Portrait d’Ali Sleiman, syrien Alaouite

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Son visage est grave et fermé. Ses traits ne semblent pas pouvoir se détendre. Depuis le début des manifestations anti-régime, ce père de trois enfants ne trouve plus le sommeil. Discret, il ne s’est jamais mêlé de politique. Il tient un petit restaurant à Lattaquié, une des principales villes portuaires de Syrie à l’histoire riche. Cette ville fut même capitale de l’éphémère État des Alaouites instauré par la France entre les deux guerres, alors que la Syrie était sous son mandat.

Ali Sleiman se souvient des récits de son grand-père évoquant le mandat français : « Les soldats Français voulaient protéger les minorités, pas seulement chrétiennes. Peut-être était-ce aussi pour diviser les forces mais il n’empêche qu’on a été protégé des intégristes, comme rarement dans notre histoire ». Il appartient à la même communauté religieuse que Bachar al-Assad : les Alaouites. Longtemps persécutée par les différents pouvoirs, marginalisée socialement et économiquement dans une grande pauvreté, cette communauté vit essentiellement en Syrie, au Liban et dans le sud de la Turquie. Elle n’a jamais véritablement connu le pouvoir. Jamais jusqu’à ce qu’un de ses membres, Hafez al-Assad, accède à la fonction suprême en Syrie suite à un coup d’État en 1970.

UNE RÉCENTE ASCENSION SOCIALE

Depuis, les Alaouites ont connu une ascension sociale impressionnante qui avait déjà été amorcée pendant le mandat français. Leur situation économique les a orienté naturellement vers l’institution militaire où ils ont gravi les échelons. Bien que peu politisé jusqu’il y a peu, le discours laïc du parti Baath a longtemps séduits ceux qui ont dû faire face à une intolérance religieuse féroce. L’importance accordée à l’éducation dans la communauté est souvent relevée par les chercheurs : une sorte de revanche sociale s’est accomplie.
Père de deux filles pharmaciennes et d’un fils médecin, Ali Sleiman n’est pas peu fier de la réussite de ses enfants : « Je n’ai pas pu faire d’études en raison de la situation économique difficile de mes parents. C’était ma priorité pour mes enfants : les études. Je n’ai jamais souhaité qu’ils m’aident au restaurant pour qu’ils aient tout le temps qu’il faut pour les cours. » Au-delà de la réussite économique, chaque famille peuplant son quartier a un ou plusieurs enfants qui ont fait de longues études : « Ce n’est pas propre aux Alaouites de faire de longues études mais nous avons tellement eu de difficultés au cours de l’histoire que nous ne voulons pas laisser passer les opportunités qui s’offrent à nous en termes d’accès à la connaissance. »

UNE COMMUNAUTÉ PRISE EN OTAGE

Aujourd’hui cependant, Ali Sleiman a peur pour ses enfants, pour sa communauté et plus généralement pour les minorités. Les récents événements, la contestation du pouvoir en place le mettent mal à l’aise. Pour lui, le régime n’est en rien un régime alaouite : « Ce n’est pas un pouvoir alaouite, il y a des gens de toutes confessions autour de Bachar. Il n’aide pas particulièrement les Alaouites, il aide ceux qui lui permettent d’asseoir son pouvoir ». Il se résigne cependant à soutenir l’actuel président syrien « Je n’adore pas le pouvoir en place. Je sais qu’il y a des injustices mais je le soutiens par peur de l’alternative. Je sais que si le régime tombe, il y aura un massacre ».
Cette crainte d’Ali Sleiman se justifie par différents épisodes historiques qui hantent la communauté alaouite. Le plus connu est sans doute le massacre perpétré par le sultan Selim Ier dit « le Terrible », qui a été à la tête de l’empire Ottoman de 1512 à 1520 dans un contexte de rivalité avec le Shah perse. Plus récemment, l’intolérance religieuse de certains mouvements notamment au proche et Moyen-Orient rend les Alaouites et les différentes minorités religieuses inquiets à l’idée de l’arrivée au pouvoir d’intégristes : « Nous ne sommes pas les seuls à avoir peur. Mes amis chrétiens et aussi des sunnites attachés à la liberté de culte, à la laïcité pour tous savent bien que si Bachar s’en va, on risque de perdre les quelques libertés qu’on a. »

UNE DEMANDE DE GARANTIES CONTRE LES REPRÉSAILLES

Bachar al-Assad étant Alaouite, les membres de sa communauté se sentent d’autant plus vulnérable en cas de chute du régime. La peur de représailles est omniprésente et est attisée par des histoires difficilement vérifiables circulant de bouche en bouche dans les familles alaouites : « Depuis le début des manifestations, les intégristes ont refait surface partout, ils ne se cachent plus. Ils insultent les Alaouites, les Chrétiens, les Juifs, les Sunnites qui ne partagent pas leur doctrine… ce sont les plus dangereux. Je ne dis pas que tous les manifestants sont comme ça, mais ils existent. Ces derniers ont déjà tué, violé et torturé plusieurs personnes uniquement parce qu’ils sont Alaouites. Ils pourraient arriver au pouvoir car ils sont le mieux organisé, on peut facilement imaginer quel régime ces gens là mettraient en place. »

Cette peur d’une partie de la communauté alaouite et des différentes minorités exprimée par Ali Sleiman empêche manifestement les opposants au régime d’arriver à leurs fins. Des garanties crédibles sont réclamées afin d’être en mesure d’envisager un nouveau pouvoir. Fabrice Balanche, dans les colonnes de Libération (1), évoquait l’idée de la renaissance d’un Etat Alaouite en cas de chute du régime. Cet Etat pourrait théoriquement être une solution à la peur des représailles mais Ali Sleiman n’y croit pas : « Même lors de la constitution du premier Etat alaouite, il n’y avait pas grand monde qui soutenait l’initiative dans la communauté. Nous voulons seulement vivre en paix dans un pays laïc et pas avoir un Etat à nous. Il serait dommage de se séparer des autres. »

Conscient du déficit démocratique du régime, Ali Sleiman craint avant tout les intégristes qui pourraient menacer la vie des siens et rendre la situation pire qu’elle ne l’est aujourd’hui : « Je veux plus de démocratie, plus de liberté. Je ne suis pas pour Bachar mais je ne suis encore moins pour les intégristes qui prendraient le pouvoir… C’est cette impasse qui m’empêche de dormir. »

(1) Libération du 1er juillet 2011 : « Alaouites de Syrie : une revanche sur l’histoire »

Tarik Yildiz est l’auteur de Le racisme anti-blanc (Editions du Puits de Roulle, décembre 2010).

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tarik redimensionnée.jpgLe Racisme anti-blanc – Ne pas en parler : un déni de réalité, de Tarik Yildiz, Éditions du Puits de Roulle, 2010. 8 €.
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Le racisme anti-blanc : un sujet de société que nous devons affronter, A. Ardes pour le Bondy blog.
Ne pas parler du racisme anti-blanc : un déni de réalité, Tarik Yildiz, pour Terre d’avenir.
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2 Replies to “Portrait d’Ali Sleiman, syrien Alaouite”

  1. Anna Galore

    Un article tout en nuances et en intelligence, très loin de ce que nous servent les médias habituellement. Comme quoi, il n’y a jamais de situation en blanc et noir et même si le méchant est vraiment méchant, cela ne veut pas dire que ceux qui partagent certaines racines avec lui sont aussi des méchants. Ils risquent avant tout d’être les victimes innocentes de règlements de compte expiatoires et peu regardants sur la réalité des choses.

    Bravo à Tarik pour cet article dans le Huffington Post !

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