Mort annoncée des corridas à Alès

Les réunions d’un conseil municipal, la plupart du temps, c’est interminable et très ennuyeux. Croyez bien que si nous, militants locaux du CRAC, y assistons à Alès pour la troisième fois depuis le mois de décembre, ce n’est pas parce qu’on ne sait pas quoi faire de nos journées et de nos soirées, mais parce que notre motivation à mettre le maire pro-corrida sous pression est totale.

DSCN2437bJean-Pierre Garrigues fait lire le tract du CRAC au directeur de cabinet de Max Roustan

Nous avons, bien entendu, en ligne de mire les trois grandes manifestations des 11 et 12 mai prochains. Et notre objectif est simple : faire abolir la corrida à Alès au plus tôt, ce qui est atteignable puisque cette ville n’a aucune tradition tauromachique réelle. Les Alésiens partagent d’ailleurs largement notre avis à ce sujet.

Ce lundi 28 janvier, après avoir reporté par deux fois la délibération sur le choix du prochain délégataire en charge d’organiser des corridas pour les trois ans à venir, Max Roustan, le maire, a enfin mis le sujet à l’ordre du jour. Dans une ultime tentative de faire faiblir notre mobilisation, ce roi de l’esquive avait fini par convoquer une session extraordinaire du conseil un lundi à 9h30, uniquement consacrée à ce point-là. Peine perdue, nous sommes venus, certes un peu moins nombreux mais encore plus visibles et déterminés.

Dans un document détaillé distribué aux élus avant la tenue du conseil, le maire avait fait savoir à ses conseillers municipaux que le délégataire retenu n’avait demandé aucune subvention, une réelle surprise. Il ne pouvait donc pas lui être reproché de coûter trop cher aux contribuables.

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Un futur maire abolitionniste

Benjamin Mathéaud, élu PS qui envisage de devenir le prochain maire d’Alès en 2014, a pris la parole. Après avoir rappelé que la corrida n’est en rien une tradition culturelle cévenole, les arènes d’Alès n’ayant été utilisées que de façon sporadique depuis seulement une trentaine d’années, il a insisté sur le fait que la féria d’Alès attirait bien plus de personnes sur les festivités variées offertes par la ville pendant les férias que par les corridas proprement dites qui n’intéressent que très peu de gens.

De plus, a-t-il souligné, les corridas apportent une image négative à la ville puisqu’elles provoquent des affrontements de plus en plus marqués, en raison du rejet croissant qu’elles suscitent auprès d’une immense majorité de Français. Pour ne rien arranger, les corridas ne présentent aucun intérêt économique, ne tenant que grâce à des subventions. Aucune ferveur, aucun engouement à leur sujet n’ont jamais été observés à Alès, que ce soit de la part des habitants ou des touristes. Le spectacle qui fait le plus d’entrées est celui des bouvines, jeux taurins dans lesquels les animaux ne sont ni torturés, ni mis à mort

C’est pourquoi Benjamin Mathéaud s’est engagé à supprimer définitivement les corridas de sa ville s’il est élu. Il a conclu en précisant qu’il serait vigilant sur le fait que le délégataire ne récupèrerait pas sous une forme détournée l’équivalent de la subvention qu’il n’avait pas demandé.

Nous l’avons chaleureusement applaudi.

Le maire a affirmé que pas un euro du budget municipal n’alimenterait les caisses de ce délégataire, ce qui nous a laissés plutôt sceptiques. Mais le vrai grand moment de ce conseil s’est produit juste après.

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Une élue pro-corrida déclare son désespoir

Une élue pro-corrida a pris la parole. Elle semblait encore plus perplexe que nous. Après avoir expliqué que le délégataire choisi lui semblait de piètre qualité (il n’a jamais organisé de corrida de sa carrière), elle a posé la question que nous nous posions tous : « Mais, s’il n’a aucune subvention, comment peut-il faire pour s’en sortir ? Les arènes sont toujours à moitié vides ! »

Vous avez bien lu. Ces mots n’ont pas été prononcés par un militant déchaîné du CRAC mais par une aficionada alésienne qui ne manque jamais une corrida. En toute candeur, elle a avoué publiquement ce que nous nous échinons à répéter depuis dix ans : les corridas sont toujours déficitaires et leur public est en chute libre. Sans subvention, c’est le plongeon financier assuré. Là, nous, on buvait du petit lait. Quel aveu !

Pour information, l’an dernier, cette subvention était de l’ordre de 50 000 euros. Et ce n’est pas parce que les arènes sont chères : la mairie les loue pour seulement 500 euros, ce n’est pas ça qui va plomber les comptes.

La même aficionada, qui avait décidément très envie de nous faire plaisir sur son dos, a enchaîné sur une énormité des plus réjouissantes. Selon elle, il faut absolument conserver des corridas « de qualité » à Alès parce que c’est grâce à cela que les férias attirent autant de monde. Ah bon ? Mais ne venait-elle pas de dire que les arènes étaient à moitié vides ? Si. Hé bien alors, c’est bien la preuve que tous ces gens qui viennent s’amuser dans les rues, ce n’est pas pour les corridas qu’ils sont là. Fermez le ban.

Remarquez, le maire aficionado de Nîmes raconte exactement les mêmes fariboles : les férias de la capitale gardoise attirent, parait-il, un million de fêtards pour qui les corridas seraient la motivation première. Sauf que les antiques arènes romaines ne contiennent que 12 000 places quand elles sont pleines à craquer, ce qui veut dire que plus de 98% des gens ne viennent PAS pour les corridas.

Le maire en place désavoue la corrida

Max Roustan a répondu à la dame de façon… fascinante. Une fois n’est pas coutume, je vais dire du bien de lui : je crois qu’il fait tout en ce moment pour faire disparaître les corridas. Et cela, sans se mettre à dos les aficionados qui votent pour lui. C’est un politicien avisé, il n’oublie jamais son intérêt.

Il a déclaré : « Soit le délégataire s’en sortira financièrement et il pourra continuer, soit il échouera et ce sera la fin des corridas à Alès ». Et il a ajouté, encore plus roublard que d’habitude : « Moi, de toute façon, je n’y vais jamais, aux corridas ». Très fort, non ? En fait, même s’il a toujours fait semblant de les ignorer, il a parfaitement intégré le message des panneaux que nous lui brandissons à la figure depuis des mois : une majorité d’Alésiens est contre la corrida, donc son intérêt électoral est de faire disparaître la corrida. Mais comment faire pour ne pas perdre une seule voix d’une partie de son électorat naturel, qui est lui aficionado ?

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Machiavel peut prendre des leçons, auprès d’un maître pareil : en retenant délibérément la plus mauvaise des candidatures, celle d’une entreprise inexpérimentée qui va faire des corridas au rabais, et en le justifiant par le fait que cela évitera à la municipalité de verser une subvention, Roustan sait exactement ce qu’il fait. D’une main, il maintient les corridas dans sa ville sans céder à ces excités du CRAC (les aficionados applaudissent) et de l’autre, il est prêt à les supprimer si le délégataire prend un bouillon (les anticorridas retiennent leur souffle). Or, avec un délégataire minable et zéro subvention, le bouillon est plus que probable. Tel qu’on le connait, Roustan se vantera alors d’être celui qui a fait disparaître les corridas d’Alès. Lui et pas nous. Après tout, si ça lui fait plaisir… Pour nous, seul compte le sort des taureaux.

Et si je résume, sur ce front-là, ça se présente plutôt bien :

– un maire UMP qui saborde l’avenir des corridas parce qu’il sent le vent tourner

– un élu PS qui compte bien prendre sa place veut les supprimer si elles sont encore là en 2014

– une élue aficionada désespérée au point d’avouer publiquement que les corridas sont déficitaires et n’attirent plus personne !

Quelle magnifique séance de conseil municipal !

DSCN2458bUne partie de notre groupe avec à gauche Jacques Dary

En sortant, pendant que Jean-Pierre Garrigues se faisait interviewer par une journaliste, j’ai discuté avec Jacques Dary qui était des nôtres – quel privilège d’avoir le fondateur historique du CRAC à nos côtés dans l’action! Il était très content de ce qu’il avait entendu. Nous l’étions tous.

Avant que je ne parte, Jacques m’a dit : « Regardez, c’est beau, la relève est là ». Il me montrait les militants, tous jeunes et souriants. « Et en face, voyez ce qu’on a ». Il a tendu la main vers les vieux trognons afiocs qui se tenaient un peu plus loin en tirant la gueule – moyenne d’âge 65 ans et plus. Je lui ai répondu en me marrant : « Oui, forcément, ils disparaitront bien avant. Et la corrida avec eux ! » Mais je ne fonde pas mes espoirs là-dessus, bien sûr. J’espère bien qu’ils connaitront ce moment historique de leur vivant et qu’ils vivront encore longtemps après, à se ressasser la perte de leur passe-temps morbide.

Il n’y en a plus pour longtemps. Pour Alès, la fin de la corrida, ce sera dès le mois de mai prochain.

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7 Replies to “Mort annoncée des corridas à Alès”

  1. Anna Galore Post author

    Benjamin Mathéaud a repris son intervention sur son blog :

    « Ayons de l’audace ! Faisons d’Alès la première et la plus importante Féria du sud-est de la France sans corrida.

    Je ne suis ni un militant de la cause animale anti-corrida, ni un aficionado convaincu. Je crois qu’il faut essayer d’avoir une approche pragmatique et dépassionnée sur le sujet de la corrida. A mes yeux la seule question est : quel est le meilleur choix pour notre ville ?
    Qu’est ce qui fera le mieux rayonner notre ville et pourra maintenir et développer sa Féria comme un grand rendez-vous populaire et festif ?

    Il y a d’abord un constat historique qui s’impose et que personne ne peut contester. […] La corrida n’a jamais été une pierre angulaire de notre identité culturelle cévenole.

    La corrida donne-t-elle aujourd’hui une valeur ajoutée à la féria d’Alès ?

    Sur le plan de l’image, on peut aujourd’hui en douter. Si Alès est sous le feu des projecteurs pour sa Féria, ce n’est pas pour la qualité de ses animations et spectacles ou de la convivialité de sa fête mais plutôt pour les manifestations et les polémiques que l’organisation des corridas déclenchent. On peut espérer mieux comme image positive pour notre ville que ces affrontements qui divisent nos concitoyens !

    Sur le plan économique cela reste à démontrer. […]

    La société a évolué depuis 1989 et la première Féria d’Alès, le regard des Français comme des Alésiens sur la corrida a changé.

    Je crois que le temps est venu d’en finir avec l’organisation de corridas dans notre ville. […]

    Ayons de l’audace ! Faisons d’Alès la première et la plus importante Féria du sud-est de la France sans corrida.

    […] je veux dire ici, et c’est un engagement que je prends, que dans le cadre des prochaines élections municipales, nous proposerons de supprimer les corridas à Alès et de les remplacer par des spectacles de qualité, équestres et taurins sans mise à mort. […]

    C’est toute notre ville et sa Féria qui en sortiront gagnantes !  »

    Le texte intégral est sur le blog de B. Mathéaud : http://www.benjaminmatheaud.fr/2013/01/28/ayons-de-laudace-faisons-dales-la-premiere-et-la-plus-importante-feria-du-sud-est-de-la-france-sans-corrida/

  2. Omegane

    Merci pour ce compte rendu détaillé et encourageant. Vais-je enfin me remettre à espérer ? Oui, sans doute. La corrida, cette tache grotesque dans le paysage Cévennole ne va pas tarder à disparaître. Et quelle belle idée que celle qui est en train de germer d’une belle fête, pacifique et joyeuse, mettant les animaux en vedette, enfin sans effusion de sang. De quoi redonner un coup de jeune et une nouvelle image à Alès qui en a bien besoin.
    Mon héros à moi ne porte pas l’habit de lumière. C’est un pauvre berger africain, personnage central d’un de mes livres jeunesse préférés. Il s’appelle Yacouba, et je lui ai fait un place dans mon blog : http://libr.animo.over-blog.com/article-yacouba-109204767.html
    où un autre album qui me fait mourrir de rire a aussi trouvé sa place http://libr.animo.over-blog.com/article-l-habit-de-lumiere-107633069.html : une bonne claque aux stupides prétentions des sinistres jongleurs de banderilles.
    Bon, je reviens prendre des nouvelles bientôt.
    Encore merci !

  3. anti

    Merci pour ce délicieux compte rendu de cette matinée à laquelle je n’ai pas pu me joindre. Corrida abolition !!! Yeah !!! Bravo à Benjamin Mathéaud qui ne cède pas un pouce devant Roustan !

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