Rodilhan, que justice soit faite

Le procès des lyncheurs de Rodilhan s’est enfin tenu après plus de quatre ans de procédure à Nîmes les 14 et 15 janvier. Son déroulement a été une divine surprise pour les anticorrida. En effet, aussi bien le juge Jean-Pierre Bandiera que le procureur Alexandre Rossi ont mené le déroulement de l’audience avec une fermeté à l’égard des agresseurs comme plus personne n’en rêvait dans nos rangs. A tout moment, si un prévenu tentait de justifier ses actes de violence par quelque prétexte que ce soit (« culture », « tradition », « provocation », « piège médiatique », « énervement », etc.), il se faisait sèchement recadrer par un rappel au droit le plus élémentaire : aucun citoyen n’a le droit de frapper un autre, quelles que soient les circonstances. La piste était occupée par des militants assis en rond ? Il suffisait d’attendre que les forces de l’ordre interviennent pour la dégager. Personne n’avait le droit de le faire à leur place. Personne et en aucun cas. Ce procès, cela a été dit et répété, n’était pas celui de la corrida, mais celui de violences commises en réunion.

Une précision : le CRAC Europe a proposé à toutes les victimes qui le souhaitaient de prendre en charge la totalité de leurs frais d’avocat. Elles ont été 32 à le faire et à être défendues par maître Phung et maître Delran. Les victimes belges étaient représentées par maître Dapsens et certains militants par maître Ortega.

Ils étaient 18 à répondre des violences, parmi lesquels Serge Reder, le maire de Rodilhan en personne, pour avoir participé activement au lynchage du 8 octobre 2011. La vidéo de Sauvons les Animaux a été projetée en début d’audience pour que tout le monde ait bien en tête le déroulement des faits. D’autres vidéos tournées ce jour-là ont également été utilisées pour caractériser les agressions, identifier les victimes de façon certaine et confondre les agresseurs qui ont tous commencer par nier lors des premières auditions réalisées après les faits.

Chaque prévenu a été appelé à la barre. Lorsqu’il disait « ne plus se rappeler », le juge faisait diffuser sur les écrans de la salle la scène qui le concernait. Lorsqu’il expliquait qu’il avait « juste voulu aider à dégager les manifestants », le juge lui jetait « de quel droit ? » Lorsqu’il prétendait avoir juste « raccompagné » un manifestant dehors, il avait droit à une réponse sarcastique du magistrat qui disait préférer ne pas être invité chez lui s’il était « raccompagné » de cette façon.

Plus d’une fois, les avocats des agresseurs partaient dans des digressions fumeuses sur d’autres faits survenus avant ou après cette action, ou encore des raisonnements complotistes et abscons auxquels personne ne comprenait rien. A chaque fois, le procureur ou le juge les interrompait en leur demandant de revenir sur ce 8 octobre 2011 et rien d’autre. Le témoignage à charge le plus fort est venu… d’un procorrida, un jeune torero qui ne s’est pas présenté à l’audience. Dans sa déposition, il a déclaré : « Au début, tout se passait bien, les anticorrida étaient calmes. Ce sont les procorrida qui ont commencé les violences. Il faut dire qu’il y avait eu un apéro très arrosé avant le début de la finale ».

Reder a été particulièrement mis en cause par le juge, ainsi que Savarin, le plus violent de tous – coups, lance à incendie dans l’oreille. A propos de cette fameuse lance, les prévenus qui s’en sont servis ont osé affirmer que c’était pour éteindre les fumigènes. Le procureur dans son réquisitoire a demandé si le militant qui a subi le jet à bout touchant avait un fumigène dans l’oreille.

Il a également souligné que les violences commises avaient été « lâches, au sol, à plusieurs, de dos, à coups de pied dans la tête. Ceux qui ont voulu s’opposer à un spectacle en ont pris plein la tête, ils ont été fracassés ». Il a demandé aux agresseurs « en quoi cela pouvait faciliter l’évacuation ». Il leur a lancé : « Vous, les prévenus, vous n’avez rien compris. Vous avez banalisé ces violences. Quatre ans après, vous trouvez cela normal. »

Un 19e prévenu se trouvait dans un cas totalement différent. Il s’agissait de Jean-Pierre Garrigues, jugé comme unique responsable d’une manifestation non déclarée. Ses avocats ont clairement dit que non seulement il le reconnaissait, non seulement il l’assumait, mais qu’il le revendiquait. C’est tout le sens d’un engagement réel que de le mener à fond. La non déclaration était inévitable pour conserver l’effet de surprise, sinon l’action aurait été tout simplement interdite ou impossible. Le procureur a rejeté l’accusation permanente des aficionados sur la prétendue « violence du CRAC ». Il a dit être sorti le premier jour de l’audience pendant une pause. Il est allé voir le rassemblement déclaré et autorisé du CRAC en soutien aux victimes, qui se tenait devant le tribunal. Tout se déroulait paisiblement, sans incident. Alors, quelle violence du CRAC ?

Il a poursuivi : « Est-ce que Garrigues est responsable de tout ? Ce serait nier le libre arbitre des manifestants. Ils ont décidé d’être là, ils sont descendus volontairement dans l’arène. Je ne peux pas valider le piège médiatique. Le CRAC ne pouvait pas savoir qu’un tel déferlement de violence allait se produire. »

Il a requis une peine symbolique avec sursis et une amende pour Jean-Pierre Garrigues. Pour les agresseurs, les peines qu’il a demandées vont de simples amendes à de la prison ferme, ainsi que des peines de prison avec sursis. Les avocats des prévenus ont plaidé la relaxe pour plusieurs d’entre eux et un « verdict d’apaisement » pour les autres. Les victimes – une cinquantaine présentes dans la salle – ont demandé par leurs avocats des dommages et intérêts allant de 1000 à 6000 euros suivant la gravité de leur préjudice, pour un total de 200 000 euros.

Le jugement a été mis en délibéré. Il sera rendu public le 14 avril. Quel qu’il soit, il s’agit déjà d’une victoire historique pour le mouvement anticorrida français : pour la première fois, il a été reconnu et affirmé par une cour que des aficionados avaient laissé exploser leur violence à l’encontre d’être humains dont ils ne supportent pas l’opinion et que cela était tout simplement illégal. Espérons qu’ils sauront s’en rappeler.

7 Replies to “Rodilhan, que justice soit faite”

  1. Mario Valenza

    Quel merveilleux compte-rendu! Ça valait le coup d’attendre. Les afiocs pensaient qu’ils allaient échapper à la Justice, ils en sont pour leurs frais. J’ai bien ri quand Para a demandé à demi mots la prescription pour ses clients.
    Ces « braves pères de famille » et leurs avocats ont adopté l’attitude des petits voyous de correctionnelle: non c’est pas moi, je ne me rappelle pas, je promets de ne plus le faire, je regrette(hum)…..
    Ils n’ont même pas eu le courage dont ils parlent tant pour sublimer l’art tauromachique. Il n’était que de voir leurs mines déconfites quand ils se faisaient recadrer par le tribunal et surtout quand ils sont passés devant nous à la sortie des débats, baissant les yeux honteusement. Ne soyons pas dupes, ils resteront ce qu’ils sont, des gens aimant la barbarie des arènes incapables d’une quelconque empathie envers un être vivant.
    Leur condamnation ne fait aucun doute et les peines seront toujours insuffisantes mais ne boudons pas notre plaisir. Ce procès fera date dans l’histoire de notre combat. L’abolition est en marche et fera un grand pas en avant le 14 avril 2016.
    Il faudra se souvenir à jamais des 95 combattants du 8 octobre 2011.

    La corrida agonise, il faut l’achever.
    C’est notre devoir envers les générations futures.
    Pour terminer, une pensée pour Jean-Pierre Garrigues sans qui rien de tout cela ne serait arrivé, à qui je souhaite de tout coeur un prompt rétablissement.
    Vive le CRAC, vive les anti-corrida, vive l’abolition.

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