L’Agence, Alexandre Donders -10-

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L’Agence

(Vous avez l’argent ? Nous avons les comédiens !)

***

Une pièce d’Alexandre DONDERS

Suite des messages précédents

MICHEL STARLIGHT : Bon, d’accord, je vois. Alors, dis-moi plutôt : tu montes, pour toi c’est gratuit !

BERNADETTE : Pardon ? … Mais même en payant, je… (Elle hésite encore un peu et lui dit : ) … Tu montes ? Pour vous, c’est gratuit…

MICHEL STARLIGHT, l’interrompant et contrefaisant la tête de De Niro dans «Taxi Driver» : C’est à moi que tu parles ? … C’est à moi que tu parles ? … Je vois personne d’autre ici…

BERNADETTE : Pourtant…

MICHEL STARLIGHT : Alors, c’est à moi que tu parles ! Ca le fait, hein ? Et encore, je suis pas en situation ! Je le fais mieux devant une douzaine de caméras ! Allez, détends-toi, et reprends ton souffle ! T’étais pas mal, d’ailleurs, t’as fait un peu de figuration quand t’étais gamine ? Je vais te dire un truc, ma grande, je ne crains aucun casting au monde ! Je les connais tous, et ils me mangent dans la main ! Tiens, tu connais Frédéric Daurelle ?

BERNADETTE : Oui, il a réalisé…

MICHEL STARLIGHT, lui coupant la parole : Il a surtout réalisé que son film, il ne pouvait pas le faire sans moi ! C’est pour ça qu’il m’a tout de suite vu dans le rôle du flic en uniforme à l’accueil, celui qui intervient vers la fin, juste avant le générique ! Tiens, demande-moi une impro au hasard… Par exemple, ma préférée, celle que j’ai le plus travaillée… Moi, je suis un voleur, et toi t’es les flics, je suis en train de casser une bijouterie, et toi tu braques un projo sur moi. (Il s’accroupit avant scène et fait mine de fracturer un rideau métallique, puis il se relève de façon ridicule, en levant les bras, aveuglé, se cache un peu le visage, et recule milieu de scène, en disant 🙂 Ok, c’est bon les gars, tirez pas ! Ça fait 30 ans que vous me cherchez, ce coup-ci j’ai perdu ! Vous avez du bol de me cueillir, vous aurez de l’avancement ! À cause de moi, Interpol et le KGB ont déposé le bilan, le GIGN s’est mis en arrêt maladie et la CIA est en liquidation. (Jacques, chemise en lambeaux et pistolet à la ceinture, sort des toilettes. Michel Starlight continue, si possible avec la voix française de Stallone : ) J’ai pas peur de vous ! J’ai peur de rien ni de personne ! C’est pas ma guerre, colonel ! (Il heurte Jacques qui se dirigeait vers son bureau, ce qui lui fait très peur : ) Ah ! Mais qu’est-ce qu’il fout là, celui-là ?

BERNADETTE : C’est rien, c’est Jacques.

MICHEL STARLIGHT : Ah, il m’a fait peur, le con ! Oh, comment il m’a fait peur ! (Il se met à ricaner d’un seul coup, puis à Bernadette et Jacques : ) Vous avez vu comment je vous joue la peur ?

BERNADETTE : C’est…

MICHEL STARLIGHT : …Très impressionnant ! (Il se dirige vers Jacques, assis à son bureau : ) Salut ! My name is Starlight… Michel Starlight, 10 millions d’entrées ! Si tu ne me connais pas, c’est que tu n’existes pas !

JACQUES, sans relever la tête : Non, mais… de toutes façons, j’existe pas…

(Michel Starlight lui tend la main, Jacques qui est en train de se préparer une nouvelle mixture alcoolisée ne répond pas. Bernadette lui fait d’énormes mimiques pour qu’il dise bonjour poliment. Jacques ne veut pas. Bernadette insiste. Jacques finit par se lever brusquement et dit : )

JACQUES : Bonjour ! (plusieurs fois à Michel Starlight, en lui secouant violemment la main. Puis, il se penche vers Bernadette, et lui crie : ) Ca va, comme ça ? (Il se rassoit.)

MICHEL STARLIGHT, à Bernadette : Tiens, les scènes d’amour… Classique ! (Il s’assoit sur le bras du fauteuil de Bernadette et lui passe la main dans les cheveux, elle est agacée.) Salut, toi ! Qu’est-ce que tu me caches sous tes sapes de bigote ? Tu sais que je vais tous les week-ends aux puces, j’adore les antiquités. Allez, lâche toi ! Je crois que tu connais pas bien toutes les possibilités de ton corps ! (Il devient entreprenant, Bernadette se débat.) T’as de beaux restes pour un débris. C’est ça, défends-toi, ma belle, cabre-toi bien ! Tu veux passer boire un verre chez moi ? J’habite rue du Ciel dans le 7ème !

BERNADETTE, parvenant enfin à se dégager : Enfin… Nous ne sommes pas seuls… Certes, je suis moi-même célibataire, et à la recherche de l’homme idéal que vous semblez incarner, mais…

MICHEL STARLIGHT, reprenant ses esprits : Ne t’inquiète pas, je ne fais l’amour qu’à de très belles femmes… (Bernadette lève les yeux au ciel. ) Tu t’y es cru, non ? Allez, redescends, c’est rien que du cinéma. Regarde-là, elle est pas mignonne, les yeux dans les étoiles ? Regarde, regarde ! Elle est dispo, là, offerte !

JACQUES : Offertes ou pas, les filles, ça revient toujours très cher… Les garçons, tu peux les avoir pour presque rien, et souvent, t’as pas besoin de les forcer. Tu veux un coup d’antigel ?

MICHEL STARLIGHT : T’es sérieux, là ?

JACQUES : Oui, mais j’ai pas de glaçons.

BERNADETTE : Nous sommes une agence de…

MICHEL STARLIGHT : Tiens ! La femme de l’Atlantide qui refait surface… Garde un moment la tête hors de l’eau et ouvre bien tes branchies, je vais te faire ma troisième impro, celle du mec dans le Titanic, au moment où il coule !

BERNADETTE : Mais puisque je vous dis qu’on a pas l’eau courante !

Michel Starlight se positionne face public, milieu de scène. Il prend une position assez ridicule, bras gauche tendu vers le ciel, main offerte, et main droite tendue vers le bas, semblant tenir quelque chose, sans doute le bastingage. Position qui fait rire Jacques.

JACQUES, content de lui : Eh, Starlight, t’as oublié ta balle et ta raquette !

BERNADETTE : Jacques !

Jacques rit grossièrement. Michel Starlight lui adresse un regard noir, puis reprend sa position. C’est le moment que choisit Jacques pour s’apercevoir de la présence de David. Il pousse un cri de stupéfaction, ce qui, encore une fois, sort Michel Starlight de sa concentration. Ce dernier reprend sa position initiale. Pendant ce temps, Bernadette et Jacques vont correspondre par signes discrets, signes dont on comprendra qu’ils signifient :

– JACQUES : C’est qui ?
– BERNADETTE : Qu’est-ce qu’il fait ?
– JACQUES : Il se réveille !
– BERNADETTE : Assomme-le !
– JACQUES : Pardon ?
– BERNADETTE : Assomme-le !
– JACQUES : Avec quoi ?
– BERNADETTE : Tiens, attrape ça !

Elle lance le brigadier. Jacques l’attrape et donne un coup sur la tête de David qui s’écroule en silence. Jacques relance le brigadier qui tombe au milieu de la scène avec un grand bruit.

MICHEL STARLIGHT : Qui a fait ça ?

BERNADETTE : C’est pas moi !

JACQUES : C’est elle !

MICHEL STARLIGHT, voyant le Brigadier : C’est quoi ça ? (Il le ramasse.) On peut pas vous laisser seuls deux minutes ! Il est à qui, ce bout de bois ?

JACQUES, montrant Bernadette du doigt : A moi. Elle me l’avait pris.

MICHEL STARLIGHT, donne le Brigadier à Jacques. Il recommence à chercher la position de son impro. Il se penche en avant, tend les bras en croix et crie : “I am the King of the World !” (Il salue le public. Et revient s’asseoir.) Alors, les comiques, vous avez apprécié ?

JACQUES : Je ne comprends pas, dans la version que j’ai vu, le gars, il dit : « Je suis le Roi du Monde.» Comment tu expliques ça ?

MICHEL STARLIGHT : Ca, c’est la magie du cinéma, papa ! Les mecs sont très forts ! Evidemment, le bateau ne coule qu’une fois, mais il y’a plusieurs équipes dessus, et plusieurs acteurs, chacun dit ce qu’il veut, après on voit ce qui se passe !

JACQUES : Comment ça m’aurait pris la tête d’être sur ce bateau à la con ! Y’a pas pire fin que de sombrer dans l’eau !

BERNADETTE : Chacun fait ce qu’il peut, Jacques. Tout le monde ne peut pas sombrer dans l’alcool.

JACQUES : Ouais, oh ! La mère La Morale, là ! Tu veux que je dise à tout le monde combien tu t’en envoies, des fingers ?

BERNADETTE : Sur un autre ton, Jacques ! Que je sache, je ne donne pas de cours de muscu, moi, si tu vois ce que je veux dire !

JACQUES : Toi, si tu m’as fait perdre un nouveau membre… !

MICHEL STARLIGHT, les regarde : Pardon, pardon, je m’immisce, n’est-ce pas, mais vous ne m’avez pas dit ce que vous en avez pensé ?

JACQUES : Pensé de quoi ?

Bernadette met les mains sur son visage, l’air accablée.

MICHEL STARLIGHT : Pensé de mon impro…

JACQUES : On en à rien pensé !

BERNADETTE : Jacques ! (Rattrapant le coup.) C’est énorme ! Non, j’ai vraiment eu l’impression d’être dans le bateau ! A un moment, j’ai même cru que l’agence coulait ! (Elle rit.) Et puis cette décontraction en anglais, ce que je vais vous dire va peut-être vous surprendre, mais il se dégage de vous un formidable élan Shakespearien !

MICHEL STARLIGHT : Non, ça ne me surprend pas !

BERNADETTE : Non, bien sûr, je plaisantais bien évidemment en disant que cela, dans une certaine mesure, pourrait éventuellement vous surprendre, c’était, comme qui dirait une façon de parler…

JACQUES, énervé : Et tu pourrais pas t’orienter maintenant, comme qui dirait, vers une façon de te taire ?

BERNADETTE, ignorant Jacques : À ce propos, Alain Naudin, que vous connaissez certainement, doit passer tout à l’heure…
Nous pourrions peut-être nous mettre autour d’une table tous les trois pour discuter de nos différents projets communs…

MICHEL STARLIGHT, la coupant : Ce mec est un has been !

BERNADETTE : Pardon ?

MICHEL STARLIGHT : Tu as très bien entendu !

BERNADETTE : Allons bon. Parlons-nous bien du même ?

MICHEL STARLIGHT : Tu en connais beaucoup, toi, des «Alain Naudin ? »

BERNADETTE : Maintenant que vous me le dites…

MICHEL STARLIGHT : C’est un écrivain pitoyable et un auteur dramatique !

JACQUES : Les deux en même temps ?

MICHEL STARLIGHT : Ce type est insignifiant. Il est transparent, tout chez lui transpire le néant. Jusqu’à son nom, d’ailleurs : A. NAUDIN !
Il ne faudrait pas que je le croise, celui-là, parce que…

Alain Naudin sort à ce moment là de la kitchenette en refermant sa ceinture. Il voit Michel Starlight. Les deux hommes se regardent.

à suivre

anti

One Reply to “L’Agence, Alexandre Donders -10-”

  1. ramses

    Michel Starlight, c’est Bernard Tapie en Zero Janvier ! Jamais à court de bonnes réparties bien grasses !

    Mais où est donc passée Peggy ?

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