17 octobre 1961, massacre d'état à Paris

17 octobre.jpgCela fait aujourd’hui 50 ans que l’État refuse de reconnaître les faits, pourtant solidement établis par les historiens au point d’être présentés dans les manuels scolaires.

Le 17 octobre 1961 s’est déroulé à Paris le massacre supervisé par l’État de plus de 300 manifestants algériens, sous la direction de Maurice Papon, préfet de police et, par ailleurs, fonctionnaire zélé de Pétain qui a joué un rôle actif dans la déportation des Juifs et la rafle du Vel d’Hiv mais a sauvé sa tête à la Libération en se ralliant tardivement à la résistance. Le pire, c’est qu’il n’a fait qu’obéir aux ordres de Michel Debré (premier ministre) et Roger Frey (ministre de l’intérieur), largement aussi coupables que lui dans le drame qui s’est joué.

Les faits se sont produits lors d’une manifestation organisée par la Fédération de France du F.L.N. en faveur de l’indépendance de l’Algérie. Le 5 octobre, le préfet de police Papon diffuse un communiqué de presse qui institue un couvre-feu pour les Nord-Africains. « Il est conseillé de la façon la plus pressante aux travailleurs algériens de s’abstenir de circuler la nuit dans les rues de Paris et de la banlieue parisienne, et plus particulièrement entre 20h30 et 5h30 du matin. » Officiellement, il s’agissait « de mettre un terme sans délai aux agissements criminels des terroristes algériens ».

17 octobre 3.jpgSur le plan intérieur, le couvre-feu est violemment critiqué pas seulement par les forces de gauche comme le parti communiste et la CGT, mais également par le MRP, et même par le commissaire Dides, ancien député poujadiste qui présente la mesure comme « une manifestation de racisme contraire à nos traditions ». Selon la constitution de 1958, les Algériens étaient des citoyens à part entière et ils ne devaient donc pas être l’objet de mesures discriminatoires. Les 30 députés algériens dénoncent eux-aussi ces « mesures vexatoires, discriminatoires, pour ne pas dire racistes ». C’est d’ailleurs parce que le couvre-feu est légalement indéfendable que, selon le communiqué de Papon, il est seulement conseillé de s’abstenir de circuler la nuit. La police a naturellement donné à ce « conseil » un caractère tout à fait impératif.

Pour protester contre ce couvre-feu, le FLN organise le 17 octobre en fin de journée une manifestation pacifique. Entre 20 000 et 30 000 Algériens, hommes, femmes et enfants, vêtus de l’habit du dimanche pour témoigner de leur volonté de dignité, commencent à se diriger vers les points de regroupements.

Parmi eux, une dizaine de milliers provient des bidonvilles de la banlieue ouest. Cette colonne est bloquée au pont de Neuilly par les forces de l’ordre. Les manifestants sont matraqués, arrêtés mais le pire n’est pas là. Durant toute la nuit, des centaines d’Algériens sont jetés à la Seine depuis les ponts de Neuilly, d’Argenteuil ou d’Asnières. Sur les Grands Boulevards, ce n’est pas mieux. Des coups de feu sont tirés sur la foule et de nombreux blessés sont à déplorer.

Environ 7 000 manifestants arrêtés sont envoyés au Palais des Sports de la porte de Versailles, puis au Stade de Coubertin. Les hôpitaux reçoivent des centaines de blessés y compris jusqu’au 21 octobre, ce qui montre que les violences policières ont persisté bien au-delà du 17. Les tabassages des personnes arrêtés sont systématiques et très violents. Beaucoup sont victimes de traumatismes crâniens.

Entre 200 et 400 morts sont à déplorer, la plupart retrouvés flottant dans la Seine. La version officielle du gouvernement est très différente. Selon le communiqué, la police a subi des tirs et a dû répliquer, faisant deux morts et plusieurs blessés chez les manifestants. Il est également fait état de l’hospitalisation d’une douzaine d’officiers de police et du prochain renvoi en Algérie de tous les manifestants arrêtés. C’est toujours la version en vigueur aujourd’hui.

17 octobre 4.jpgMalgré la censure sévère sur la presse à cette époque, plusieurs journaux tentent d’établir la vérité. L’Humanité, Libération, Le Figaro et Le Monde mettent en doute le communiqué officiel. Mais la presse populaire avec entre autres Le Parisien, L’Aurore et Paris-Match s’en tiennent à la version du gouvernement et une vaste majorité des Français va donc y croire.

Quelques mois plus tard, ce sera le massacre de militants communistes opposés à la guerre d’Algérie au métro Charonne, là encore sous la supervision de Maurice Papon. Petit à petit, les évènements du 17 octobre vont tomber dans l’oubli. Charles de Gaulle n’y fait même pas allusion dans ses mémoires.

C’est seulement en 1999 qu’ils vont ressurgir à la surface et que le grand public va en entendre vraiment parler. En février 1999, Maurice Papon intente une action en diffamation contre Jean-Luc Einaudi, un historien qui tente de faire connaître la vérité et la publie dans un article paru le 20 mai 1998, dans Le Monde, où il écrit : « Je persiste et signe. En octobre 1961, il y eut à Paris un massacre perpétré par des forces de l’ordre agissant sous les ordres de Maurice Papon ». L’ancien préfet de police perd son procès en mars 1999 et c’est avec ce dernier que le massacre du 17 octobre revient véritablement sur le devant de la scène médiatique.

17 octobre 2.jpgLe 17 octobre 2001, quarante ans jour pour jour après les faits, le maire de Paris, Bertrand Delanoë, inaugure la plaque commémorative sur le pont Saint-Michel. Aucun représentant de la droite municipale n’accepte de participer à la célébration.

Le jour même, l’après-midi, à l’Assemblée nationale, le secrétaire d’État à la Défense chargé des anciens combattants Jacques Floch évoqua notamment à propos des événements du 17 octobre « un couvre-feu appliqué sur la base du faciès ». La plupart des députés du RPR et de Démocratie libérale ont alors quitté l’Assemblée nationale, critiquant la « récupération politique » d’un tel événement. Aujourd’hui, seul le candidat François Hollande a fait savoir que s’il était élu, il reconnaitrait enfin officiellement ce crime d’État.

Les archives officielles étant devenues accessibles, un documentaire vient d’être réalisé par Yasmina Adi, « Ici on noie les algériens ».

De nombreux passages de cet article proviennent de Wikipedia
Photos couleurs tirées du film « Nuit Noire » d’Alain Tasma
Photos noir et blanc : (1) Elie Kagan/BDIC, (2) Fernand Parizot/AFP

10 Replies to “17 octobre 1961, massacre d'état à Paris”

  1. anti Post author

    Mon dieu quelle horreur ! Je n’avais jamais eu vent de cela. En 1999, je revenais tout juste d’Allemagne où j’avais passé les dernières années et en 61, je n’étais pas née… Il est impératif et plus que temps de rendre hommage à toutes ces victimes d’un pouvoir assassin !

    anti

  2. Anna Galore Post author

    Lors du procès de Papon, ce dernier avait tout juste admis qu’il y avait eu « quelques » autres victimes que les deux officiellement reconnues mais qu’il s’agissait de règlements de compte entre Algériens. Le cynisme à l’état pur…

    Papon a été inculpé pour crimes contre l’humanité en 1983 en raison du rôle qu’il a joué dans les rafles de Juifs sous l’Occupation. Il a été condamné en 1998 à une peine de 10 ans de réclusion criminelle, d’interdiction des droits civiques, civils et de famille pour complicité de crimes contre l’humanité par la cour d’assises. Il s’enfuit en Suisse en 1999 juste avant d’être incarcéré, est arrêté 48 h plus tard dans un hôtel helvétique et emprisonné à Fresnes, puis à la Santé. Il en ressort au bout de 3 ans seulement pour raisons médicales. Bien que déclaré « impotent et grabataire », il quitte la prison à pied en pleine forme. Il meurt en 2007 à l’âge de 96 ans.

  3. Netsah Post author

    J’avais déjà entendu parler vaguement des faits mais là je suis stupéfait… Comment est-ce possible, même à l’époque, que ce soit passer si rapidement dans l’oubli ? une manifestation de 20 000 personnes en plein Paris.. plus de 300 morts.. assassiner par les forces de Police.. Même si la xénophobie à l’époque est nettement plus présente, comment est-ce possible qu’on n’en ai pas plus dit ??
    Tu dis que c’était dans les manuels scolaires, mais ça doit être en fin de programme d’une année, un cours qu’on ne fait jamais donc. Car, même si c’est vrai que j’étais plus attentif en géographie qu’en histoire, je pense que je m’en souviendrais.. On devrait nous apprendre ça même en cours d’éducation civique (le fameux cours qui existe depuis une quinzaine d’années et qui est toujours bâclé par les professeurs alors qu’il pourrait enfin amener quelque chose d’intéressant pour les élèves : le débat et.. l’indignation).

  4. Anna Galore Post author

    Pour les manuels d’histoire, je n’ai aucune certitude, c’est juste ce qu’a dit Enaudi (l’historien français qui a le premier fait ressortir ce drame des oubliettes) sur France-Info ce matin. Mais effectivement, comme tu le suggères, peut-être que c’est lors de ces fameux cours d’éducation civique qui ne sont jamais traités correctement…

    Et puis, à l’époque, pas d’internet, pas de portables, pas (ou peu) de journalistes sur place, juste une seule chaîne de télé aux ordres du pouvoir (avec, de plus, très peu de téléviseurs par rapport à la population) et la presse muselée par la censure pour cause de guerre d’Algérie. Et puisque ce n’est pas dans le journal, c’est que ça n’existe pas.

    C’est très bien expliqué dans l’article de Wiki : sur le coup, c’est surtout la presse de gauche qui s’interroge mais sans avoir aucun début de preuve de quoi que ce soit. En février (quatre mois plus tard), c’est le massacre de Charonne et du coup, l’Huma ne cherche plus à savoir ce qui s’est passé le 17 octobre mais ne parle plus que de ce qui est arrivé aux manifestants communistes, alors cette vieille histoire pas claire d’Algériens qui ont fait une manif qui aurait parait-il mal tourné, plus personne n’y pense.

  5. Terrevive Post author

    Je me souviens, j’avais onze ans à l’époque. Je me revois dans la véranda ; mes parents écoutaient la radio et paraissaient très soucieux, échangeant des phrases sur un ton anxieux. Je captais des mots sans trop comprendre de quoi il s’agissait et je me suis sentie envahie de peur.

    Quand je lis ce qui s’est réellement passé je suis atterrée.

  6. Anna Galore Post author

    « Le 17 octobre 1961, des Algériens qui manifestaient pour le droit à l’indépendance ont été tués lors d’une sanglante répression », a déclaré François Hollande, selon un communiqué de l’Élysée. « La République reconnaît avec lucidité ces faits. Cinquante et un ans après cette tragédie, je rends hommage à la mémoire des victimes », a-t-il ajouté, à l’occasion du 51ème anniversaire de ces évènements.

  7. Amanda Post author

    Pourquoi ne pas aussi parler de tous les français massacrés en Algerie entre 1958 et 1961.
    Des fontionnaires , des femmes enceintes éventrées, des enfants,des ouvriers, il n’y avait pas que de gros colons il y en avait aussi des petits que l’on appelle chez nous paysans, une bonne partie d’entre- eux a aussi était massacrée
    Des membres de ma famille ont disparu en Algérie , en effet on a la mémoire courte !!!

  8. Anna Galore Post author

    « Pourquoi ne pas aussi parler de tous les français massacrés en Algerie entre 1958 et 1961 »

    Parce que cette note de quelques dizaines de lignes ne parle pas de la guerre d’Algérie mais d’une manifestation pacifique à Paris qui a viré au massacre couvert par l’État sous la direction d’un ancien collabo condamné pour complicité de crimes contre l’humanité. Vous remarquerez que je n’ai pas non plus parlé de la seconde guerre mondiale ou de la défaite de Vercingétorix à Alésia, sans qui rien de cela ne serait arrivé. Il faut bien s’arrêter quelque part et là, je n’ai décrit que ce qui s’est passé le 17 octobre 1961 à Paris.

    Cela dit, vous avez raison, il ne faut pas avoir la mémoire courte.

    Rappelons alors que si les Français ont subi (et ont commis) des atrocités pendant trois ans de 1958 à 1961 en Algérie, c’est parce qu’ils avaient jugé bon pendant les 132 ans qui avaient précédé d’envahir ce pays, de l’asservir, d’en torturer ses habitants, de violer les femmes, de traiter les Algériens comme une sous-espèce entièrement à leur service et tout cela non pas parce qu’ils représentaient une menace sur les frontières de notre pays mais parce que notre pays avait décidé de les envahir pour son simple bien-être personnel.

    Un extrait de Wikipedia : « La conquête de l’Algérie fut longue et particulièrement violente puisqu’elle s’est traduite par la disparition de près du tiers de la population algérienne en utilisant des méthodes telles que les enfumades, les massacres de prisonniers et de civils, les razzias, les destructions de cultures et de villages. L’armée française conquiert l’Algérie village après village, mais il faut préciser que la colonisation de l’Algérie est une colonie de peuplement. »

    Et pourquoi cette invasion commence-t-elle ? Parce que la France manquait de nourriture en 1794 et que le dey d’Alger lui a alors proposé de lui fournir « toutes facilités pour faire ses achats de blé, consentant aussi par la suite sous le Directoire un prêt d’argent sans intérêts ». Sauf que la dette ne sera jamais honorée par la France, qui finira par envahir l’Algérie pour ne plus avoir à la rembourser.

    Oui, vous avez raison : n’ayons pas la mémoire courte.

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