Frankenfish et Jurassic Park

L’agence de réglementation sanitaire américaine, la FDA, est sur le point d’autoriser la mise sur le marché agro-alimentaire d’un saumon d’élevage génétiquement modifié. La décision sera probablement rendue d’ici la mi-avril. Cela va être la première fois dans le monde qu’un animal issu de manipulations génétiques artificielles arrivera dans les assiettes des consommateurs. Jusqu’à maintenant, seuls des végétaux l’ont été (et encore, pas partout dans le monde – en France ils sont tous interdits).

Frankenstein's_monster_(Boris_Karloff)Ce saumon a reçu le surnom de Frankenfish dans la presse – combinaison de Frankenstein et fish (le poisson). Il est produit par une société américaine nommée AquaBounty. Les manipulations génétiques qui ont mené à sa création ont consisté à modifier le patrimoine génétique d’un saumon atlantique.

Les apprentis-sorciers lui ont ajouté un premier gène pris sur le saumon royal (qui vit dans le Pacifique) et qui accélère sa croissance.  Puis, ils ont greffé un second gène extrait de la loquette d’Amérique, poisson vivant dans des eaux très froides de l’Atlantique nord, qui a pour effet de maintenir sa croissance même pendant la saison froide, lors de laquelle le saumon naturel ne grandit pas.

Résultat : Frankenfish grandit deux fois plus vite qu’un saumon normal et atteint sa taille de commercialisation en un an et demi au lieu de trois ans. On voit bien le bénéfice considérable que cela représente pour les éleveurs.

Comme d’habitude, c’est-à-dire comme avec tous les OGM déjà commercialisés, les études « scientifiques » qui démontrent l’absence de tout danger à consommer de ce saumon transgénique ont été réalisées par… l’entreprise qui veut le commercialiser. En 2010, la FDA a accepté la validité de ces études mais a requis des garanties environnementales : comment empêcher tout risque de dissémination dans les océans de ce saumon mutant qui risquerait de mettre en péril les populations de ses congénères naturels puisqu’il grandit beaucoup plus vite qu’eux ?

La réponse d’AquaBounty a été double : (1) Frankenfish ne serait élevé que dans des bassins à terre et non en mer, et (2) seules des femelles stériles seraient produites.

Ça ne vous rappelle rien ?

Dans le roman de science-fiction Jurassic Park de Michael Crichton publié en 1990 et les films qui en ont été tirés, les scientifiques qui recréent des dinosaures à partir d’ADN bricolé se prémunissent de tout risque de dissémination de leurs créatures hautement dangereuses en prenant deux précautions : (1) les confiner dans un lieu inaccessible, en l’occurrence des îles loin de tout et (2) ne produire que des femelles stériles.

Sauf que le confinement se révèle inefficace et que les femelles ne sont pas si stériles que ça. Elles parviennent à avoir des petits grâce à un bout de leur patrimoine génétique recomposé qui provient d’une grenouille (bien réelle) à même de changer de sexe en cas de nécessité. C’est ce qu’on appelle la parthénogenèse. Certaines espèces qui nous entourent en sont tout-à-fait capables. Dont plusieurs d’amphibiens mais aussi de poissons, justement.

Pour Frankenfish, c’est pareil. Rien ne prouve que le confinement assuré par AquaBounty sera respecté par ceux qui, ailleurs dans le monde, achèteront sa technologie une fois l’autorisation de commercialisation obtenue – surtout quand on voit toutes les fraudes que permettent les circuits de l’agro-alimentaire révélés au grand public par le scandale de la viande.

Le risque que ce saumon mutant finisse par atteindre les eaux libres des océans est donc plus qu’élevé. Celui qu’il se reproduise en ne partant que de femelles soi-disant stériles l’est tout autant.

malcolm jurassic

Comme dit le docteur Malcolm dans Jurassic Park : « La vie trouve toujours un chemin ».

Même lorsqu’il s’agit de la vie d’un monstre créé par des scientifiques irresponsables en vue d’accumuler toujours plus de profit financier.

2 Replies to “Frankenfish et Jurassic Park”

  1. valentine

    Atroce, j’en ai froid dans le dos!
    Là, je viens encore de lire un article sur la maltraitance de ces pauvres chevaux qui ont fini dans les lasagnes et autres produits……..
    Il s’en faut d’un cheveu (ou de deux chevaux!) que je ne devienne aussi végétarienne.
    Mais qui nous dit que nous ne maltraitons pas aussi nos légumes. Dans le même journal, je lis que des jardins potagers dans le canton de Fribourg sont bourrés de mercure.
    On vit dangereusement je vous le dis!
    A côté de ça, j’entends aux infos hier soir qu’avec les progrès de la médecine, on vivra 200 ans. Faut voir…….

  2. Anna Galore Post author

    « Mais qui nous dit que nous ne maltraitons pas aussi nos légumes »

    C’est marrant, j’en parlais justement à Anti il y a quelques jours. Je repensais à cette phrase d’un chercheur qui travaille sur l’intelligence des plantes (dont j’ai parlé ici : http://www.annagaloreleblog.com/2011/12/15/lintelligence-des-plantes/ ) et qui disait : « Un jour, on découvrira que les carottes souffrent atrocement quand on les arrache du sol et on mourra de honte. »

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