Vandana Shiva, la victoire des Neuf Graines

J’ai lu, que dis-je, j’ai dévoré le weekend dernier un livre passionnant de Lionel Astruc préfacé par José Bové. Il retrace les combats et les victoires de Vandana Shiva contre le pillage de la biodiversité, en particulier dans son pays, l’Inde.

vandana shiva couverture.jpgVandana Shiva est née en 1952 dans l’Uttar Pradesh, au nord de l’Inde, dans les contreforts de l’Himalaya. Son père, initialement ingénieur dans l’armée avec salaire confortable, avait tout plaqué pour devenir un modeste garde-forestier par amour pour sa mère, femme cultivée ayant choisi de devenir agricultrice par conviction philosophique. Très influencée par l’exemple de Gandhi qui filait son propre coton pour se vêtir, elle donnait à ceux qui s’étonnaient de son choix la même réponse que lui : « Pourquoi d’autres devraient-ils le faire à ma place? ».

Le grand-père de Vandana a succombé à une grève de la faim lorsqu’elle avait 4 ans. Pour lui, l’instruction était la base de l’émancipation et il refusait l’idée dominante à cette époque interdisant aux femmes de suivre des études. Avec l’appui de tout son village, il avait alors cessé de se nourrir et de boire pour obtenir l’ouverture d’une école pour filles là où il vivait. Les dignitaires cédèrent, malheureusement trop tard pour qu’il puisse voir sa victoire. Aujourd’hui, l’école Chotty Ram existe toujours et accueille 3000 jeunes filles.

L’impasse du nucléaire

Vandana Shiva, profondément motivée par ces influences fortes, se lança dans des études brillantes et apprit la relativité et la mécanique quantique avec un professeur particulier pendant qu’elle suivait les cours de son collège. Arrivée à l’âge de 20 ans, elle était considérée comme une physicienne de haut niveau et grâce à l’obtention d’une bourse prestigieuse, devint au début des années 70 la seule femme employée à la Commission de l’énergie atomique indienne, aux côtés de l’élite du domaine. Jusqu’au jour où sa sœur Mira, qui s’était lancée dans la médecine, lui posa la question : « Sais-tu quels risques tu cours avec ce travail ? Sais-tu par exemple à quel niveau de radiations tu t’exposes ? Sais-tu que tu peux un jour accoucher d’enfants déformés si tu continues ? »

Avec une sincérité totale, Vandana alla directement poser ces questions à ses collègues, qui lui répondirent des banalités. Elle raconte encore aujourd’hui : « Je ne supporte pas que l’on fasse obstruction au progrès de la connaissance ! J’ai été profondément choquée mais aussi effrayée de voir que cette discipline en laquelle je croyais tant pouvait être à ce point instrumentalisée. » Elle claque la porte de la Commission et quitte l’Inde pour le Canada, où elle se lance dans des études théoriques sur la mécanique quantique.

DSCN5687.jpgEnlacer les arbres

Elle avait entretemps rejoint un mouvement de femmes indiennes nommé Chipko, ce qui signifie « enlacer les arbres ». Ce mouvement s’était créer spontanément en 1973 dans certains villages pour s’opposer à la déforestation de leurs terres menée par certaines firmes. Les femmes encerclaient de leurs bras les arbres par groupes de trois, malgré les intimidations et parfois les coups.

C’est de cette époque que provient une conviction profonde de Vandana : à ses yeux, les seuls « experts reconnus » de la Nature sont les paysans et en particulier les femmes qui connaissent chaque graine, chaque plante, chaque arbre, chaque écosystème dans tous leurs détails. En Inde, les femmes travaillent trois fois plus longtemps que les hommes dans une ferme et elles sont, là-bas comme ailleurs, les plus conscientes des nécessités fondamentales de la vie.

Ainsi est né le concept d’écoféminisme, central au reste de son action.

A peine sa thèse en mécanique quantique soutenue dans l’Ontario en 1978, elle revient en Inde pour agir au quotidien aux côtés de Chipko. Son premier succès est remporté contre une industrie minière qui détruit des collines et pollue gravement l’eau près de son village natal. Elle réunit tellement de données démontrant la nocivité des carrières en question qu’elle parvient à traîner l’entreprise minière en justice devant le Cour suprême de l’Inde et à la faire condamner. Le verdict stipule que « quand le commerce détruit la vie, alors ce commerce doit cesser et la vie continuer. »

Les neuf graines

En 1987, elle assiste à un séminaire dont les médias n’ont jamais parlé. Il se tient à Bogève, village minuscule de Haute-Savoie. Il rassemble des représentants d’entreprises, d’associations, ainsi que des activistes et des scientifiques venus d’une vingtaine de pays, qui s’intéressent à l’impact des biotechnologies sur la santé et l’environnement dans le tiers-monde. Il s’agit du premier de tous les débats mondiaux sur les organismes génétiquement modifiés et la question des brevets sur le vivant.

DSCN5688.jpgCe qui va lancer le vrai combat de Vandana Shiva, ce ne sont pas les déclarations des activistes mais des industriels présents. Ces derniers évoquent leurs plans pour développer les OGM et prendre le contrôle des semences par le dépôt massif de brevets. Ils ajoutent qu’une concentration de leurs entreprises sera indispensable pour qu’il ne reste que quelques multinationales hyper-puissantes. C’est exactement ce qui s’est produit dans les années qui ont suivi, avec entre autres le rachat de de presque tous les semenciers de la planète par Monsanto.

Dans l’avion qui la ramène en Inde, Vandana essaie de résumer les choses avec un graphique. Elle voit dans l’histoire récente de l’humanité trois révolutions majeures : la révolution industrielle, la révolution chimique et celle qu’elle entrevoit, la révolution des graines. Elle va poser les bases de son combat en ces termes : de quel droit allait-on empêcher les paysans de reproduire eux-mêmes leurs semences ? Et pourquoi devraient-ils payer ce que la Terre leur offre gratuitement ?

Dans les mois et les années qui suivent, elle va créer et donner de l’ampleur une association qu’elle nomme Navdanya, ce qui signifie en hindi les neuf graines mais aussi le don renouvelé. Ce nom fait référence à une coutume paysanne. Pour savoir quelles semences planter pour la saison à venir, ils plantent neuf graines dans un pot le premier jour de la saison et regardent celles qui se développent le mieux au bout de neuf jours.

Le but de Navdanya va être de collecter, protéger et reproduire les multiples semences anciennes connues de tout temps par les paysans et de faciliter leur diffusion à qui en veut, plutôt que de recourir aux semences industrielles de bien moindre qualité et qui, de plus, rendraient les paysans esclaves des multinationales. Ils sont aujourd’hui plus de 500 000 à bénéficier en Inde de ce système d’échange basé sur le partage.

DSCN5684.jpgLes autres combats

Vandana Shiva est rapidement devenue l’une des altermondialistes les plus connues, aux côtés de José Bové, Teddy Goldsmith (créateur en 1969 de la revue The Ecologist), Maude Barlow qui lutte depuis 1990 sur la préservation de l’eau et le rôle central de la femme, et Jerry Mander, auteur de nombreux livres contre la croissance depuis les années 70. Ils ont mené plusieurs combats ensemble, faisant plier Coca-Cola qui implantait des usines polluantes en Inde ou manifestant contre l’OMC à Seattle en 1999.

Le livre sur Vandana raconte bien d’autres histoires, plus passionnantes et porteuses d’espoir les unes que les autres, en particulier sur le rôle de Darwan, jeune assistant de Vandana devenu son plus proche second grâce à ses réussites remarquables auprès de paysans à qui il a redonné non seulement leur savoir ancestral mais leur dignité, après une vague de suicides effarante dans leurs rangs (40 000 en 20 ans), liée à la diffusion de semences industrielles et de pesticides qui finissaient par ruiner des familles par dizaines de milliers.

Je vous en recommande la lecture avec la plus grande force.

Très belle journée à vous

DSCN5686.jpgVandana Shiva, victoires d’une Indienne contre le pillage de la biodiversité
Un livre de Lionel Astruc, préfacé par José Bové.
Editions Terre Vivante www.terrevivante.org
Prix : 18 €, 190 pages
ISBN 978-2-36098-043-7

Vandana Shiva sur Twitter : http://twitter.com/#!/drvandanashiva
Le site de Navdanya : http://www.navdanya.org

Les photos qui illustrent cet article sont tirées du livre.

5 Replies to “Vandana Shiva, la victoire des Neuf Graines”

  1. anti Post author

    J’en ai les larmes aux yeux de lire ces lignes. Je revois la détermination et le visage souriant de Vandana Shiva qui s’exprime avec tellement de force dans le documentaire de Colinne Serreau « Solutions locales pour un désordre global » [existe aussi en livre chez Actes Sud].

    Que c’est bon de prendre conscience qu’au-delà des informations catastrophiques que véhiculent les médias, il y a des personnes, partout dans le monde, qui agissent pour la préservation de la vie, avec tout simplement du bon sens.

    Un grand merci Anna pour cet article.

    Une petite anecdote en plus : c’est grâce au blog, donc grâce à nous tous lecteurs et auteurs que nous avons eu vent de ce livre. En effet, le blog étant très visité, nous faisons partie des listes de diffusion des attachés de presse qui nous contactent régulièrement pour parler de tel ou tel ouvrage.

    anti, tous ensemble pour un monde meilleur.

  2. terrevive Post author

    Les femmes en Inde, sont porteuses de sagesse.

    « ils plantent neuf graines dans un pot le premier jour de la saison et regardent celles qui se développent le mieux au bout de neuf jours. » : on retrouve la symbolique du « neuf ».

    Bel article !

  3. Anna Galore Post author

    A propos de symbolique, on apprend au passage dans le livre que Vandana Shiva porte un nom prédestiné. En effet, Vandana signifie (de mémoire) « méditation » ou « état méditatif » et Shiva est la divinité qui, loin de son image la plus connue de puissance purement destructrice, est celle de la destruction certes mais suivie du renouveau comme dans toutes les traditions anciennes. On l’appelle d’ailleurs parfois la divinité des graines, image parfaite du cycle de la vie.

    On ne peut mieux tomber !

  4. valentine Post author

    Magnifique parcours d’une femme pleine de courage qui montre que c’est possible. Il reste tout à « désapprendre » pour retrouver enfin le bon sens dont tu parles Anti représenté ici par les neufs graines. Quand on pense qu’à l’heure actuelle les petits producteurs qui utilisent leurs propres semences doivent payer des amendes…….

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