anti avec Sacha Zanko est superbe !)

  3. anti Post author

    la dernière photo d’Anti avec Sacha Zanko est superbe !

    Et c’est Kathy qui l’a prise 😉 J’ai hâte que tu puisses nous faire un compte rendu Kathy, toi qui passe toute la semaine avec les participants de l’atelier, venus de 15 pays d’Europe ! Au plaisir de te lire.

  4. Terrevive

    Oui Anti, je vais préparer une page à ce sujet avec grand plaisir.

    Petite remarque : ce ne sont pas des participants venus de 15 pays d’Europe mais 15 participants venus de 7 pays européens.

  5. Baliramas

    Petite question technique: pourquoi écris-tu parfois Rom et d’autres fois RRoms?
    Il n’y a pas une petite masure à louer à Nîsmes pour un jeune pensionné qui s’intéresse à plein de choses et commence à être insupporté par le trou dans le lequel il vit? 😉

  6. Anna Galore

    Pour ta première question – très bonne question ! Il est courant d’écrire Rom avec un seul R parce qu’un double R n’existe pas en langue française pour commencer un mot. Néanmoins, la graphie correcte retenue au niveau international est Rrom pour souligner que ce R se prononce d’une façon particulière par les Rroms.

    Quant à tes projets immobiliers, tu vas certainement avoir un appel d’Anti ! Elle rêve de trouver des amis pour habiter la maison voisine de la nôtre, superbe mais à l’abandon.

  7. anti Post author

    Alors… Justement (j’entends déjà Anna rire)… Figure-toi que la maison voisine de la nôtre devrait être bientôt en vente. Elle est magnifique mais il y a quand même pas mal de travaux à prévoir. Dans une autre optique plus petite, Kathy Dauthuille, justement, a un petit appartement à louer 😉 Ta dam ! On t’attend de pied ferme ! Ici, on ne connaît pas l’ennui et en plus, on a du soleil et en plus nous sommes à la fois proche de l’Espagne et de l’Italie 😉

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