La jeune fille et son fou

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Marcel Moreau est un auteur fou. Fou du Verbe, fou de la Femme, fou de l’ivresse de la conjugaison des deux. Un fou d’Amour.

Marcel Moreau n’écrit pas. Il écorche. Il fait saigner la page, il plante le mot, il déchire le silence de la virginité.

De lui, j’ai plusieurs ouvrages tous plus saisissants les uns que les autres. Il en est un intitulé « La jeune fille et son fou » qu’il écrit en parlant d’une jeune femme. Je l’ai dévoré, digéré, et fais mien, reprenant ses mots du point de vue de la jeune femme…

Extrait :

La jeune fille et son fou.

Seconde voix.

Je suis cette jeune fille, tout juste bout de femme qui fait effectivement fi de tes ans. Ecoute mon Amour, écoute mon amour te retenir de te ternir.

N’oublie pas, mon Amour, ce jour où, mon plaisir dans le tien, tu échangeais enfin tes mots et tes maux graves contre mes mots rieurs. – Lueur – On l’entendit cette onomatopée, celle qui ne traduisait rien de plus que notre excitation réciproque , qui ne voulait rien dire sauf l’essentiel : nos corps, après nos esprits, quelque part, étaient en résonance. Finies l’absence et la distance, ils rendaient le même son, amoureusement le même.

Je suis belle, je le sais. Dans tes yeux, à ton bras je suis radieuse, chaude comme la braise. Désirable et désirée, tu écrivais comme j’aime, pas vraiment si noir, pas tellement terminal. Tu signais juste la mort d’une partie de ta vie et je suis venue, imprévue, presque incongrue. J’ai réuni nos visages, nos paroles et nos souffles. Je t’ai dit « je t’aime », répétant après toi, mon Amour, mon âme ourse, en le rafraîchissant , ton vieil aveu de fou.

Parfois, de mes yeux qui t’y mènent, de ma voix qui t’y guide, tu passes en mon enfance blessée des moments sans lumière. Je ne fus pas heureuse, tu l’as deviné, à l’âge des premiers bals et des rêves de royauté. Oubliée, perdue, fuite, vaincue ma féminité. Je sais que mes puériles ténèbres ont quelques chose à apprendre à ta science de la nuit. Aujourd’hui, comme si la joie était enfin possible, oh oui, je fais de ton corps lourd mon grand jouet. Je t’objetise, te magnétise, te manipule jusqu’à ce que, pour mon plus grand bonheur, comme une offrande divine que le ciel me ferait, tu retombes de plaisir. J’aime tant ton abandon mon fou, j’aime ton extase silencieuse. Ton silence est mon évidence tout comme mon insolence est la tienne.

Je me souviens cette gare, ce quai, ta rencontre, ma révélation. Je me souviens de ce jour où mon bras à ton bras, nous marchions dans les rues de Paris comme on monte au Désir. Je te suivais d’un même pas, d’un même serment, d’un même tremblement de la chair, j’attendais, je mourrais d’attendre l’instant ou nous rebrousserions chemin, l’instant où nous allions nous aimer, vite, sans trop de détours, comme en adolescence. J’étais frémissante, ardente.

Peu à peu, peau à peau, nous faisons des projets de jumelante ferveur. Sans remords aucun, presque avec arrogance, nous mêlons nos âge dans la coupe lubrique, ludique aussi, puis dans le romantique. Tu dis ne plus avoir vaste avenir, mon Amour. Je suis immense promesse… A nous dire l’amour, en vue de nous le faire comme on passe à l’acte quand le verbe ne suffit plus, sais-tu, le temps s’immobilise entre nos corps joints. Et même, s’y englue…

Je suis ton accent d’éternité. Ma verte déraison répandue sur ton ventre et la tienne, automnale, louant du brusque été la fleur déraisonnable.

Je ne maudis pas ces autres femmes que tu as, avant moi, tant aimées. Je sens chez toi, en toi, qui émane le respect que tu leur portes, leur demandant, presque implorant, de permettre à l’homme que tu es devenu, toi que tes passions plus d’une fois abattirent, foudroyé, à leurs pieds, de serrer contre toi celle par qui la passion est une fête : Moi, fendant l’orage en deux, une moitié pour en rire, une moitié pour en jouir. Je le vois, sais-tu, qu’il est des nuits où mon espièglerie te met en dur désir de moi plus étonnamment que ne le fait la luxure. J’aime quand tu me soulèves, légère, libre, belle, épanouie, ravie, quand tu me reposes brûlante… C’est assez pour que de mon corps tu tires un chant de gloire. J’aime qu’aux images corpulentes, tu substitues, ravi toi aussi, mes blasons de fillette, leurs jeux inattendus, leurs façons entrouvertes, à peine dévoilées déjà obscènes, sans aucun voile de timidité, révélant mon fondement détrempé.

Entre tes livres et mes lèvres, il y a comme une histoire qui ne demande qu’à naître, une impudeur qui ne demande qu’à croître. J’en sais long déjà, sur ce que tu tais. Et ce que tu tais, mon Amour, ce vers quoi tu tends, je le sais bien, c’est le mystère sans mot qui donne à nos élans le visage du désordre et à notre amour celui de la beauté.

Tout ce qui bouge en moi, en toi, en nous, nous prépare à un art dont nous ignorons encore tout, un art qu’il nous reste encore à découvrir, à sculpter. Nous nous passons si bien des mots qui deviennent alors des musiques, des tableaux , aquarelles en bouche, à moins que ce ne soient les germes d’une poésie sauvage, non savante, béate, duveteuse, cramoisie, dont la langue puiserait dans nos entrailles ses rimes incongrues. Nous nous disons des choses que seule l’élite des extravagants pourrait entendre si elle nous écoutait. Elle ne nous écoute pas. Même elle, nous la tenons à distance de nos ouvrages obscures et grandissants. Quand nous sommes deux, qu’advient-il donc de nos frottements l’un contre l’autre ? Un désir certes, mais encore ? Tu l’ignores, mon Amour… Et pourtant… Pourtant c’est comme un livre que tu vois s’écrire, des formes que tu vois s’esquisser, des petites merveilles de monstruosité et qui se mettent à vibrer dès qu’on les touche, ou à chanter dès qu’on les sollicite, ce que nous faisons en plus de l’amour que nous faisons, ou que nous allons faire, cette façon que nous avons, du fond de la chair et du bout des doigts, entre nos regards, de créer ensemble œuvre étrange, baroque, branlante, polymorphe tour à tour trouée, raccommodée, s’écroulant avec nous sur notre couche, se redressant immense, et ivre, l’amour, en somme, comme plaisir et comme inspiration.
Je suis ce fruit incisé dont tu cherches le noyau, attendrissable et lisse, ce fort secret des sens, passé la chair sucrée. Il y a là, tu le sens, tout ce qui explique, même énigmatiquement, le fait que moi, féminine, toi, masculin, ce sont nos vertiges frères et nos sœurs hérésies qui, par signe quasi incestueuses, nous rapprochent, de jours en nuits.
Tu crois en moi, furtive fiancée, moins furtive que d’autres, plus fiancée que toutes. Tu crois au feu grégeois qui couve en mes pensées, et crois aux farfadets qui lui soufflent dessus. Tu crois en mes pensées cruelles ainsi qu’en mes époustouflantes. Tu crois au génie rosse et rose qui me dévore l’esprit, pendant mes insomnies et pousse mon entre-jambe à te chevaucher ou te re-chevaucher. Tu crois aux cris que je retiens, et aux soupirs que je leur prend pour en faire des murmures, des confidences osées ayant haleine de chatte. Tu crois en ma douceur romane, en mes élans gothiques, en ces drôles de spirales qui montent sans rigueur de mon enfantillage à la maturité. Tu crois en mes envies de savoir ce qu’il est défendu de savoir, en mes envies de faire ce qu’il est inconvenant de faire. En mon envie d’être, enfin, moi-même, enfin désencombrée, enfin libre, disant : « Je t’aime » au fou et « je te hais » au sage. Tu crois en mon tout petit ventre petitement renflé, où tu poses parfois avec délicatesse ta tête à l’écoute de ma toute grande avidité, grandement affamée. Tu crois en mes sens, et jusqu’en mes non-sens, et contresens fameux, tu crois. Tu crois en ces pages importantes que je remplis d’amour et de ratures d’un pleur et que tu tournes une à une, avec lenteur, avec piété, avec la suave salivation des illuminés, tu crois, oui, tu crois que quand je trempe dans ta bouche ton doux pistil de l’ombre, de mon corps j’écris avec des mots étranges mon premier livre vrai. Tu crois, oui, tu crois que plus tu me caresseras, infatigable, plus ce sera moi l’artiste et ce sera toi le copiste. Oui, tu crois, tu crois en moi.

Hier tu as vu ma robe tomber, mais comme tombe un tabou. Affaissée à mes pieds, s’y roulant en boule, inutile, dérisoire, surannée. Tu m’as vue piétiner le tabou. Tu m’as vue me rhabiller et c’était alors comme une autre façon de me déshabiller, d’être plus nue que nue. J’étais la plus belle tombeuse de tabous. Car rhabillée, je portais, que dis-je, j’arborais, audacieuse la trace des audaces révélées, de ma neuve luxure, des distillats d’un corps s’étant saigné d’amour.

Je te désire vieux fou, moi, gracille batailleuse, je viens sur ton corps m’acharner de mes petits poings de môme, je vais, triomphalement, m’asseoir sur ton ventre, y faire sauter mes fesses. Je vais, je viens jusqu’à ce que ton étreinte tout à coup m’amolisse et que d’un baiser tu m’étendes et me vainques délicieusement. Je vais, mutine au piano, rejouer sur ton clavier d’en bas mes gammes très coquines, mes arpèges grossissants, mes improvisions. Je vais, moi, divine et exquise sauvageonne, sur ton cuir d’une autre époque, m’étendre… liquéfiée, le parfumer de mon odeur, l’entêter de l’odeur d’avoir déjà joui. Je vais, moi, lasse enfant douée, zébrer ton sommeil noir et le repeindre orange. Je vais, ingénue dormante, me blottir contre toi, reprendre en tes bras mon rêve de te soumettre mon portrait en dompteuse ou en ensorceleuse, ou d’une autre manière, mon songe adorable. Je vais, de ma respiration ou de mon tressaillement, charmer ta tendreté, la re-durcir d’un flou, ou de ma main qui erre, puis de mes doigts qui trouvent. Je vais régner sur le dernier empire que tu puisses fonder et que tu m’abandonnes.

Quand tout en nous ne fera plus que l’amour, nos sexes, nos cœurs , nos idées, nos soifs, nos faims, nos frissons, nos vacillations et jusqu’à nos chutes, alors, alors seulement, le monde que nous n’avons pas aimé pourra se faire aimer de nous. Quand tout en nous ne dira que l’amour, nos sciences enfouies et serpentantes, nos silences empoissés quoique forts éloquents, nos héritages de soufre et d’immodération, nos abondances bariolées de nuit, alors, alors seulement, la vie que nous avons aimée, il ne nous importera plus qu’elle nous aime ou non.

Nous, couple contrasté, disparate, ni cocasse, ni sérieux, indéfini, imparfait à souhait, défiant les équilibres et toute concurrence des gens qui nous dévisagent. Toi, comme si tu étais mon père, moi m’en fichant pour de bon, d’une royale arrogance. Toi que l’on imagine peintre et moi que l’on croit ton modèle, les gens nous indiffèrent. Toi, moi, nous tour à tour scrutés imbécilement, ou, miracle, intelligemment, toi, moi, nous, enviés ou suspectés, jugés en toute hâte, condamnés ou absous, nous n’aimons des braves gens que ceux qui savent que nous nous aimons.

Tu aimes ma bouche qui au moins chez moi n’est point triste : Je parle comme je désire. Chaque mot je te le dédis, je te le mouille, sur ma langue le fais fondre. Tu la trouve bien sensuelle ma voix, et mes dires sont tes gourmandises. Ils viennent de la chair chaude, ils sont ses sonorités sourdes, et ses bémols de molle, ses assonances de corps gagné à des plaisirs de liquoreuse lignée. Mes mots, tu mets tes yeux dedans et tes oreilles devant. Ta présence justifie mon existence.

Parfois tu me fais taire mais je sais que tu écoutes encore et que ma parole coule jusqu’en tes veines saoules. Quand tu m’embrasses, nos émois qui clapotent chantent plus vrai que la mer, ils remontent de l’abysse des chants concupiscents. Tu t’en vas en ma bouche comme tu glisses en mes reins, pour mon bruit magnifique, mes rumeurs de noyée. Je reste alors chavirée, entièrement subjuguée.

Je sanglotais, tu en étais malheureux. Tu as lu dans mes yeux vastes un effrayant récit . en une journée, j’avais vu le pire : des images de ruptures, ton amour de moi mort, mon repelotonnement. Tout en moi qui crie : Aime-moi ! Jusque dans mon corps qui se cabre.
Nos vies sont inégales. Ce qui ne nous ment pas, ce sont ces heures de grâce où chacun de nous est prêt pour reconnaître en l’autre l’amour immémorial. Ces heures-là sont les même pour nous deux. A la place où elles nous mettent, il n’y a de place que pour nous, nous agrégeant en elles, tels des amants féaux, enchaînés l’un à l’autre par un bonheur foutral. J’aime tant quand tu fermes les yeux de me voir aussi belle qu’au premier jour. Tu me dis : « essuie tes larmes. » Mais j’ai tellement le ventre noué de cette peur insensée de te perdre… Te souviens-tu quand je craignais encore de te rencontrer par peur d’être déçue ou encore par peur de te décevoir , tu m’écrivais : « Prenons ce risque, et si nous ne devions pas nous plaire, si ça n’était qu’un rêve, alors cela aura été un beau rêve ». Ce rêve d’hier est aujourd’hui mon quotidien, mon bonheur.

Je suis ton doux cœur et tu aimes ma paresse de chatte alanguie qui t’invite aux caresses. En d’autres temps, mon prélassement eût été celui des gâtées du château, demoiselles nues et bâillantes, guettant sans impatience la venue de l’habilleuse de leur corps. Corps. J’ai celui des pâles voluptueuses du matin, qui se lissent la peau, et se touchent probablement, en l’endroit du désir en l’absence de l’être aimé. Pourtant, tu le sais, aucun attouchements que je puisse me faire ne sais plus générer chez moi de plaisir avec la même intensité que celui que tu me procures.
Tu sais comme j’aime m’attarder à humer les odeurs de literie, nos chères fragrances nocturnes comme j’aime en ton absence porter tes vêtements sales, ceux qui portent ton odeur, comme on arbore fièrement le drapeau de sa patrie.
Je soupçonne ma paresse de te charmer au point que tu la baises. Elle a la torpeur d’une infante languie, la lenteur de la même, engourdie. Tu aimes ma paresse, mon indolence voire mon insolence moite, mes volutes équivoques, les feintes de restrictions de ma chair alléchée. C’est alors que te viens l’envie, érotique s’il en est, de m’exempter de toutes tâches autres que celles qui réjouissent mes sens. Je te suis tellement reconnaissante d’avoir une telle confiance en moi, une telle confiance dans mes capacités à être initiée femme, sensuelle. Tu as su éveiller chacun à son tour, délicatement lever le voile sur chacun de mes sens : vue, ouïe, goût, odorat, toucher. Mon initiation vaudrait d’ailleurs à elle seule un livre à part entière tant elle s’est révélée délicatement au fil du temps. Mon Amour, ma reconnaissance t’est et te sera infinie quelque soit notre avenir. Tu es inscrit dans mon être comme le sont dans les ouvrages les noms des hommes célèbres qui ont façonné le monde.

Mon Amour, ressentir ton envie de me prendre telle quelle, telle que tu me découvre oisive et lascive à la fois, toujours accessible, gémissante et superbe m’excite au plus haut degré et ton envie de me servir m’émeut.

Je crois en ton amour de moi. Tu m’aimes, oui, compliquée puis simplifiée par mon humeur parfois acide. Tu m’aimes tout à coup hargneuse, teigneuse, démesurées, excessive, ravalant les nuances au rang d’imbécillité. Tu aimes ma violence d’ex-communiante blanche, touchée par quelque grâce sauvage, païenne, que l’amour soudain amadoue, lustre. Quand je haïs ce que je pense devoir haïr, je n’en n’aime que mieux ce que je dis savoir aimer. L’amour que je t’offre me garde belle dans la haine que je t’épargne. Et même… si je ne te l’épargnais pas, cela n’altérerait en rien la beauté que je te montre, victorieuse que je suis de t’avoir séduit.

Tu aimes mes manques : ils sont désirs. Tu aimes mes lapsus : ils sont capiteux. Tu aimes mes erreurs, ce sont des nuages. Tu aimes mes refus : ce sont tes futures conquêtes. Tu aimes mon imperfection volant aux éclats. Tu ramasses ces éclats, les rapproches, les rassembles, architecte de ma vie, sans rechercher aucunement à ce qu’ils retrouvent dans l’ensemble, leur place initiale. Tu traces les plans de mes nouveaux aménagements. Je ne suis pas ton puzzle, je suis ton désordre. La perfection du désordre, c’est moi.

anti

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