Varanasi, spécialiste du bûcher funéraire depuis 3 500 ans

Ce matin, Anna m’a indiqué ce très bel article de Alexandre Marchand (Etudiant en journalisme) pour Rue 89, article qui s’inscrit dans la lignée de ceux déjà publiés sur le blog sur les rites funéraires :

Varanasi, spécialiste du bûcher funéraire depuis 3 500 ans

(De Varanasi, Inde) « Ram nam satya hai/ Ram nam satya hai » (« Le nom de Ram est vérité »).

A intervalles réguliers, ce cri résonne dans les ruelles tortueuses et pentues de la vieille ville de Varanasi. Quelques secondes plus tard apparaît un cortège funéraire, des hommes transportant une dépouille sur un brancard de bambous.

Un coup d’œil au linceul suffit pour renseigner sur l’identité du défunt :

* or, un vieil homme
* blanc, un homme
* orange, une vieille femme
* rouge, une femme

La petite procession poursuivra sa descente sous le regard indifférent des passants, habitués à ce spectacle, pour finir sur les rives du Gange.

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Des bûchers funéraires sur les rives du Gange, à Varanasi, dans le nord de l’Inde (Arko Datta/Reuters)

« Etre incinéré ici permet d’atteindre le salut »

Dans cette ville sacrée hindoue, les rives du fleuve sont formés de « ghats » longs de plusieurs kilomètres. Sur ces grands escaliers qui descendent directement dans l’eau, les pèlerins pratiquent leurs ablutions et rituels. Des 84 ghats que possède la ville, l’un d’entre eux se démarque particulièrement : Manikarnika Ghat.

Ici, depuis près de 3 500 ans, des cadavres sont travaillés par les flammes sans interruption. Si la tradition hindoue veut que l’on brûle la dépouille après la mort, être consumé par le feu à Varanasi a une signification toute particulière, comme l’explique Narooq Quan, qui travaille sur ce sujet :

« Varanasi étant une ville sacrée hindoue, être incinéré à cet endroit permet d’atteindre “moksha”, la sortie du cycle des réincarnations [le salut, but ultime de tout hindou, ndlr]. C’est à peu près le seul endroit, avec Bodh Gaya, où cela est possible. »

Surplombé par le temple de Shiva, le ghat se compose de deux plates-formes disposées en escalier juste au-dessus du fleuve. Quelque soit l’heure du jour ou de la nuit, les flammes sont toujours à l’œuvre. Entre 150 et 400 cadavres passent ici chaque jour.

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« Ce travail n’est pas payé, je fais cela pour mon karma »

Krishna, un homme entre deux âges, travaille ici depuis deux ans et demi. Artisan dans une usine, il aide à l’hospice situé un peu plus haut :

« Je viens ici tous les jours, dès que j’ai du temps libre. Ce travail n’est pas payé, je fais cela pour mon karma. »

La « moksha guest-house » où il travaille accueille des personnes en fin de vie, sans ressources généralement, qui viennent ici pour mourir, en attente du salut :

« Ah non, je suis désolé vous ne pouvez pas les rencontrer : il n’y a plus personne, ils sont tous morts. Mais revenez demain… »

La plupart des crémations sont réalisées sur les deux étendues en escalier devant le fleuve. Seules les plus hautes castes (Brahmanes, Ksatriya, Vaisya) ont un espace réservé un peu en surplomb. Même jusqu’ici, les castes structurent la répartition des tâches.

Krishna, issu d’une caste « pure », ne pourrait par exemple faire le travail de ces hommes qui, à l’aide de longs bambous, entretiennent les foyers à longueur de journée :

« Ils viennent d’une caste spéciale : ce sont des doms. Brûler les cadavres est le travail auquel ils sont assignés. »

Faire cinq fois le tour du bûcher… sans se brûler les doigts.

Tout au bord du fleuve, une cabane vend des parpaings de pierre. Ils sont destinés aux personnes déjà sauvées, dont la dépouille n’a donc pas besoin d’être brûlée pour atteindre le salut : sadhus (ascètes hindous), enfants (considérés comme encore innocents), personnes décédées d’une morsure de cobra (signe de Shiva)…

Une barque attend pour emmener les cadavres ainsi lestés au milieu du fleuve et les y immerger.

Pour les autres, chaque crémation suivra le même rituel immuable. Au milieu des vaches qui s’abreuvent avant d’aller retourner errer autour des bûchers, le défunt est baigné pour la dernière fois dans le Gange.

rasage%2001.jpgLe maître de cérémonie, l’homme le plus âgé de la famille, est ensuite emmené se préparer à la suite du rituel. Il reviendra tête rasée et vêtu uniquement d’un « lungi », un grand drap blanc. Pendant ce temps le cadavre est disposé sur le bûcher.

Munis d’une gerbe de foin allumée par le feu du temple de Shiva, le maître de cérémonie et les proches doivent faire cinq fois le tour du bûcher avant de l’enflammer. Le spectacle de cette famille courant autour du bûcher pour finir ces rotations avant que la gerbe de foin ne brûle les mains a quelque chose de tragi-comique.

Le feu prend vite, consumant d’abord le linceul et les apparats, faisant apparaître la dépouille. La crémation durera ainsi entre deux et trois heures. L’ambiance qui règne sur le ghat n’a rien de l’austère et déprimante ambiance des enterrements. (danseuseorissihl9.jpg)

« Le coeur des femmes n’est pas assez fort » pour ne pas pleurer

Les hommes s’assoient sur les marches à contempler, à perdre leur regard dans le Gange, à discuter un peu, à prendre un thé… Aucune femme à l’horizon. « On ne peut pas pleurer ici, cela retient l’âme. Le cœur des femmes n’est pas assez fort pour cela, c’est pourquoi elles restent à la maison », élu de Krishna.

La crémation du proche de ce grand homme mince est finie. A l’aide de deux longs bambous, il saisit le morceau du corps qui n’a pas été consumé. Avançant précautionneusement, il s’applique à ne pas le faire tomber. Arrivé au bord du Gange, il lâche le reste de la dépouille dans les eaux du fleuve pour son dernier voyage.

Photo La danseuse d’Orissi

Il retourne ensuite près du lieu du bûcher, trace des mantras (formules sacrées) dans la terre avant de répandre du lait dessus. Puis, tourné vers les plates plaines de l’autre rive, il jette un pot d’eau par-dessus son épaule, sur le bûcher. Il s’en va, sans jeter de regard en arrière.

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Pour compléter cet article, à lire : La mort en Inde et Cycling India’s Wildest Highway: The Ganges.

anti

8 Replies to “Varanasi, spécialiste du bûcher funéraire depuis 3 500 ans”

  1. valentine

    Je me souviens d’un reportage télé, il y a quelques années, montrant ces intouchables, seuls habilités à entretenir le feu qui brûle en permanence et sert aux crémations.

    Au cours d’un voyage en Inde, je me suis arrêtée à Varanasi, étape marquante à tous points de vue. Tout transpire le sacré sur les bords du Gange. Et nul part autant que là, la vie côtoie la mort dans un tourbillon d’odeurs, de couleurs, de bruit assourdissant….Fascinant!

  2. Anna Galore

    Très bel article en effet. Rue89 donne souvent la parole à des étudiants en journalisme et c’est à la fois sympathique dans la démarche et remarquable dans le résultat.

    Un passage que j’ai trouvé particulièrement touchant et surréaliste à la fois : « il n’y a plus personne, ils sont tous morts. Mais revenez demain… »

    Permanence de l’impermanence, détachement devant l’inéluctable…

  3. Colors

    Varanasi, Bénarès la ville où l’on vient pour mourir ou se purifier dans le Gange. Il y a dans cette ville une telle magie , tant de croyance et de sacrée que j’ai programmé d’y retourner pour la troisième fois. Il y a la mort, mais aussi l’espoir d’une vie meilleure dans la réincarnation. C’est une ville unique qui vit pleinement.
    A Bénarès , un intouchable est très riche. Celui qui livre le bois …

  4. anti

    Coucou Colors 😉 J’ai pensé à tes voyages en illustrant cet article. Du coup, je me suis repassé tes photos avec délice !

    anti

  5. ramses

    La 1ère photo est saisissante. Ces fleuves de cendres descendant dans le Gange, impressionnants. Je n’arrive pas à me faire à l’idée que des vivants puissent s’immerger dans des eaux qui ont recueilli les morts… Mais je respecte leur culture.

  6. anti

    « Je n’arrive pas à me faire à l’idée que des vivants puissent s’immerger dans des eaux qui ont recueilli les morts… Mais je respecte leur culture. »

    Cette idée m’est aussi difficile à appréhender. Nico, qui est allé en Inde à plusieurs reprises pour son boulot, m’a raconté combien c’était dur de se promener en barque sur le Gange et je veux bien le croire !

    anti

  7. regine royo

    bonjour je rêve d’aller a Varanasi au bord du GANGE je trouve leur tradition , et leur croyance très pure , cordialement ,

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