L'apprenti et le sage

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Avec huit personnes au lieu de quatre dans la maison, pas de place pour l’ennui. Les trois garçons – oui, Enzo compris – se sont payés une grande séance de jeux vidéo et leurs visages n’inspiraient pas la tristesse. En milieu d’après-midi, mes parents, Anti et moi avons fait une virée pour prendre l’air, direction Aigues-Mortes. Nous sommes tombés sur le jour de la fête locale. Il y avait des manèges et autres attractions un peu partout sur l’avant des murailles. A l’arrière se tenait une animation dans un enclos entouré de gradins. Probablement des jeux avec des taureaux, mais au moins pacifiques, ceux-là.

Nous avons marché vers la place principale. De nombreuses personnes sérieusement imbibées d’alcools divers commençaient à partir vers d’autres lieux. Aussi dingue que cela puisse paraître, on pouvait sentir un nuage de pastis dans leur sillage. Après avoir pris un thé, nous sommes allés vers une galerie toute proche voir une boutique qu’on aime beaucoup, celle de Jean-Michel Testard, spécialiste de tapis orientaux mais aussi d’autres objets venus d’Asie. Nous avons eu de la chance, il était là. Je l’ai salué – nous nous sommes rencontrés à plusieurs reprises dans le passé – et nous avons commencé à bavarder.

Je lui ai demandé s’il peignait toujours – ses tableaux représentent souvent des scènes orientales croquées lors de ses voyages. C’est amusant comme une question banale peut ouvrir une porte qui laisse voir sur des trésors insoupçonnés.

– Non, je ne peins plus trop en ce moment. J’ai posé mes pinceaux pour me mettre à écrire.

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Il nous montre des feuillets griffonnés posés sur une table basse. Une fiction ? Non, des souvenirs de sa jeunesse. Et quels souvenirs !

Il nous raconte que lorsqu’il avait quinze ans, il a suivi les enseignements d’un maître très âgé en Afghanistan, qui lui a appris non seulement à tisser des tapis mais à comprendre la vie. Son manuscrit a d’ailleurs pour titre Apprentissage et il y voit les mots « apprends-tissage ». Car ce que son maître lui a appris, c’est que le tissage a été le premier métier mis au point par les hommes qui nécessite une transmission, un « apprends-tissage ».

Et il énumère tous les mots de notre vocabulaire qui, selon lui, gardent encore la trace de la place ancestrale du tisserand : on parle de tissu social, de trame d’un discours, de tisser des liens et donc, d’apprentissage pour tout ce qui est transmission des connaissances. Il nous raconte aussi le langage secret des motifs des tapis et les histoires universelles qui sont racontées par des dessins apparus il y a dix mille ans.

Son maître lui a aussi fait comprendre ce qu’est l’équilibre en l’emmenant voir un aigle voler et en lui disant de fermer les yeux pour mieux le voir voler. Pendant que le jeune apprenti imaginait l’oiseau, le maître lui disait : « Regarde bien, maintenant je vais lui enlever juste une toute petite plume et voilà, il n’arrive plus à voler droit et il tombe. Tu vois, l’équilibre, il suffit de très peu pour le perdre ».

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Il y a quelques mois, Jean-Michel Testard a eu une tumeur au cerveau qui l’a rendu aveugle en grossissant. Il s’est alors rappelé des leçons de vie de son maître et a décidé de prendre cette épreuve avec détachement. Son médecin a cru qu’il s’agissait d’inconscience du danger qu’il était en train d’affronter mais ce n’était pas le cas. Jean-Michel était parfaitement conscient de cela. Finalement, il a pu être opéré, a récupéré sa vue et a seulement perdu le bon fonctionnement de son oreille interne. Désormais, s’il ferme les yeux alors qu’il est debout, il titube. Il ne conserve son équilibre que grâce aux points de repère qu’il fixe de son regard.

Il raconte tout cela avec bonhommie. Sa joie de vivre est évidente. Et tous les jours il remercie mentalement son maître pour tout ce qu’il lui a appris et il mesure le chemin qu’il a parcouru, d’apprenti à sage.

Très belle journée à vous

3 Replies to “L'apprenti et le sage”

  1. Terrevive Post author

    Jolies couleurs, jolis jeux de mots.

    Ce magasin est un lieu de pensées et on a envie de s’asseoir dans le fauteuil qui nous tend les bras pour se laisser porter et ressentir.

  2. anti Post author

    Ce week-end est définitivement placé sous le signe de l’enchantement. Cette rencontre avec Michel en fait partie intégrante. J’ai pensé aussi à toi Kathy quand il racontait sa science du tissage et cette fabuleuse histoire d’apprentissage au fin fond de l’Afghanistan… Soupir de bonheur… ah ! oui ! il faut quand même aller faire à manger là 😉

    A un petit peu plus tard,

    anti

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