Les aficionados sont des fossiles vivants selon le Dr Gouffrant

DSC00864pLors d’un débat organisé à Bordeaux il y a quelques mois par le CRAC Europe, le Dr Gouffrant, médecin des arènes et figure très connue du petit monde de l’Aficion, a exposé au public ses théories – présentées comme scientifiques – pour justifier l’existence même des aficionados et leur nature profonde.

Ce qu’il y a de bien  avec l’approche scientifique, c’est qu’elle permet d’avancer des hypothèses ou des théories et de les analyser à l’aide d’observations factuelles qui les confirment ou les infirment.

Que dit donc le Dr Gouffrant ? « Toute l’histoire de l’humanité est contenue dans nos gènes« . Il développe cet aphorisme puissant en précisant que si nous sommes ce que nous sommes, c’est à la suite de millions d’événements qui se sont succédé depuis l’apparition de l’être humain et l’ont fait évoluer du stade d’hominien brutal et arriéré à celui d’homme civilisé moderne. Et le docteur d’ajouter que, comme la tauromachie prend ses sources les plus ancestrales dans la préhistoire, rien de plus naturel à ce qu’il y ait de nos jours des aficionados qui adorent la corrida, c’est génétique, c’est le patrimoine de l’histoire de l’humanité, c’est plus fort que nous, on n’y peut rien.

J’en entends parmi vous qui vont aussitôt s’écrier que la corrida ne remonte qu’à quelques siècles et que l’évolution génétique n’est qu’une toute petite partie de ce qui fait un être humain puisqu’il va largement être modelé par ses expériences, son vécu et pas seulement ses gènes (qui, pour ceux qui ne le savent pas, ne contrôlent que son fonctionnement cellulaire, rien de plus). Autrement dit, tout cela ne tient pas debout une seconde. Mais ne soyons pas péremptoires : admettons un instant que tout ce qu’affirme le Dr Gouffrant est vrai et analysons objectivement ce qu’en sont les conséquences.

1 – Si la tauromachie est vraiment née il y a 20 000 ans – ce que le spécialiste incontesté de l’anthropologie qu’est André Viard a confirmé avec emphase sur son blog – et qu’il y a toujours de nos jours des gens pour aimer ça alors que l’immense majorité de l’humanité est depuis longtemps passée à autre chose, une conclusion s’impose : les aficionados sont d’authentiques fossiles vivants. Pour eux, l’évolution s’est arrêtée à l’âge des cavernes. Ou, au mieux, au bas Moyen-âge quand les premières courses de taureaux ont été organisées en 815 dans les Asturies. Ou, si leur héritage génétique est franco-français, au 19e siècle quand la corrida espagnole a été importée en France.

Dans tous les cas, cela fait d’eux des laissés-pour-compte de l’Histoire, voire des arriérés. Ils sont d’ailleurs en voie rapide de disparition puisque des corridas, il y en a de moins en moins, même en Espagne où leur nombre a été divisé par huit lors de ces trente dernières années. Sans parler du reste du monde qui doit avoir, aux yeux du Dr Gouffrant, un autre patrimoine génétique que celui des aficionados puisque 192 pays sur 200 ne pratiquent pas de corrida.

2 – Si vraiment les coutumes des hommes des cavernes forment une part de notre patrimoine génétique dont nous devons nous enorgueillir au point de continuer à les faire vivre de nos jours, pourquoi donc se limiter à la tauromachie ? Légalisons une fois pour toutes les plus anciennes et les plus répandues d’entre elles et célébrons aussi les meurtres et les viols, c’est bien plus universel. Ça, oui, c’est profondément ancré dans les humains et ça a quand même une autre gueule que de trucider des taureaux enfermés dans une arène. S’il y a bien une tradition ininterrompue dans l’histoire de l’humanité, c’est bien celle-là. Et elle n’est pas locale, elle, mais planétaire.

3 – Si des dessins rupestres montrant des hommes préhistoriques planter des lances dans des aurochs sont la preuve que la tauromachie remonte à la préhistoire, alors ceux qui montrent les mêmes hommes planter des lances dans des mammouths, des ours, des tigres, des antilopes ou d’autres hommes nous poussent de façon impérieuse – c’est resté dans nos gènes, rappelez-vous – à organiser des spectacles éléphantomachiques, oursomachiques, tigromachiques, antilopomachiques et humanomachiques.

Et, de fait, c’est ce qui s’est produit en partie. Ah le bon vieux temps où, dans les arènes, on faisait se battre jusqu’à la mort des gladiateurs entre eux ou face à des fauves (pas des herbivores, des vrais) ou qu’on jetait des chrétiens aux lions pour se marrer en famille (eh oui, les aficionados de l’époque pensaient déjà que les spectacles d’agonies et de mises à mort étaient formateurs pour l’enfant, c’est Ruffo qui va être content d’avoir une telle « caution » historique).

Seulement, voilà, tout cela a disparu dans les pays modernes. Pourquoi ? Parce qu’ils sont modernes, justement. Parce que c’est ça, la civilisation, le fait que les hommes progressent pour sortir de la barbarie.

Voici donc ce que nous apprennent les théories du bon Dr Gouffrant : les aficionados sont des vestiges d’un âge obscur et reculé où les plus vils instincts prévalaient. Ils sont, selon lui, restés à l’écart du développement de toute civilisation. Depuis la nuit des temps, ils ont arrêté d’évoluer. Autant de lucidité, venant de l’un d’entre eux, laisse sans voix.

En fait, finalement, il faut le reconnaître : on est d’accord avec lui.

5 Replies to “Les aficionados sont des fossiles vivants selon le Dr Gouffrant”

  1. Alberich

    Les théories du Dr. Gouffrant semblent effectivement un peu fumeuses. Néanmoins, on peut légitimement se poser la question : pourquoi y a-t-il autant de passions autour de la corrida ?

    D’une part, pourquoi y a-t-il autant de passion pour défendre un spectacle somme toute assez répétitif (six fois la même chose), au decorum un peu ridicule, et relativement peu valorisant des qualités physiques, intellectuelles ou d’habileté des humains participants (en comparaison à des spectacles sportifs, de cirque ou de cabaret). Pourquoi autant de volonté de faire passer une boucherie sordide pour la quintessence de l’art ?

    D’autre part, dans un océan de cruautés envers les animaux, pourquoi autant d’opposition à cette goutte d’eau qui ne concerne qu’une infime minorité d’animaux ? Il y a tellement d’animaux concernés par les horreurs de l’élevage et de l’abattage, pourquoi focaliser autant sur les corridas, qui, en proportion, sont une fraction négligeable ?

    En fait, les deux se renforcent mutuellement. C’est parce que la corrida est publiquement encensée et présentée comme le summum de la culture qu’elle déchaîne autant d’opposition. Dans l’histoire récente, l’opposition à la corrida en France a été dynamisée à deux reprises : d’abord dans les années 1990, avec la volonté de propager les corridas à des villes où elle ne se pratiquait plus ; ensuite, plus récemment, avec son classement au patrimoine culturel immatériel.

    En comparaison, les combats de coqs sont organisés dans la plus grande discrétion dans le nord et en outre-mer. Et ils n’ont pratiquement aucune opposition. Alors qu’il serait relativement facile de les attaquer (notamment au sujet des paris illégaux auxquels ils sont associés). Finalement, ce sont les idolâtres de la corrida qui font peser une menace sur les combats de coqs : ils génèrent une opposition qui, si elle réussit, entraînera l’abrogation de l’alinéa 7 concernant aussi bien les corridas que les combats de coqs.

  2. Anna Galore Post author

    Très intéressant (et nous sommes justement en ce moment à Roubaix, en pleine région « combats de coqs »…)

    Juste une remarque générale en réponse à pourquoi focaliser sur la corrida qui n’est effectivement qu’une goutte d’eau dans tout ce que subissent les animaux : parce que la corrida (comme les combats de coq) est un spectacle de torture. C’est une barbarie qui n’a pour seule « justification » que de faire un spectacle, donc fondamentalement du sadisme légal.
    On peut discuter de faire souffrir et tuer pour manger ou de faire souffrir et tuer pour soigner (nos positions sur ces sujets sont connues) mais RIEN ne justifie de faire souffrir et tuer pour s’amuser. Ceci concerne la corrida, les combats de coq, la chasse, les cirques avec animaux et quelques autres activités humaines totalement contraires à l’éthique la plus élémentaire.

  3. Alberich

    Comme les corridas, les combats de coqs sont de la violence, de la souffrance et de la mort données en spectacle. Pourtant, peu de monde s’en préoccupe. On ne peut pas dire que les pétitions, manifestations, et campagnes de sensibilisation des politiques abondent. Il y a généralement une indifférence bienveillante sur les paris d’argent illégaux reliés à ces combats. Les associations de défense des animaux s’indignent rarement de cette situation.

    Les combats de coqs assurent leur pérennité par leur discrétion. Tandis que la corrida cristallise les oppositions par son caractère voyant, tapageur, et parce qu’elle est encensée, sur de prétendues qualités artistiques, de façon outrancière et ridicule.

    Si, sous la pression des anticorridas, l’alinéa 7 est supprimé, cela entraînera de fait l’interdiction des combats de coqs. Cela ferait alors des remous, surtout outre-mer. Ce serait vécu comme une intrusion de la métropole dans des pratiques traditionnelles locales, auxquelles certains sont très attachés, et qui ne sont combattues par (pratiquement) personne.

  4. anti

    Excellent article une fois de plus ! Cela va absolument dans le sens de ce que je lisais cet après-midi : les propos de Badinter contre la peine de mort, qui pourraient tout à fait être repris pour la lutte contre la corrida. Je rêve à ce jour où, à l’assemblée, un nouveau ministre se lèvera pour tenir ces propos pour les taureaux :

    Demain, grâce à vous la justice française ne sera plus une justice qui tue. Demain, grâce à vous, il n’y aura plus, pour notre honte commune, d’exécutions furtives, à l’aube, sous le dais noir, dans les prisons françaises. Demain, les pages sanglantes de notre justice seront tournées.
    A cet instant plus qu’à aucun autre, j’ai le sentiment d’assumer mon ministère, au sens ancien, au sens noble, le plus noble qui soit, c’est-à-dire au sens de « service ». Demain, vous voterez l’abolition de la peine de mort. Législateur français, de tout mon cœur, je vous en remercie.

    http://www.peinedemort.org/document.php?choix=4738

  5. Anna Galore Post author

    Sublime discours de Robert Badinter… Je l’avais vu retransmis à la télé. J’en ai encore les poils qui se hérissent d’émotion.

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