L'intelligence des plantes

mancuso.jpgEn lisant il y a deux jours un papier de Pierre Barthélémy, chroniqueur scientifique au journal Le Monde dont je ne manque aucun article, j’ai découvert l’existence et les travaux fascinants du professeur Stefano Mancuso, fondateur du Laboratoire International de Neurobiologie des Plantes. Car pour lui, et d’ici quelques minutes pour vous si ce n’est pas déjà le cas, il ne fait aucun doute que les plantes sont des êtres vivants dotés d’intelligence même si elles n’ont pas de système nerveux et qu’à ce titre, on peut donc parler de neurobiologie lorsqu’on étudie scientifiquement leurs comportements.

Début 2011, le professeur Mancuso a donné une interview passionnante sur un site web anglo-saxon. Vous trouverez de larges extraits de cet entretien ci-dessous, traduit par mes soins. Je vous recommande également de prendre le temps de regarder ensuite la vidéo que j’ai ajoutée à la fin. Il s’agit d’une conférence donnée par le professeur Mancuso dans le cadre de TED.

Qu’est-ce que la vie ?

Je n’ai pas de définition simple de la vie. C’est un phénomène beaucoup trop complexe et important pour pouvoir être réduit à quelques mots. Je peux par contre vous dire que l’ADN n’est pas la vie. Une simple molécule chimique n’a rien à voir avec la vie. L’ADN n’est rien d’autre qu’un système d’enregistrement. Personne ne dirait que « La divine comédie » se définit par le papier et l’encre utilisés pour en imprimer des copies et pourtant, bien des scientifiques de renom ont soutenu un tel point de vue concernant l’ADN.

P5151332.JPGQu’est-ce que l’intelligence ?

Cette question est un petit peu plus facile. J’ai une opinion très claire sur cela. L’intelligence est la capacité à résoudre des problèmes. Je sais qu’il en existe bien d’autres définitions mais je n’en connais aucune aussi bonne que celle-ci.

Pour moi, l’intelligence est une propriété de la vie. Même le plus humble organisme vivant unicellulaire doit être intelligent pour résoudre les problèmes de son quotidien. Au passage, ces problèmes ne sont pas si différents que ça d’une espèce à une autre.

L’intelligence humaine est, certes, bien plus grande que celle d’une paramécie ou d’une chlamidomona (une algue microscopique), mais la différence n’est que quantitative, pas qualitative.

Même une amibe peut anticiper des évènements répétitifs ou trouver comment parcourir un labyrinthe efficacement.

Qu’est-ce que l’intelligence des plantes ?

Il n’y a pas, essentiellement, de différence entre les intelligences. Que nous considérions l’intelligence végétale ou animale, la propriété fondamentale est de résoudre des problèmes. A première vue, on pourrait penser que les problèmes des plantes et ceux des animaux sont différents mais si on y regarde de plus près, ils sont tout à fait similaires.

Lorsqu’on observe les réactions des plantes à des problèmes, on peut voir des actions qui ne sont pas de simples automatismes. Chaque plante doit percevoir et surveiller en permanence un grand nombre de paramètres environnementaux et elle est constamment tenue de prendre des décisions.

P4040581b.JPG

Quels sont les buts de l’étude de la neurobiologie des plantes ?

Lorsqu’on observe les raisonnements des gens qui dénient toute possibilité cognitive aux plantes, un trait commun est que l’intelligence est associée à un groupe particulier de cellules appelées le « tissu nerveux ». Ce rationnel s’appuie sur l’hypothèse que, puisque les plantes n’ont aucune trace de tissu nerveux, cela implique de facto qu’elles ne peuvent pas être intelligentes.

Si on regarde le principe de base de ce qu’est un système nerveux, on voit qu’il s’agit juste d’un groupe de cellules spécialisées dans la transmission d’impulsions d’une cellule à une autre. Les plus ordinaires des plantes le font. Il est incontestable qu’il n’y a aucun besoin de recourir au Graal que représente un système nerveux pour que se réalise le miracle de la transmission de signaux électriques et la communication.

Pouvez-vous expliquer l’aspect communication de l’intelligence des plantes ?

Les plantes sont des communicateurs étonnants. On le sait depuis plus d’un quart de siècle. Les plantes communiquent avec des molécules volatiles, qui sont utilisées pour transférer de l’information aussi bien à l’intérieur de la plante elle-même que vers les autres plantes.

P5241458b.JPGLes interlocuteurs peuvent être des plantes du même clan (on a pu démontrer que les plantes sont capables de distinguer les membres de leur « famille » des étrangers et peuvent ajuster leur comportement en conséquence), d’autres plantes de la même espèce, d’autres plantes d’espèces différentes et enfin, d’autres espèces non-plantes depuis les bactéries jusqu’aux mammifères. De nombreux moments de la vie d’une plante sont totalement dépendants de l’efficacité de ce système de communication complexe.

La pollinisation croisée est un bon exemple. La plante doit être capable d’attirer le « vecteur » pour le transport du pollen (il ne s’agit pas seulement d’insectes mais aussi de reptiles, d’oiseaux et de mammifères) et de lui donner en échange pour ce service une récompense sous la forme d’une substance énergétisante sucrée connue sous le nom de nectar. Le système complet de la pollinisation peut être décrit comme un marché avec des clients (insectes ou autres vecteurs), des acheteurs (les plantes), des bannières (les fleurs colorées), des promotions attirantes (les parfums) et aussi parfois, des publicités mensongères (comme ces orchidées qui trompent des insectes en imitant les signaux de séduction de leurs femelles).

Le plus excitant est que nous en sommes au tout début de l’histoire, nous commençons à peine à comprendre à quel point le système de communication des plantes est évolué. Jusqu’à maintenant, la recherche a essentiellement porté sur la détermination des substances chimiques utilisées par les plantes pour communiquer entre elles mais je suis, pour ma part, convaincu que les plantes sont aussi capables d’utiliser d’autres systèmes de communication dont nous n’avons pas idée.

Les années à venir pourraient bien nous valoir bien des surprises et des changements dans notre façon de voir les choses.

Quel impact peut avoir la neurobiologie des plantes sur notre compréhension de l’évolution et de l’écologie ?

Rien dans l’étude de la neurobiologie des plantes ne contredit l’évolution, je dirais même au contraire que cela confirme encore plus l’idée brillante de Darwin.

D’un point de vue évolutionnaire, le fait que l’intelligence n’a pas surgi soudainement à un certain niveau d’évolution mais a lentement évolué depuis la forme la plus primitive jusqu’à l’être humain est une preuve supplémentaire que rien en biologie n’a de sens en dehors de l’évolution.

Mon espoir est que cette nouvelle vision des plantes pourrait avoir un impact sur nos relations avec le monde végétal. C’est une chose de traiter les espèces de plantes comme si elles étaient à peine plus que des entités inanimées, c’en est une autre de savoir que les plantes sont capables de montrer des comportements suffisamment complexes pour être qualifiés d’intelligents.

Comprendre que les plantes sont des êtres vivants extrêmement complexes et évolués nous aidera à les respecter.

P4020544b.JPG
___________________________

Comme la plupart des grands novateurs de notre époque, Stefano Mancuso a été invité à présenter l’essentiel de ses idées dans le cadre des conférences TED. Il a intitulé son intervention « Les racines de l’intelligence des plantes » et plus d’un passage vous stupéfiera d’admiration. Il s’agit d’une version sous-titrée en français parfois approximatif, ne faites pas trop attention aux fautes. Envie de voir de jeunes pousses de tournesol jouer entre elles ? Ou de découvrir que de simples racines font mieux qu’Internet pour échapper à tout contrôle ? C’est par ici :

La photo de Stefano Mancuso a été trouvée sur le web, les autres sont de moi.

9 Replies to “L'intelligence des plantes”

  1. valentine Post author

    http://www.rsr.ch/la-1ere/programmes/impatience/?date=01-12-2011 cliquez sur le murmure des arbres et là aussi, découvrez l’histoire édifiante de l’acacias d’Afrique du Sud. La feuille d’acacias, c’est la nourriture de la gazelle. Mais elle n’en mange pas longtemps. Et là, que se passe-t-il? La feuille de l’arbre devient toxique. Mais en plus, l’incroyable c’est que l’information passe aux autres acacias par message gazeux. Ce que je trouve extraordinaire dans cette histoire c’est que l’acacias pourrait être totalement toxique et là, non. L’arbre partage ce qu’il faut avec la gazelle.

    La nature n’a pas fini de nous fasciner.

  2. anti Post author

    Valentine ? GÉNIAL ! J’adore tes liens, ils sont passionnants !

    Le cri du haricot, la timidité de l’arbre… tout un monde à la avatar qui semble se dévoiler sous nos oreilles et yeux ébahis.

    Merci !

  3. Anna Galore Post author

    J’ai beaucoup pensé à Avatar en lisant l’interview de Mancuso puis en la traduisant. L’un des personnages du film fait d’ailleurs une allusion directe, vers le début du film, à ce que raconte Mancuso sur la capacité des plantes à transmettre des signaux électriques (c’est lors de la première sortie de Jake, sauf erreur) et cet aspect est ensuite repris à de multiples reprises tout au long de l’histoire.

    Valentine ? J’avais déjà entendu parler de ce comportement fascinant des acacias avec les gazelles, tu me l’as remis en mémoire, merci !

  4. Anna Galore Post author

    Ah et aussi, la timidité des arbres, oui, absolument ! C’est un phénomène que j’avais remarqué en arrivant dans cette maison qui est maintenant la nôtre : les branches de nos deux micocouliers se frôlent sans jamais se toucher, nettement séparées par une couche d’air d’une dizaine de centimètres de large qui semble infranchissable.

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *