Contre les discriminations, l'auto-testing

discrim1.jpgOutil de la lutte contre les discriminations, le testing ou « test de situation » connaît aujourd’hui un remarquable essor en France. Voici ce qu’en dit l’Observatoire des Inégalités :

« Dispositif expérimental destiné à saisir la discrimination « sur le vif », le testing (appelé aussi test de situation, test de discrimination ou audit par couple) épouse étroitement la logique même des différences de traitement que le droit français s’attache, depuis quelques années, à réprimer avec une vigueur accrue.

Au plan pénal, une discrimination n’est en effet caractérisée que lorsque Pierre se voit refuser ce qu’on accorde à Paul, sur le fondement d’un critère dont la prise en compte est interdite par la loi. Cette donnée constitutive de la situation de discrimination s’exprime spontanément dans une phrase comme « j’aurais obtenu ce poste si j’avais été un homme et non une femme… ».

Mais est-ce bien parce que je suis une femme que j’ai été écartée ? Aurais-je obtenu le poste si j’avais été plus diplômée, ou plus expérimentée ? Le critère de sexe a-t-il joué, dans la décision du recruteur, le rôle déterminant qui permet de caractériser son choix comme illégal ? Sauf dans le cas où l’employeur indique qu’il a délibérément fondé sa décision sur le critère du sexe, il est impossible de répondre avec certitude à cette question. Les caractéristiques individuelles des postulants diffèrent sur trop de points ; la décision d’embauche les combine de manière trop complexe pour qu’il soit possible d’isoler le facteur qui a emporté la décision. C’est pourtant bien ce que la loi exige. »

Quand les entreprises pratiquent l’auto-testing

Au-delà de l’aspect juridique, qui, on le voit, n’est pas évident à démontrer de façon certaine, le vrai progrès vient du fait qu’un nombre croissant d’entreprises pratiquent le testing sur elles-mêmes afin de s’améliorer volontairement. Le but est de relever tout ce qui semble anormal dans l’attitude des personnels au quotidien et de mettre ensuite en application des corrections à toutes les dérives relevées.

Schweitzer.jpgDans une interview donnée au journal en ligne L’Alsace il y a quelques jours, Louis Schweitzer, actuel président de la HALDE (Haute Autorité de Lutte contre les Discriminations et pour l’Égalité), dresse un tableau de la situation actuelle :

« Nous avons développé […] des partenariats avec 700 grands décideurs. Nous nous assurons par exemple que, dans les collectivités locales, les services sont accessibles aux personnes handicapées, ou que leurs logements sociaux sont attribués dans des conditions de transparence et sans discrimination. Des correspondants vérifient la politique de 250 grandes entreprises en matière d’embauche. 47 d’entre elles, dont PSA Peugeot-Citroën, pratiquent déjà l’auto-testing contre les attitudes ou les propos discriminatoires.

La première cause des réclamations – 28,53 % — sont les discriminations liées à l’origine. Est-on assez armé pour y faire face ?

On a de bonnes lois, le problème est de les faire appliquer. La Halde est une force au service du droit : plus de la moitié des décisions de notre collège (212) sont des interventions devant tribunaux. Ils nous donnent raison dans 79 % des cas. Airbus a par exemple été condamné pour discrimination à l’embauche, à verser 10 000 euros à un intérimaire. Nous agissons au civil par souci d’efficacité, car au pénal, on doit prouver l’intention discriminatoire, or beaucoup de discriminations ne sont pas volontaires. »

Rendre public les résultats d’un auto-testing, le cas exemplaire d’Adecco

Adecco a révélé aujourd’hui les résultats de son auto-testing sur le recrutement. Il a été réalisé par un organisme indépendant, qui a mené 427 tests en 2009 dans la plupart des services et filiales du groupe. Les tests, effectués dans la France entière, ont consisté à faire postuler à un même emploi deux candidats présentant le même profil professionnel, mais se distinguant sur un point (l’origine, le sexe ou l’âge).

20 Minutes publie une interview extrêmement intéressante de François Davy, président d’Adecco, qui analyse les résultats de cet audit. Nous la reproduisons ci-dessous pour contribuer à sa visibilité :

francois davy adecco.jpgPourquoi révélez-vous aujourd’hui les résultats de votre premier auto-testing ?

Nous avons décidé de le faire dès le début, car nous estimons que la lutte contre les discriminations est un sujet citoyen auquel le groupe Adecco, en tant qu’acteur clé de l’emploi, se devait de participer. Nous voulons également montrer que le risque zéro en matière de discrimination n’existe pas. Enfin, le fait de révéler nos résultats fait partie de la thérapie pour nous améliorer. On ne devient bon que lorsqu’on s’évalue.

Quels sont les résultats positifs de ce testing ?

Il montre que 80% des personnes qui nous envoient une candidature reçoivent une réponse de la part de nos recruteurs. Par ailleurs, aucun écart de traitement n’est constaté entre les candidatures féminines et les candidatures masculines. Seule constatation : les stéréotypes sur les métiers sont tenaces, car les hommes sont privilégiés pour les professions estampillées comme « masculines », l’inverse se vérifiant aussi.

Quels en sont les points négatifs ?

Les tests montrent que 34 % des candidatures de femmes de 45 ans sont sélectionnées par les recruteurs, contre 17% de celles émanant de femmes de 25 ans. Probablement par anticipation des effets de la grossesse des jeunes femmes sur leur carrière. Par ailleurs, après l’envoi de candidatures comparables, 31 % des postulants d’origine «hexagonale» sont contactés par les recruteurs, contre 17% des candidats d’origine maghrébine. Ce déséquilibre ne concerne pas l’intérim, mais il est manifeste pour les postes cadres et les emplois en contact avec le public (restauration, vente…). Sur ce point, nous avons donc des progrès à accomplir.

Comment expliquez-vous ces différences de traitement ?

Je pense que la lutte contre les discriminations dans l’intérim a bien porté ­­ ses fruits. Mais pour les postes cadres, les clichés ont la vie dure.

Quelles mesures comptez-vous prendre ?

Nous avons informé nos représentants du personnel, ainsi que nos managers, et nous allons le faire pour tout le personnel de nos agences. Par ailleurs, depuis le 8 mars, nous avons mis en place un module de formation e-learning obligatoire pour tous nos salariés intitulé «Faire face aux discriminations».

Allez-vous renouveler l’opération ?

Bien sûr. Il ne s’agit pas de faire un coup médiatique, mais bien d’inscrire notre action dans la durée. Un nouveau testing sera donc effectué en 2010. C’est le meilleur moyen de constater les progrès effectués ou non.

(Propos recueillis par Delphine Bancaud)

Parmi les 47 entreprises dont la Halde indique qu’elles pratiquent l’auto-testing, Adecco est la seule avec Casino à avoir joué la carte de la transparence en rendant les résultats publics, bien qu’ils soient loin d’être bons.

Photos :
1- Affiche créée par Imagine’, Amsterdam
2- Louis Schweitzer, président de la Halde (WITT / SIPA)
3- François Davy, président d’Adecco (DR)

2 Replies to “Contre les discriminations, l'auto-testing”

  1. anti Post author

    Il est vrai que la question de la discrimination est importante à l’heure actuelle et pas du tout évidente à déterminer dans un certain nombre de cas.

    Quand je lis « Les tests montrent que 34 % des candidatures de femmes de 45 ans sont sélectionnées par les recruteurs, contre 17% de celles émanant de femmes de 25 ans. Probablement par anticipation des effets de la grossesse des jeunes femmes sur leur carrière » je pense que la raison peut venir d’autre chose, ne serait-ce que par exemple le fait que si un employeur à le choix entre une jeune femme fraîchement sortie de l’école et une qui a 20 ans d’expérience, ça joue peut-être dans la balance…

    Cependant, la discrimination existe on est d’accord. Je me souviens quand j’étais encore toute jeunette, j’avais un entretien avec Madame Elisabeth de Portzamparc (architecte et épouse du célèbre architecte Christian de Portzamparc), à peine entrée « Quoi ! Vous avez des enfants ! Ah ! Mais c’est pas possible ça ! J’avais dit à ma secrétaire pas de mère de famille bon sang ! » Bref, j’étais repartie en faisant profil bas, complètement désarçonnée par cette attitude que je n’ai pas pensé à dénoncer à l’époque. Faut reconnaître qu’on est bien sonné dans ce cas là. Et puis, il y avait les « trop jeune », « pas assez d’expérience », « trop ceci », pas assez cela.

    L’initiative de François Davy est remarquable notamment parce qu’il parle tout simplement, de ce fait avéré. Reconnaître un problème, c’est déjà aller vers la solution.

    Pensées aussi pour toutes les autres formes de discriminations, partout dans le monde, que nous dénonçons régulièrement sur ce blog.

    anti

  2. ramses Post author

    Je ne pense pas que les mentalités aient beaucoup évolué en matière de discrimination à l’embauche… Simplement, les Entreprises motivent plus subtilement les refus, pour ne pas s’exposer à des sanctions…

    C’est comme les CV anonymes… Ça augmente le taux des premiers entretiens, mais pas forcément celui des embauches…

    D’ailleurs, en Amour, c’est pareil… Les jeunes beaux ont plus de succès que les vieux moches ! C’est pas juste !

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